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que foulagement ou quelque plaifir permis. Enfin quelques-uns s'imagi-
nent pouvoir faire une espece de compenfation, comme cet Italien, qui
difoit: Que veux-tu, mon frere? Un peu de bien, un peu de mal; le bon
Dieu nous fera mifericorde. L'Ecriture ne parle pas ainfi. Détourne-toi Pf. 33,
du mal, & fais le bien; nous apprenant à quitter le peché avant que de
faire de bonnes œuvres, fi nous voulons qu'elles foient utiles. Enfin j'efti-
me plus la vie parfaitement uniforme des anciens moines d'Egypte, que
celle d'un religieux déchauffé, qui après s'être donné la difcipline, prend
place avec joye à un grand repas, & cherche à y briller par fa belle hu-

meur.

papes

n.

XIII.

Opufc. 2. c. 35.
Exemptions.
Hift. liv. LXVII.
57. III. c. 4.
Hift. liv. LXIX,

n. 57.

Les exemptions furent fans doute une des principales causes du relâchement des religieux, comme faint Bernard avoit bien remarqué. Vous avez vû ce qu'il en dit, principalement en deux endroits de fes écrits: la lettre à Henri archevêque de Sens, touchant les devoirs des évêques, & le livre de la confideration au pape Eugene : dans l'un il se plaint des moines & des abbez qui obtenoient des exemptions, dans l'autre des qui les accordoient. Il va même jufqu'à révoquer en doute le pouvoir du pape à cet égard; dont en effet je ne vois guères d'autre fondement que l'idée confule qu'ont donné les fauffes decretales que le pape pouvoit tout. Or les inconvéniens des exemptions font fenfibles. C'eft n'avoir point de fuperieur, que de l'avoir fi éloigné & fi occupé d'affaires plus importantes: c'est une occafion de méprifer les évêques & le clergé qui leur eft foumis. C'est une fource de divifion dans l'églife, en formant une hierarchie particuliere. Voyez la difpute qui s'émut fur ce fujet du temps du concile Hift. liv. xc1. m de Vienne, entre Gilles de Rome archevêque de Bourges, qui attaquoit 53.

les exemptions des moines, & l'abbé de Chailli qui les foutenoit.

Mais cet abbé combattoit fortement celles des Mandians les plus odieufes au clergé feculier, en ce que ces freres exerçoient en vertu de leurs privileges, la plupart des fonctions ecclefiaftiques, dont alors les moines ne fe mêloient guères; auffi les freres Mandians furent-ils ceux qui pouf

ferent aux plus grands excès les prétentions de l'autorité du pape. Voyez Hift. liv. xc111. les extraits que j'ai rapportez d'Augustin Triomfe & d'Alvar Pelage, l'un n. 43. XCIV. n. 25. Auguftin, l'autre Francifcain. A force de vouloir relever la puiffance du pape, ils la rendent odieuse, l'élevant au-deffus de toutes les puiffances temporelles, non-feulement quant à l'excellence & à la dignité, mais quant au pouvoir effectif d'ériger, transferer ou fupprimer les empires & les royaumes; d'établir, corriger ou dépofer les fouverains; en forte que felon leur fyftême, il n'y a dans le monde qu'un feul fouverain, qui exerce la puiffance spirituelle par lui-même, & par les clercs aufquels il en commet quelque partie, & la temporelle par les laïques, fur lesquels il veut bien s'en décharger. Ce n'eft pas-là le lyftême de l'évangile, ni la tradition des premiers fiecles.

La nouvelle hierarchie des religieux exempts a eu de fâcheufes fuites, & dans leurs corps, & au dehors dans toute l'église. Au dedans ils ont été fort occupez de leur gouvernement, de la tenue des chapitres generaux ou provinciaux, de l'élection des fuperieurs & des autres officiers. Les

religieux font devenus politiques: plus attentifs aux affaires de l'Ordre ou de la congregation, qu'à leur perfection particuliere, ou au falut du prochain, s'ils font appellez à y travailler. Je ne parle pas feulement des brigues pour parvenir aux charges, y élever ou en exclure les autres, mais encore des mouvemens que l'on fe donne pour paffer d'un couvent à l'autre ; fuivre un fupérieur dont on eft ami, ou en éviter un defagréable: le tout aux dépens de la retraite, du filence & de la tranquillité d'efprit, qui est l'effentiel de la vie religieufe. Les plus expofez à ces tentations font les freres Mandians, & les autres qui changent fouvent de fuperieurs, & n'ont point de réfidence fixe: rien n'étoit plus fage que la ftabilité des anciens. Ceux qui aiment le mouvement & l'action, n'ont qu'à demeurer dans le

monde.

