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&c. ult.

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Reg. S.B. prolog. Ce qui montre combien la ferveur s'eft rallentie depuis, quand on a regardé cette regle comme trop févere; & combien ceux qui y ont apporté tant de mitigations, étoient éloignez de l'efprit de leur vocation. Saint Benoît croyoit avoir ufé d'une grande condefcendance en accordant aux moines un peu de vin, & deux mets outre le pain, fans les obliger à jeûner toute l'année; & faint Gregoire pape, qui vivoit dans le mê me fiecle, & qui pratiquoit cette regle, en loue particulierement la difcretion: mais la nature corrompuë, trouve toujours de mauvaises raisons pour se flater, & autorifer le relâchement.. Nous les examinerons enfuite: j'ajoûte feulement ici, qu'il vaut mieux demeurer dans l'état d'une vie commune, que de tendre à la perfection par une voye imparfaite..

Dial

14.

n. 40.

12.37.

Cependant s'étoient formées en plufieurs églifes des communautez de clercs, qui menoient une vie approchante de celle des moines, autant Hift. liv. xIII. n. que leurs fonctions le pouvoient permettre. Saint Eusebe de Verceil eft le premier évêque que l'on trouve avoir fait vivre ainfi fon clergé ; & faint Hift. liv. XXIV. Auguftin fuivit fon exemple, comme on voit par fes deux fermons de la vie commune. On nomma ces clercs chanoines; & vers le milieu du fepHift. liv. XLIII. tiéme fiecle, faint Chrodegang évêque de Mets, leur donna une regle, qui fut depuis reçue par tous les chanoines, comme celle de faint Benoît par tous les moines. Ainfi voilà deux fortes de religieux, les uns clercs, les autres laïques, car les moines l'étoient pour la plûpart. L'objet de leur inftitut étoit de travailler à leur falut particulier, foit en confervant l'in nocence, foit en réparant les défordres de leur vie paffée par une peniten ce férieufe les clercs vivant en commun, imitoient la vie monaftique pour fe précautionner contre les tentations de la vie active & de la fré quentation avec les féculiers.

som. 7. conc. p.

1505.

Hift. liv. XLVI.

ข. 28.

Ibid. n. 22.

III.

Au commencement du neuviéme fiecle, & près de trois cent ans après faint Benoît, les moines fe trouverent très-éloignez de l'observance exacte de la regle; parce que les monafteres répandus par tout l'occident, étant indépendans les uns des autres, reçûrent infenfiblement divers ufages fur ce qui n'eft point écrit dans la regle; comme la couleur & la figure del'habit, & la qualité de la nourriture; & ces divers ufages furent des prétextes de relâchement.. Pour y remedier, fut fait le reglement d'Aix-la-Chapelle en 817.. au commencement du regne de Louis le Débonnaire,. par les foins de faint Benoît abbé d'Aniane, avec le conseil de plufieurs autres abbez de tout l'empire François. On y recommande le travail des mains, dont l'abbé même n'étoit pas exempt: & il paroît qu'il y avoit en-core peu de prêtres entre les moines. L'année précedente 816. plufieurs évêques affemblez au même lieu, donnerent aux chanoines une regle, qui eft comme une extenfion de celle de faint Chrodegang: elle fut envoyée par tout l'empire, & obfervée pendant plufieurs fiecles..

Mais dans le refte de celui-ci & le commencement du dixième, lest Ordre de Clu- ravages des Normands & les hoftilitez univerfelles entre les Chrétiens, gm. ruinerent plufieurs églifes & la plupart des monafteres, comme on voit par les plaintes du Concile de Troflè tenu en 909. L'obfervance monaftique étoit prefque éteinte en occident, quand Dieu fufcita de faints perfon

Hift. liv. LIV. 42. tom. 9. conc. p. 320.

nages, dont le zele ardent lui donna comme un nouveau commencement. Ibil. p. 565. Dès l'année fuivante 910. Guillaume duc d'Aquitaine fonda le monaftere Hift. liv. LIV. n. de Clugni, & en donna la conduite à l'abbé Bernon, qui avec le fecours 43. du moine Hugues, tiré de faint Martin d'Autun, recueillit la tradition de l'observance la plus pure de la regle de faint Benoît, qui s'étoit conservée en quelques monafteres.

