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efclave d'Helene depuis le temps que Caftor & Pollux avoient délivré leur foeur à qui Thefée l'avoit confiée. Je fçais que Plutarque contredit les Auteurs qui l'affûrent ; mais un monument hiftorique rapporté par Paufanias (a), fait voir que c'étoit une tradition reçue. Če monument étoit un Tableau de Polygnote, qui repréfentoit la prife de Troye, & dans lequel parmi plufieurs autres perfonnages, on voyoit à côté d'Helene, Athra mere de Thesée, la tête rafe, & Demophoon fils de Thefée, qui, autant qu'on en pouvoit juger par fon attitude, méditoit comment il pourroit la délivrer. Le Poëte Lefchée, duquel le Peintre avoit appris ces faits, comme le remarque Paufanias, difoit dans fes Poëfies, qu'après la prise de Troye, Æthra étoit venue dans le camp des Grecs ; qu'elle y fut reconnue par Demophoon fils de Thefée, qui demanda fa liberté à Agamemnon qui la lui accorda après en avoir reçu le confentement d'Helene. Ce fait, s'il eft vrai, eft le plus propre de tous à rapprocher les deux événemens dont je parle: car voilà la mere d'un contemporain des Argonautes, qui vivoit encore après la prife de Troye. Au reste, pas le feul Paufanias qui attefte ce fait, puifqu'on le trouve dans les Poëtes Tragiques, dans Lefchée, dans Cléon (1), & dans l'Hiftorien Ifthor (2).

ce n'eft

(1)Var. hift.

Si nous en croyons Servius, voici encore un Argonaute 1.4.c.s.. qui vivoit encore après la prife de Troye : c'eft Eryx, qu'E- (2) Attic.l.3. née rencontra en Sicile. Enfin fi l'Argonaute Pelée n'affifta pas à la guerre de Troye, il étoit cependant encore plein de vie, & furvécut de plufieurs années à la prife de cette ville, puifque la Chronique de Paros obferve que ce fut fept ans après, qu'il chaffa de fa Cour fon fils Teucer.

Tels font les Argonautes ou leurs contemporains qui ont affifté, ou ont pu se trouver aux deux expeditions; ainsi en ne mettant que trente-quatre ou trente-cinq ans entre l'une & l'autre, ces Heros, encore fort jeunes à la premiere, auront eu la plûpart cinquante-cinq ou foixante ans à la fin de la feconde, quelques-uns plus, quelques-uns moins, & c'est à

(4) In Phocic. V. auffi les Auteurs Tragiques qui rapportent le même fait.

peu

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près dans cet âge qu'Homere nous les repréfente; que fi Priam, Neftor & quelques autres étoient plus vieux, c'est qu'ils étoient déja des hommes faits au temps de la guerre des Centaures, & de celui du voyage de la Colchide, pendant que la plupart des autres, comme Caftor & Pollux, étoient dans la premiere jeuneffe. A propos de quoi il est bon d'obferver que quand le Poëte que je viens de nommer dit Neftor avoit vû deux âges d'homme, & qu'il vivoit alors dans le troifiéme, il veut marquer qu'il avoit vû couler deux générations, c'eft-à-dire, foixante ou foixante & six ans; & s'il étoit au milieu de la troifiéme, il avoit environ 75. ou 80. ans.

que

Prefque tous les autres chefs de l'armée des Grecs étoient fils des Argonautes ou de leurs contemporains. Teucer & Ajax étoient fils de Telamon qui s'étoit embarqué avec les Argonautes. Schedius & Epiftropius, avoient pour pere l'Argonaute Iphitus: Agapenor étoit fils du Pilote Ancée: Thefpius, d'Eurytus, Thoas, d'Andremon: Tlepoleme, d'Hercule & d'Aftioché: Achille que tous les Anciens conviennent avoir été au fiége de Troye dans le temps qu'il étoit encore fort jeune, étoit cependant né avant le départ des Argonautes aufquels Chiron le préfenta, comme nous l'avons dit, & dès-là on doit conclure qu'il avoit lorfqu'Ulyffe le reconnut dans l'lfle de Scyros, & le conduifit à Troye, environ trente-cinq ans ; ce qui s'accorde parfaitement avec l'âge de Pyrrhus fon fils; qui pouvoit avoir 17. à 18. ans lorsqu'il arriva à Troye, à la dixième année du fiége.