L'humilité déchet par les diftinctions entre les freres. Un general d'Ordre fe regarde comme un prélat & un feigneur, & quelques-uns en prennent le titre & l'équipage. Un provincial s'imagine prefque commander à tout le peuple de fa province; & en certains Ordres, après son temps fini, il garde le titre d'exprovincial. Pendant l'intervalle des élections, les efprits font agitez pour les chapitres prochains; on forme des cabales & des ligues pour foi ou pour d'autres; quelquefois par un vrai zele pour le bien de l'Ordre & la régularité de l'obfervance; fouvent par amour propre, ou par inquiétude naturelle, déguisée fous le nom de zele; & l'occafion de cette inquiétude, eft l'oifiveté.

Depuis que le travail des mains a été méprifé & oublié, les religieux. rentez fe font abandonnez la plupart à la pareffe & à la crapule, fur-tout dans les pays froids. Les Mandians, principalement dans les pays où les efprits font plus vifs & plus remuans, ont donné dans les études curieuses, dans les fubtilitez & les rafinemens de la scolastique, ou dans les intrigues & les fineffes de la politique monacale dont je parle. On entre en religion pour faire fortune: en Italie, par exemple, un frere Prêcheur étudie dans l'efperance de devenir à Rome théologien d'un cardinal, confulteur dans quelque congregation, inquifiteur, évêque, nonce, & enfin cardinal: ou s'il fe borne dans fon ordre, il fe propofera d'y monter par degrez aux premieres digniteż: c'eft ce qu'on appelle avoir du courage & de l'induf

trie.

Le relâchement étant devenu general a produit les mitigations, ou par fimple tolerance, ou par des conftitutions expreffes, accordées à la dureté de cœur & à l'importunité des religieux ; & la plupart fondées fur l'affoiblissement prétendu de la nature; prétexte que je penfe avoir suffisamment refuté; & montré que ce ne font pas les corps qui font affoiblis, mais les courages. On a crû que des religieux imparfaits valoient mieux que le commun des feculiers ; & ceux qui ont embraffé une regle far le pied de la mitigation, fe contentent ordinairement de ne pas tomber plus bas. Ce n'eft pas-là l'efprit de l'évangile. JESUS-CHRIST dit à tous les disciples, Matth. v. 48. c'est-à-dire, à tous les Chrétiens: Soyez parfaits comme votre pere celefte eft parfait. Et encore: Efforcez-vous d'entrer par la petite porte, il n'y entrera pas qui voudra

Luc XIII, 24.

Je dis donc que tout Chrétien étant obligé de tendre à la perfection felon fon état, il vaut mieux demeurer dans le monde, faifant toujours quelque pas vers la perfection, que fe reposer à l'abri d'un monastere & d'un habit religieux, comme fi on avoit affuré son salut en faisant les vœux. Je n'eftime guères plus ces religieux tiédes & indifferens pour la perfection, que les morts revêtus d'un habit de religion, fuivant la devotion d'Espagne. Ceft une espece d'hypocrifie de profeffer une regle que l'on n'observe qu'imparfaitement : c'eft chercher l'honneur d'une vie au-deffus du commun, fans en vouloir fouffrir la peine, qui en fait le merite. A force de relever la perfection de leur état, les religieux ont négligé de travailler à la perfection effective: ils femblent avoir crû s'en revêtir avec leur habit. Cette idée leur a fait méprifer tous ceux qui ne font pas de leur état, les prêtres mêmes & les évêques, dont il leur a paru paru que l'on pourroit fe paffer s'il ne falloit recevoir d'eux la ceremonie de l'ordination. Le relâchement des religieux a fans doute beaucoup nui à tous les Chrétiens. Les feculiers ont dit : Si ceux qui doivent être les modéles de Affoibliffement la perfection, fe permettent telle & telle chofe, nous pouvons bien nous Chrétienne. en permettre davantage : s'ils ne jugent pas que telle & telle action foient des pechez, nous ne devons pas être plus fcrupuleux. Je pense auffi que l'affoibliffement de la théologie morale, introduit depuis quatre ou cinq cens ans, eft venu de la même fource. Les cafuiftes qui ont écrit dans ces derniers fiecles, étoient la plûpart religieux & religieux Mandians, qui fe trouvoient prefque feuls en poffeffion des études & de l'administration de la penitence. Or la mandicité eft un grand obftacle à la feverité & à la fermeté envers ceux dont on tire sa subsistance.