Saint Odon fucceffeur de Bernon, perfectionna l'établissement de Clu- Hift. liv. LV. gni, & y joignit plufieurs autres monafteres dont il avoit la conduite, y n. 24. faifant garder le même ordre, c'est-à-dire, la même observance: d'où vint enfuite le nom d'ordre appliquez aux differentes communautez, pratiquant la même regle, comme l'ordre de faint Benoît, de S. Augustin, de saint François & les autres. Celui de Clugni fut très-celebre, par la vertu & la doctrine de ses premiers abbez faint Maieul, faint Odilon, & faint Hugues: mais au bout de deux cent ans il tomba dans une grande obfcurité; & je n'y vois plus d'homme diftingué depuis Pierre le Venerable.

Hift. liv. an.

1. Tim. VI. 17.

Or je trouve deux caufes de cette chute, les richeffes & la multiplication des prieres vocales. Le merite fingulier des premiers abbez de Clugni leur attira l'eftime & l'affection des princes, des rois & des empereurs, qui les comblerent de bienfaits : dès le temps de faint Odon le nombre en fut fi grand, qu'il en refte jufqu'à cent quatre-vingt huit chartes. Il est à n. 24. craindre que ces Saints n'euffent pas affez refléchi fur les inconvéniens de la richeffe, fi bien marquez dans l'évangile, & connus même des philofophes payens. Les riches font naturellement orgueilleux, perfuadez qu'ils n'ont besoin de perfonne, & qu'ils ne manqueront jamais de rien. C'est pourquoi faint Paul recommande à Timothée d'exhorter les riches à ne point s'élever dans leurs pensées, & ne pas mettre leur esperance dans les richeffes incertaines. Les grands biens attirent de grands foins pour les conferver; & ces foins ne s'accordent guères avec la tranquillité de la contemplation, qui doit être l'unique but de la vie monaftique: ainsi dans une communauté riche, le fuperieur au moins, & ceux qui le foulagent dans le maniement des affaires, quand ils ont veritablement l'efprit de leur état, trouvent qu'ils ne font prefque plus moines. Ajoûtez que fouvent l'amour propre se déguise sous le nom fpecieux du bien de la communauté ; & qu'un procureur ou un cellerier fuivra fon inclination naturelJe pour amaffer ou pour épargner, fous prétexte qu'il ne lui revient aucun avantage particulier.

La richeffe commune eft dangereuse même pour les particuliers. Dans une abbaye de vingt moines, joüiffans de trente mille livres de rente, chacun eft plus fier de fçavoir qu'il a part à ce grand revenu; & il est tenté de méprifer les communautez pauvres, & les religieux mandians de profeffion. Il veut profiter de la richeffe de la maison, ou pour fa commodité particuliere, & être auffi-bien nourri, vêtu & logé que fon obfervance le permet; & quelquefois au-delà. C'est ce qui étoit arrivé à Clu- Hift. liv. LXVIL gni, comme on voit dans l'apologie de faint Bernard. Les moines faifoient". 49. la meilleure chère qu'ils pouvoient en maigre, & s'habilloient des étoffes Opufc. 5. du plus grand prix.: les abbez marchoient à grand train, fuivis de quantité

n. Co.

21.

de chevaux, & faifant porter de grands équipages : les églifes étoient bâties magnifiquement, & richement ornées, & les lieux réguliers à proportion.

L'autre caufe du relâchement fut la multiplication des prieres : je dis de la pfalmodie & des autres prieres vocales; car ils en avoient beaucoup Hift. liv. LXIII. ajouté à celles que prefcrit la regle de faint Benoît, comme on voit dans les coutumes de Clugni écrites par faint Ulric, qui vivoit encore vers la Spicil. to. 4.P. fin du onzième fiecle. Ils avoient entr'autres ajoûté l'office des morts dont ils étoient les auteurs, & ils le chantoient toute l'année. Cette longue pfalmodie leur ôtoit le temps du travail des mains : & Pierre le Venerable en Hift. liv. LXVII. convient, répondant aux objections de faint Bernard. La regle, dit-il, l'ordonne feulement pour éviter l'oifiveté, que nous évitons en remplif fant notre temps par de faints exercices, la priere, la lecture, la pfalmodie.. Comme fi faint Benoît n'avoit pas affez donné de temps à ces faints exercices; & n'avoit pas eu de bonnes raifons pour donner de plus fept heures entieres de travail.

3. 50.