Podarce étoit fils de l'Argonaute Iphiclus : Eumelus, d'Admete, contemporain de Jalon: Polypete, de Pirithoüs: Diomede, de Tidée: Ulyffe, de Laërte auffi contemporain de Jafon; & fi Glaucus n'étoit que petit-fils de Bellerophon, il eft sûr que fon pere Hippolochus vivoit encore. Enfin, Calchas avoit pour pere l'Argonaute Teflor, & tous ces fils étoient, fuivant Homere, à la fleur de leur âge. Je ne dis rien des petits-fils, qui ne font qu'au nombre de deux ou trois, & dont quelques-uns avoient même encore leurs grands-peres. J'ai donc raifon de foutenir qu'il n'y avoit entre ces deux

expeditions, que trente-quatre ou trente-cinq ans, ou, pour parler le langage de ce temps-là, que la derniere n'arriva qu'une génération aprés la premiere ; & j'ofe défier ceux qui font d'un fentiment contraire, de rien oppofer d'auffi certain que les Syncronifmes que je viens de propofer. Je fçais qu'il y a de grandes difficultés à accorder la chronologie du fiécle dont il s'agit; mais difficultés pour difficultés, elles font beaucoup moindres dans l'opinion que j'ai établie, que dans -toutes les autres.

LA

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Suite des avantures de Jafon & de Medée.

A fuite de l'Hiftoire de Jafon,eft racontée par les Anciens de tant manieres differentes, qu'il eft bien difficile d'établir quelque chofe de certain à ce fujet, depuis le retour des Argonautes; celle de Medée fur-tout eft mêlée d'une infinité de fictions qui fe détruifent les unes les autres. Ici c'eft une Princeffe cruelle & inhumaine, la meurtriere de fon frere & de Pelias, qu'elle obligea fes propres filles d'égorger fous prétexte de vouloir le rajunir; de fa rivale qu'elle fit perir miferablement, & de fes propres enfans qu'elle immola à fa jaloufie (1). Là c'eft une perfonne vertueufe, qui n'a d'autre ) Eur. Ocrime que l'amour qu'elle eut pour fon époux, qui l'abandonna lâchement, malgré les gages qu'il avoit de fa tendréffe, pour époufer la fille de Créon; une femme qui bien differente de Circé fa tante (2), n'employoit les fecrets qu'He- (2) Diod. de cate fa mere lui avoit appris, que comme des remèdes fa- Sicile. lutaires à ceux qui venoient la confulter, pendant que Circé faifoit fervir à fa vengeance les connoiffances qu'elle avoit acquifes, ou pour parler le langage de la fable, que le Soleil fon pere lui avoit communiquées.

Enfin, une Reine abandonnée, perfécutée, qui après avoir eu inutilement recours aux garants des promeffes & des fer

vid. &c.

mens de fon époux, eft obligée d'errer de cour en cour, & enfin de paffer les mers pour aller chercher un afyle dans des pays éloignés: auffi ceux qui l'ont chargée d'un plus grand nombre de forfaits, n'ont pû s'empêcher de reconnoître que née vertueufe, elle n'avoit été entraînée au vice que par une efpece de fatalité, & par le courroux des Dieux, fur-tout de Venus qui perfecuta fans relâche toute la race du Soleil qui avoit découvert fon intrigue avec Mars. De-là ces paro(1) Trag. de les de Racine: 6 haine du Soleil (1)! de-là encore, ce bel endroit d'Ovide (2): Video meliora proboque; deteriora fequor. qu'un de nos Poëtes lyriques a heureusement imité dans ces deux vers:

Phedre.