pe

De plus, ces cafuiftes ne connoiffoient de l'ancienne difcipline fur la nitence, que le peu qui s'en trouve dans le decret de Gratien; car ils ne remontoient pas plus haut, comme on voit par leurs citations. Ils ne connoiffoient ni les anciens canons penitentiaux, ni les divers degrez de penitence, ni les folides raifons qui les avoient fait établir. Ainfi fans en avoir le deffein, ils ont introduit deux moyens de laiffer regner le peché, l'un en excufant la plupart des pechez, l'autre en facilitant les abfolutions. C'eft ôter le peché, du moins dans l'opinion des hommes, que de leur enfeigner que ce qu'ils croyoient peché ne l'eft pas; c'eft ce qu'ont prétendu faire les docteurs modernes, par leurs diftinctions & leurs fubtilitez scolastiques, fur-tout par la doctrine de la probabilité.

A l'égard des pechez qu'on ne peut excufer, le remede eft l'abfolution facile, fans jamais la refufer, ni même la differer, quelques fréquentes que foient les rechûtes. Ainfi le pecheur a fon compte, & fait ce qu'il veut tantôt on lui dit qu'il peche à la verité, mais que le remede eft facile, & qu'il peut pécher tous les jours en fe confeffant tous les jours. Or cette facilité femble neceffaire dans les pays d'inquifition, où le pecheur d'habitude qui ne veut pas fe corriger, n'ofe toutefois manquer au devoir pafcal, de peur d'être dénoncé excommunié, & au bout de l'an déclaré fufpect d'herefie, & comme tel poursuivi en justice; aussi est-ce dans ces pays-lă qu'ont vêcu les cafuiftes les plus relâchez,

XIV.

de la morale

XV.

Cette facilité d'abfolutions anéantit en quelque façon le peché, puifqu'elle en ôte l'horreur & le fait regarder comme un mal ordinaire & inévitable. Craindroit-on la fievre, fi pour en guérir il ne falloit qu'avaler un verre d'eau ? Craindroit-on de voler ou de tuer, fi l'on en étoit quitte pour laver ses mains? La confeffion eft prefque auffi facile, quand il ne s'agit que de dire un mot à l'oreille d'un prêtre; fans craindre ni delai d'abfolution, ni fatisfaction penible, ni neceffité de quitter l'occasion. Mais infenfiblement je m'éloigne de mon fujet.

J'ajoûterai toutefois que les nouvelles dévotions introduites par quelDevotions nou-ques religieux, ont concouru au même effet de diminuer l'horreur du pevelles. ché, & faire négliger la correction des mœurs. On peut porter un scapulaire, dire tous les jours le chapelet ou quelque oraifon fameufe, fans pardonner à fon ennemi, reftituer le bien mal acquis, ou quitter fa concubine: Voilà les devotions qu'aime le peuple, celles qui n'engagent point à être meilleur. Et en pratiquant ces petites devotions, on ne laiffe pas de s'eftimer plus que ceux qui ne les pratiquent point, fe flater qu'elles nous attirent une bonne mort: car on ne voudroit pas fe convertir pendant qu'on a de la jeunesse ou de la fanté, il en coûteroit trop. De-là vient encore la devotion exterieure au S. Sacrement. On aime bien mieux l'adorer expofé, ou le fuivre en proceffion, que fe difpofer à communier di

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gnement.

Depuis que le travail des mains a ceffé chez les religieux, ils ont extrêmement relevé l'oraifon mentale, qui eft en effet l'ame de la religion chrétienne, puifque c'eft l'exercice actuel de l'adoration en efprit & en verité, prefcrite par JESUS-CHRIST même. Mais il eft facile d'en abuser. C'est en quoi confiftoit principalement l'herefie des Maffaliens condamnée dès le quatrième fiecle; & ce que les catholiques leur reprochoient le plus, étoit le mépris du travail & la mandicité. Les Fraticelles des derniers temps leur reffembloient fort, & chez les Catholiques mêmes l'oraison mentale a fervi de prétexte à plusieurs abus. Quand un moine Egyptien faifoit, en priant toujours, des nattes ou des paniers, on voyoit bien qu'il ne perdoit pas fon temps; mais il n'y a que Dieu qui fçache à quoy l'employe celui qui pendant une heure ou deux demeure à genoux, & les bras croisez.

