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du Port qu'il avoit à Ithaque, ce Prince pouvoit fort bien avoir fait la conquête de cette Ifle, qui n'eft pas fort éloignée de la côte d'Afrique où il habitoit.

3°. Il n'eft pas difficile de fe perfuader que ce Prince faifoit un commerce lucratif avec fa flotte, & que Polydecte Roi de Seriphe, foit pour éloigner Perfée, dont il aimoit la mere, foit pour s'enrichir des dépouilles du Prince Libyen, ait engagé ce jeune Heros à entreprendre une expedition où il y avoit beaucoup à gagner, & qu'il lui ait donné quelques vaiffeaux pour aller pirater fur les côtes d'Afrique.

Le voyage de Perfée ne fut pas donc fi difficile qu'on fe l'eft imaginé: il alla de l'Ifle de Seriphe fur les côtes de Libye, où ayant rencontré la flotte de Phorcys, il fe rendit maître de quelqu'un de ses vaiffeaux, & d'une partie de fes richeffes. Que ces vaiffeaux ayent porté les noms de Medufe, de Stheno & d'Euryale, la chofe n'eft pas difficile à croire : les vaiffeaux ont toujours eu des noms. Le dénouement d'une premiere fiction devient fouvent la clef des autres. Ces vaiffeaux étoient chargés, comme l'a très-bien remarqué M. Fourmont, de dents d'élephant, de cornes de poiffons & d'yeux d'Hyénes, que Phorcys échangeoit contre d'autres marchandifes: voilà le myftere de cette dent, de cette corne & de cet œil que les Gorgones fe prêtoient mutuellement ; c'eft-à-dire, que les vaiffeaux arrivés au Port prenoient chacun les marchandises propres au lieu de leur deftination.

Les autres fictions qui accompagnent cette hiftoire vont fe développer d'elles-mêmes. Il est évident d'abord que le voyage de Perfée étoit une expedition maritime, & que ceux qui ont regardé ce Prince comme un cavalier qui avoit dompté le Pegafe, fe font trompés. Ainfi doivent disparoître les conjectures de Bochart & de M. le Clerc, que nous avons rapportées plus haut. Pour aller de l'Ifle de Seriphe fur les côtes de Libye, il falloit des vaiffeaux, non un cheval, & Pegase lui-même étoit un vaiffeau à voiles que Perfée emmena dans la Grece, après s'en être fervi à délivrer

(1) Cœl. Poët. Aftr. 1. 2. c. 18.

Andromede, comme nous le dirons dans la fuite. Pindare
qui eft le premier qui ait dit que Perfée monta fur le Pegase,
& vola à travers la vafte étendue des airs, doit être regar
dé comme un Auteur bien moderne, eu égard à l'ancien-
neté de cette fable; & Ovide qui l'a copié, l'eft encore da-
vantage. D'ailleurs on peut croire avec beaucoup de raison
que fous l'allegorie de cette fiction, ils ont voulu parler l'un
& l'autre d'un bon vaiffeau à voiles qui fendoit les eaux
avec une grande rapidité: volaticus dicitur, quòd navibus ve-
nerit: Virgile nomme élegamment des ailes les voiles des
vaiffeaux, remigio alarum. Si Hefiode, & après lui les au-
tres Poëtes difent que Pegafe nâquit du fang de Meduse
c'est que Perfée n'emmena le vaiffeau qui portoit ce nom,
qu'après un rude combat où il fut beaucoup répandu de
fang. Il étoit dans un fens l'enfant de cette Gorgone, parce
qu'il étoit de la flotte de Phorcys fon pere. Lorfqu'Hygin
ajoute (1) que Neptune étoit fon pere, on voit affez qu'il
a voulu dire qu'un fi beau vaiffeau étoit regardé comme
l'ouvrage du Dieu de la mer. Si Paufanias dit que ce fut
Minerve qui dompta le Pegase, on peut croire qu'il a voulu
nous faire entendre qu'il a fallu à Perfée une grande pru-
dence pour fe fervir utilement d'un vaiffeau à voiles, dont
l'usage lui étoit alors inconnu; car Dedale qui le premier se
fervit dans la Grece de pareils vaiffeaux, n'étoit
pas encore
au monde. Enfin fi, felon Ovide, Perfée monta le Pegase
pour fon expédition de Mauritanie, on comprend affez que
c'eft d'un vaiffeau, non d'un cheval qu'il a voulu parler: car
on ne fort point d'une Ifle, & on ne traverse point les mers
à cheval.