(2) Met.

1. 17.

Le deftin de Medée est d'être criminelle,
Mais fon cœur étoit fait pour aimer la vertu.

On accufe, & c'eft, je crois, à jufte titre, les Anciens Tragiques, d'avoir corrompu l'Hiftoire de cette Princesse, & d'en avoir entierement défiguré le caractere, comme on le verra dans la fuite. Il faut à ces Poëtes du tragique, du pathetique & de ces crimes énormes,qui en formant leur perfonnages odieux, font fufceptibles de ces coups de théâtre fi propres à produire la pitié & la terreur. Autorifés par quelques traditions qui étoient favorables à leur deffein, quoique moins accréditées que d'autres qui n'auroient pu les fervir à fouhait, ils les faififfoient avidement, & fans s'embarraffer de l'exacte verité, ils ont fait paffer jufqu'à nous l'Hiftoire de Medée fous le caractere le plus odieux, & les Poëtes modernes n'ont pas manqué de les imiter.

Tâchons de démêler la verité d'avec le menfonge, pefons les autorités, & laiffons au Lecteur la liberté de juger fi cette Princesse a été auffi méchante qu'on le prétend.

A commencer par le meurtre d'Abfyrthe, j'ai fait voir qu'il étoit raconté differemment par les Poëtes; que l'Hiftoire des membres de ce jeune Prince épars fur la route, étoit une pure chimere; mais voici un fait raconté par Herodote, dont les conféquenfes naturelles font voir que j'ai raison d'en

avoir cette idée Ce fçavant & judicieux Auteur dit qu'Eetès voyant que ceux qu'il avoit envoyés contre les raviffeurs de fa fille, n'avoient pu les rencontrer, crut que pour en avoir raifon, il devoit envoyer des Ambaffadeurs dans la Grece. Ces Députés y arriverent en effet, mais comme les Argonautes avoient juré avant que de fe féparer de fe foutenir les uns les autres, & qu'ils étoient les plus forts, les Ambassadeurs du Roi de Colchide n'eurent d'autre réponse, finon que comme on n'avoit fait aux Grecs aucune reparation du rapt d'Io fille d'Inachus, que des Marchands Pheniciens qui étoient venus trafiquer à Argos, avoient enlevée, ils n'étoient pas refolus de leur donner aucune fatisfaction. Il ne paroît pas que depuis cette réponse le Roi de Colchide fe foit donné aucun autre mouvement pour r'avoir fa fille. Cette ambaffade fuppofe que le Prince auroit été charmé de revoir fa fille, qu'il auroit eu raifon de regarder comme un monftre, fi elle avoit trempé les mains dans le fang de fon frere.

Cependant la mort de Pelias, dont on venoit de célebrer les funerailles avec tant de pompe & d'appareil, laiffoit le trône vacant, & il étoit dû de droit à Jafon; mais apparemment que le parti de fon coufin Acafte étoit le plus fort, & il ne paroît pas qu'il l'ait partagé avec lui, comme il auroit dû le faire, ou le lui rendre en entier, puifque fon pere n'en avoit joui que pour l'avoir ufurpé fur Efon. Jason fe voyant ainsi privé d'un bien qui lui appartenoit, & n'étant pas affez puiffant pour l'obtenir de force, s'embarqua avec Medée, & fe retira à Corinthe où il avoit des amis, & même quelques prétentions à la couronne, par fa femme, comme nous le dirons dans la fuite.

Diodore de Sicile en penfe de même fur l'autorité de Simonide, & prétend que ce furent les Corinthiens eux-mêmes qui inviterent Medée à venir prendre poffeffion d'un trône qui lui appartenoit, ou en partager du moins l'autorité avec Créon, qui en étoit en poffeffion. Voilà encore un fait attesté par d'anciens Auteurs qui détruit une autre calomnie publiée contre Medée par Ovide, Apollodore, Paufanias & quelques autres.

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