Or cette devotion oifive, & par consequent équivoque, a été la plus ordinaire depuis environ cinq cens ans, particulierement chez les femmes naturellement plus pareffeufes & d'une imagination plus vive. De-là vient que les vies des faintes de ces derniers fiecles, fainte Brigide, fainte Catherine de Sienne, la bienheureuse Angele de Foligni, ne contiennent guères que leurs penfées & leurs difcours, fans aucun fait remarquable: ces faintes employoient fans doute bien du temps à rendre compte de leur interieur aux prêtres qui les dirigeoient; & ces directeurs prévenus en faveur de leurs penitentes, dont ils connoiffoient la vertu, prenoient aisément leurs pensées pour des révelations; & ce qui leur arrivoit d'extraordinaire, pour des miracles.

Ces directeurs étant nourris de la méthode & des fubtilitez de la fcolaftique

Laftique qui regnoit alors, ne manquerent pas de l'appliquer à l'oraifon
mentale, dont ils firent un art long & difficile, prétendant diftinguer exac-
tement les divers états d'oraison, & les degrez du progrès dans la perfec-
tion chrétienne. Et comme c'étoit la mode depuis long-temps de tourner
toute l'écriture à des fens figurez, faute d'en entendre la lettre, ces doc-
teurs y trouverent tout ce qu'ils voulurent, & ainfi fe forma la théologie
mystique que nous voyons dans les écrits de Rufbroc, de Taulere & des
auteurs femblables. A force de fubtilifer, ils employoient fouvent des ex-
preffions outrées, & avançoient des paradoxes aufquels il étoit difficile de
donner un bon fens : tels que ceux du Jacobin Ecard, condamnez par le n. 59.
pape Jean XXII.

Ces excès pouffez plus loin, avoient produit au commencement du même fiecle, les erreurs des Beguards & des Beguines, condamnées au concile de Vienne ; & l'on peut dire que dans tous les temps le demon s'eft fervi du même artifice, de plonger les hommes dans les vices les plus grof fiers & les plus honteux, fous prétexte de la plus haute perfection: tel fut dès le fecond fiecle Carpocras & fes faux Gnoftiques; & tel a été de notre temps Molinos & fes Quietiftes. Un autre effet de la fpiritualité outrée eft. le fanatifine tel que celui de Gregoire Palamas, & des moines Grecs du mont Athos, dans notre quatorziéme fiecle: on n'y voit point de fenfualité, mais un orgüeil & une opiniâtreté invincibles.

Hift. liv. xcn1.

Liv. XCI. n. 58.

Liv. III. n. 20.

Liv. xcv. n. 9.

Revenons donc à l'adoration en efprit & en verité, c'est-à-dire, à une oraifon fimple & folide, telle que nous la voyons dans les premiers temps de l'églife, qui ait pour fujet & pour fondement des veritez de foi & desparoles de l'écriture; non des opinions d'école, des hiftoires fabuleufes, ou des représentations imaginaires, comme celles de faint Bonaventure. Une Hift. liv.Lxxxvt. oraifon enfin, qui confifte plus dans les affections que dans les penfées, "Epift. ad Prob. comme dit faint Auguftin, & qui tende directement à nous rendre meil Epift. ad Prob.

leurs.

Difons un mot auffi de la priere publique, qui depuis plufieurs fiecles eft devenue la principale occupation des religieux : demandons à Dieu que ce foit une veritable priere, & que le chant & les ceremonies exterieures foient soutenus & animez par l'efprit d'une fincere pieté : que nous puif

n.

fions dire avec S. Paul : Je chanterai de l'efprit & de l'entendement, c'eft- 1. Cor. xiv. 15. à-dire, que l'action naturelle de l'ame foit accompagnée du mouvement de la grace, autrement le chant n'est plus qu'un exercice de poitrine, & un fon femblable à celui des orgues, & des autres inftrumens inanimez : ce n'est plus une priere. Pour la rendre férieufe, il faudroit faire plus d'attention à la lettre qu'à la note : étudier foigneufement le fens litteral des pleaumes & des autres parties de l'office, afin d'entendre au moins ce que l'on dit.

Nous devons, autant qu'il eft poffible, ne laiffer aux heretiques aucun prétexte d'imaginer que la devotion foit une invention nouvelle des moi>

nes introduite par interêt, ou par d'autres motifs humains. Pour cet effet Hift. liv. xv. n. il faut remonter jufqu'aux premiers fiecles de l'églife; & confiderer la vie 37.41.

que faint Clement Alexandrin propofe à tous les chrétiens dans fon Peda

d

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