Peut-être que Pierre le Venerable, & ceux qui penfoient comme luy étoient trompez par les préjugez de leur temps, & regardoient le travail corporel comme une occupation baffe & fervile. L'antiquité n'en jugeoit M. Ifr. n... pas ainfi, comme j'ai fait voir ailleurs; & fans parler des Ifraelites & des autres Orientaux, les Grecs & les Romains s'en faifoient honneur: mais les nations Germaniques & les Barbares du Nord accoûtumez à ne s'occuper que de la chaffe & de la guerre, ont toujours méprifé l'agriculture & les arts, comme on voit encore aux mœurs de notre nobleffe.. IV. Ordre, de Cî

teaux

Deux cent ans après la fondation de Clugni, Dieu fufcita d'autres grands hommes, qui ramenerent l'efprit de la regle de faint Benoît, je veux dire: Hift. liv. LXIV. les fondateurs de Cîteaux, particulierement faint Bernard, que je regarde. 2. 64. LXVI. n. 21. comme la merveille de fon fiecle. Dieu fembloit avoir pris plaifir à raffembler en lui tous les avantages de la nature & de la grace : la noblesse,la vertu des parens, la beauté du corps, les perfections de l'efprit; vivacité, penetration, difcernement fin, jugement folide. Un cœur genereux, des fentimens élevez, un courage ferme, une volonté droite & conftante: ajoûtez à ces talens naturels une bonne éducation, les meilleures études que l'on pût faire de fon temps, foit pour les fciences humaines, foit. pour la religion : une méditation continuelle de l'écriture fainte, une gran de lecture des peres: une éloquence vive & forte, un ftile veritablement trop orné, mais conforme au goût de fon fiecle. Ajoûtez les effets de la grace. Une humilité profonde, une charité fans bornes, un zele ardent : enfin le don des miracles.

Hift. liv. 1x1. No 14. n. 43.

V.. Freres lais.

Il faut toutefois avoiier que fon zele ne fut pas affez reglé par la difcrétion, en ce qui regardoit fa fanté qu'il ruina de bonne heure par des aufteritez exceffives; & vous avez vû le foin que fut obligé d'en prendre fon illuftre ami Guillaume de Champeaux. J'eftime plus les Egyptiens & les autres anciens moines, qui fçavoient fi bien accorder l'aufterité avec la fanté, qu'ils vivoient fouvent près de cent ans.

Saint Bernard étoit fort affectionné au travail des mains, rétabli férieu

fement

fement dans l'obfervance de Cifteaux : mais on y introduifit une nouveauté, qui dans la fuite contribua au relâchement, je veux dire la distinction des moines du chœur, & des freres lais. La regle n'en fait aucune mention, & jufqu'à l'onzième fiecle les moines fe rendoient eux-mêmes toutes fortes de fervices, & s'occupoient tous des mêmes travaux.

4. LXIIK n. 58.

Saint Jean Gualbert fut le premier qui inftitua des freres lais en fon mo Hift. liv. LXI. n. naftere de Valombreuse, fondé vers l'an 1040. La raifon de cette inftitution fut apparemment l'ignorance des laïques, qui la plupart ne fçavoient Mabill. præf. 2. pas lire, même les nobles: de forte que le latin n'étant plus la langue Sac. n. 9. vulgaire comme du temps de faint Benoît, ils ne pouvoient apprendre les Annal. pleaumes par cœur, ni profiter des lectures qui fe font à l'office divin: atı Hieu que les moines étoient dès-lors clercs pour la plûpart, ou destinez à le devenir. Mais il femble que ceux qui introduifirent cette distinction', ne confideroient pas que l'on peut arriver à la plus haute perfection farrs aucune connoiffance des lettres. La plupart des anciens moines d'Egypte ne fçavoient pas lire, & faint Antoine tout le premier : & faint Arfene s'étant retiré chez eux: Je fçai les fciences des Grecs & des Romains; mais je n'ai pas encore appris l'alphabeth de ce vieillard que vous trouvez fi groffier. On occupoit donc ces freres lais des travaux corporels, du ménage de la campagne & des affaires du dehors; pour prieres on leur prefcrivoit un certain nombre de Pater; à chacune des heures canoniales; & afin qu'ils s'en pûffent acquitter, ils portoient des grains enfilez, d'où font venus les chapelets. Ces freres étoient vêtus un peu differemment des moines, & portoient la barbe longue comme les autres laïques. Les Chartreux eurent de ces freres dès le commencement, auffi-bien que les moines de Grandmont & ceux de Cifteaux; & tous les ordres religieux venus depuis ont fuivi leur exemple. Enfin il a paffé même aux religieutfes, & on diftingue chez elles les filles du chœur & les fœurs converses quoique la même raison n'y foit pas, puisqu'ordinairement elles ne fçavent pas plus de latin les unes que les autres.

.