Mais, dira-t-on, Hefiode raconte que dès que le Pegafe fut né, il quitta la terre & s'envola vers le féjour des Immortels? Je réponds d'abord, que quand il ne feroit pas poffible d'expliquer toutes les circonftances d'une fable si compliquée, & en même temps fi myftérieufe, que M. le Clerc a été obligé d'avouer qu'il faudroit le fil d'Ariadne pour fortir d'un tel labyrinthe, les explications qu'on vient de donner des autres circonftances, n'en feroient pas pour cela

moins

moins vraisemblables; mais celle-là même peut être amenée à un sens raisonnable, en difant que Perfée de retour dans la Grece, pour remercier les Dieux d'un fi heureux voyage, confacra la proue du vaiffeau Pegafe dans le Temple de Jupiter, fuivant la coutume immémoriale de porter dans les Temples de ces fortes d'offrandes. Que fi ce Temple étoit fur le mont Olympe, qui étoit regardé comme le Ciel, & le féjour des Dieux immortels, on n'auroit rien à défirer fur cette circonftance. Pour ce qui eft des Poëtes pofterieurs à Hefiode, qui ont prétendu que Pegafe s'envola fur le Parnaffe, où il fit fortir d'un coup de pied la fontaine Hippocrene, & devint fi fameux dans la fuite avec Apollon & les Mufes, on peut croire que Perfée confacra auffi dans le Temple d'Apollon, qui étoit fur cette montagne, quelqu'autre partie de fon vaiffeau.

La hardieffe avec laquelle j'entreprends d'expliquer toutes ces fictions, autorifera le Lecteur à me demander compte des autres, & je veux bien le fatisfaire fur quelques-unes. Pourquoi Ovide, me dira-t-on, avance-t-il que du fang de la tête de Medufe fortit le corail? Je reponds que c'eft parce que Perfée en trouva dans les mers où il voyagea, & que ce fut fa victoire qui lui en facilita la pêche & le commerce. Mais qu'entend le même Poëte, en difant que les monftres & les ferpens d'Afrique fortirent des gouttes de fang que répandit la tête de Meduse? C'eft que Perfée trouva & enleva des vaiffeaux qui portoient les noms étranges de quelques monftres, ou de quelques ferpens. Si Hesiode dit que Phorcys avoit cinq filles, dont deux vinrent au monde avec des cheveux blancs, & furent pour cela nommées Grées (a), & dont les trois autres, qu'il nomme Gorgones, habitoient au-delà de l'Ocean, c'eft que la flotte de ce Prince étoit compofée de cinq vaiffeaux; les deux premiers comme plus vieux, ne s'éloignoient pas du Port; les trois autres étoient deftinés pour les voyages de long cours. Enfin pour Chryfaor, qui fortit avec Pegafe du fang de Medufe,

(4) Voyez les Notes de M. le Clerc fur cet endroit. Tome III.

P

tenant une épée d'or à la main, comme le dit le même Poëte, j'adopte volontiers l'explication qu'en a donnée M. Fourmond, qui le regarde comme un habile Ouvrier qui travailloit en or & en yvoire ; ce que l'épée d'or, qui lui fit donner le nom de Chryfaor, marque affez; fon nom même veut dire un ouvrier en métaux. Phorcys s'en fervoit pour mettre en œuvre les dents d'élephant, & les cornes d'autres animaux que fes vaiffeaux lui portoient. Oferoit-on même hazarder une conjecture au fujet de l'épée d'or, avec laquelle Chryfaor, vint au monde, & dire que ce fut avec cette épée qu'il parut pour la premiere fois à la Cour de Phorcys? Si le même Poëte dit que Chryfaor époufa la belle Callirhoé fille de l'Ocean, de laquelle il eut Geryon, c'eft que Phorcys pour fixer un fi bon ouvrier dans fes Erats, lui procura un parti confidérable car enfin il faut humanifer ces fictions, & croire qu'on agiffoit alors comme on agiroit aujourd'hui en pareille occafion.

Enfin qu'a-t-on voulu nous apprendre lorfqu'on a dit que la tête de Medufe convertiffoit en pierres tous ceux qui la regardoient? Je pourrois repondre d'abord, que c'est une fable morale par laquelle on a voulu marquer l'étonnement où étoient ceux qui voyoient Perfée revenir victorieux d'une expédition fi dangereufe. En effet les grandes surprises (1) Liv. des nous rendent immobiles. Mais Palephate (1), indépendam

chofes in

croyables.

ment de cette moralité, nous apprend une circonftance qui peut fervir de dénouement à cette fable. Les habitans de l'Ile de Seriphe, dit-il, voyant venir Perfée avec la tête de Medufe fur la proue de fon vaiffeau, abandonnerent l'Ifle; & ce Heros étant entré, & n'y ayant trouvé que des pierres & des rochers, publia la métamorphofe de ces Infulaires. Bochart, après Euftathe, a plus approché du but que Palephate, en difant qu'elle n'eft fondée que fur l'étymologie du nom de l'Ile de Seriphe, qui veut dire, pierreufe, & que Tacite pour cela nomme, non une Ifle, mais un Rocher, faxum Seriphium. Que fi on ajoute à cette idée que Perfée fit perir Polydecte, pour venger fa mere qu'il avoit apparemment contrainte de l'époufer, quelque répugnance

ce qu'elle eût pour cette alliance, & écarta, ou ôta la vie à la plupart de fes Courtifans, on n'aura pas de peine à concevoir qu'on a pû écrire cet évenement comme une vraie métamorphofe.

Lorfqu'Ovide dit que la tête de Medufe avoit auffi petrifié quelques plantes de Corail fous lefquelles Perfée l'avoit cachée, avant que d'entreprendre la délivrance d'Andromede, & les avoit rendues rouges : c'eft une circonftance phyfique, qu'on pénetre aifément lorsqu'on fçait que le Corail eft une Plante molle dans la mer, qui fe durcit à l'air & prend les couleurs que nous lui voyons.

Après la conquête que nous avons racontée, ce Heros, dit Ovide, paffa par la Mauritanie, où regnoit le fameux Atlas. Ce Prince averti par un Oracle de fe donner de garde d'un fils de Jupiter, lui refufa les droits de l'hofpitalité; & Perfée lui ayant montré la tête de Medufe, le petrifia, c'eft-à dire, le fit perir dans les montagnes qui portent fon nom, & enleva les pommes d'or du Jardin des Hefperides, qui étoit gardé par un dragon que Junon leur avoit donné.

Plufieurs Auteurs fe font appliqués à rechercher dans les descriptions des Anciens, où étoient les Jardins des Hefperides, & chacun a crû en trouver la véritable fituation. Rudbeck s'eft imaginé qu'ils étoient près de la mer Baltique. D'autres les ont placés dans le fond de l'Afrique, & & au-delà des Ifles du Cap-vert. Saumaife a crû qu'ils étoient près du Détroit de Gibraltar. Mais il y a plus d'apparence que c'étoit dans cette partie de l'Afrique, qu'on nomme la Mauritanie Tingitane, entre l'Ocean & l'extrêmité du mont Atlas, qui eft à prefent le Royaume de Maroc : c'est le fentiment le plus conforme à l'autorité des Anciens, & la beauté du pays confirme cette conjecture; le nom même d'Hefperides qu'on donne à ces Jardins, marque qu'ils étoient près du lieu où l'on croyoit que le Soleil alloit tous les foirs fe coucher, comme nous l'avons dit ailleurs. Hefiode dans la description qu'il fait de ces Jardins, ne laiffe aucun lieu de douter de cette conjecture. Atlas, dit cet ancien Poëte (1), foutient le Ciel aux extrêmités de la terre, près du (1) Theog. pays des Hefperides.

Pij

V.517.

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