Ór cette distinction entre les religieux a été une grande fource de relachement : les moines du chœur voyant les freres lais au-deffous d'eux, les ont regardez comme des ignorans & des hommes groffiers deftinez à les fervir, & fe font regardez eux-mêmes comme des feigneurs : car c'eft ce que fignifie le titre Dom, abregé de Dominus ou Domnus, qui, en Italie & en Espagne, eft encore un titre de nobleffe ; & je ne crois pas qu'on le Reg. c. 62. trouve attribué aux fimples moines avant l'onzième fiecle, au moins la regle de faint Benoît ne le donne qu'à l'abbé feul. C'est donc principalement depuis ce temps qu'ils ont crû le travail des mains indigne d'eux, fe trouvant fuffifamment occupez de la priere & de l'étude.

D'un autre côté les freres convers ont été une fource de divifion dans les monasteres, qui étant composez de deux corps fi differens n'ont plus été parfaitement unis. Les freres manquant d'étude, & fouvent d'éducation, ont quelquefois voulu dominer, comme étant plus neceffaires pour le temporel, que le spirituel suppose: car il faut vivre avant que de prier & d'étudier. Vous avez vu ce qui arriva dans l'ordre de Grandmont fous Tome XX.

b

ገ. 28.

Hift. liv. Lxxxv. le pape Innocent III. & comment il fut obligé de réprimer l'infolence des freres, qui vouloient regler même le fpirituel, & l'ordre ne s'eft jamais bien remis de cette divifion. Ce font apparemment de tels exemples qui ont obligé tous les religieux en general à tenir les freres convers fort bas & fort foumis: ce qui eft difficile fans s'élever au-deffus d'eux : l'uniformité de la regle de faint Benoît étoit plus fûre.

nes.

VI.

Les moines ayant abandonné le travail des mains, crûrent que l'étude Etudes des moi- étoit une occupation plus digne d'eux, & l'ignorance des feculiers, même des clercs, les y engageoit par une espece de neceffité. Or ils ne fe bornerent pas à l'étude qui leur étoit la plus convenable, l'écriture fainte & les peres, en un mot la théologie: en quoi ils auroient imité S. Jerôme, & quelques autres anciens moines; mais depuis le huitième & le neuviéme fiecle, ils embrafferent toutes fortes d'études, comme on voit entr'autres par Alcuin. Ils joignirent à la théologie l'étude des canons, qui fait partie de la science ecclefiaftique, mais plus convenable aux évêques & aux prêtres destinez à gouverner les peuples. Les moines ne laifferent pas de s'y appliquer fortement, comme on voit par le fameux Gratien auteur du Decret, & cette étude attira celle du droit civil, principalement depuis la découverte du Digefte, & des autres livres de Juftinien.

Les moines donnerent encore dans une autre étude plus éloignée de leur profeffion, fçavoir la médecine. Rigord moine de faint Denis, étoit phyficien, c'est-à-dire, medecin du Roi Louis le Gros, dont il a écrit l'hitoire; & S. Bernard parle d'un moine de fon ordre, qui s'étoit rendu fameux dans cet art. Je veux croire que les moines avoient commencé à s'y appliquer par charité pour les malades: mais comme il falloit fortir pour les vifiter, c'étoit toujours une fource de diffipation. On peut dire le même de la jurifprudence, qui attiroit au moins des confultations.

Mais s'ils avoient commencé ces études par charité, ils les continuerent par interêt, foit pour conferver les biens de la communauté ou leur propre fanté, foit pour gagner de l'argent comme auroient fait des feculiers. C'eft ce que nous apprend le concile de Reims, tenu par le pape Innocent II. en 1131. qui défend aux moines & aux chanoines réguliers d'étudier les loix civiles ou la médecine; & ajoûte: C'est l'avarice qui les engage à fe faire avocats, & à plaider des causes juftes ou injuftes fans distinction. C'est l'avarice qui les engage à méprifer le foin des ames, pour entreprenHift. liv. LXVIII. dre la guérifon des corps, & arrêter leurs yeux fur des objets dont la deur défend même de parler. Ces défenses furent réiterées au concile de Latran, tenu par le même pape en 1139. & encore au concile de Tours Hift. liv. LXVIII. tenu par Alexandre III. en 1163. on ne défend qu'aux religieux les profeffions de médecin & d'avocat, & non aux clercs feculiers, parce que les laïques en étoient incapables n'érant point lettrez

Can. 6.

n. 9.

Can.

n. 54. c. 8.

Hift. liv. LXX. n. 63.

Hift. liv. LXXIII. n. 54.

pu

Au commencement du fiecle fuivant, on permettoit encore aux religieux d'exercer la fonction d'avocat pour des réguliers, comme on voit au concile de Paris, tenu par le légat Robert de Corçon en 1212. & ce même concile marque un grand relâchement dans les communautez religieufes de l'un & de l'autre fexe. On en voit encore plus au grand concile

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