pour appaiser le Dieu de la mer, il falloit expofer à un monftre une fille du fang royal; & le fort étant tombé fur Hefione fille de ce Prince, Hercule s'offrit de la délivrer, moyennant un attelage de chevaux que Laomedon lui promit, & il fut affez heureux pour y réuflir: mais le Roi n'ayant pas tenu fa parole, il faccagea la ville, enleva Hefione qu'il fit époufer à Telamon, tua Laomedon, & donna fa couronne à Podarce fon fils, à la priere de la Princesse qui le racheta, & qui pour cela fut appellé Priam. Ce monftre, au reste, qui ravageoit la ville de Troye, étoit la mer, qui faute de digues inondoit la campagne, & avoit apporté la contagion jufques dans la ville. On obligea le Roi de promettre fa fille à celui qui arrêteroit ces débordemens. Hercule l'entreprit & en vint à bout, & c'est ce qui donna lieu à la Fable. Mais, pour le dire ici en paffant, cette convention doit s'entendre de quelques-unes des meilleures Galeres du Prince Phrygien, que ce Heros demandoit pour récompense de ses fervices; & cette conjecture fe prouve non-feulement parce qu'il n'y a nulle apparence qu'il fe fût contenté de fix chevaux, pour avoir fauvé la ville de Troye, mais auffi parce que les Poëtes difent que ces chevaux de Laomedon étoient fi légers qu'ils marchoient fur les eaux; ce qui ne peut s'entendre que d'un Vaiffeau à voile, ou d'une Galere. Tout le monde convient de cette expedition d'Hercule fur la ville de (1) Liv. 1. Troye; mais Diodore (1) croit que ce Heros la fit avec les autres Argonautes : il ajoute qu'ils laifferent Hefione entre les mains de Laomedon, jufqu'à leur retour; qu'Hercule & Telamon l'étant allés redemander, ce Prince leur avoit fait fermer les portes, & qu'ils le punirent de la maniere que nous l'avons dit. Caf. Il n'eft pas difficile de comprendre ce qu'a voulu dire Ly. T2) Dans fa cophron (2), lorfqu'il raconte que le monftre dont nous venons de parler, dévora Hercule, qui demeura trois jours dans fon corps, & qu'il en fortit tout épilé. On voit bien que c'eft une mauvaise imitation de l'hiftoire de Jonas: ou plutôt, cette fable n'a d'autre fondement, finon qu'Hercule employa trois jours à élever des digues; & qu'on dit qu'il fe jetta dans la ventre de ce monftre, parce que lui & fes compagnons fe mirent dans l'eau pour y planter les pilotis; ou bien, fi l'on veut fuivre l'idée de Palephate, qui dit qu'Hefione fut enlevée par un Corfaire, on peut dire qu'Hercule pour le délivrer fe jetta dans fon Vaiffeau, qui s'appelloit peutêtre la Baleine, & qu'il y fut bleffé. N'oublions pas de dire que les Troyens, pour garantir Hercule de la fureur de ce monftre, avoient fait un retranchement où il pouvoit fe retirer, quand il fortoit de la mer pour pour le pourfuivre ; ouvrage que le Poëte attribue à Minerve, la Déeffe des Arts, & qui fubfiftoit encore au temps du second fiége de cette villé. Ce fut là que Junon & Neptune allerent fe placer pour être fpectateurs du combat qu'Achille donna après fa réconciliation. En finissant ces mots, c'eft Neptune qui parle à Junon (1), il marche le premier vers le lieu appelle (1) Iliad.lv. le retranchement d'Hercule, que Pallas & les Troyens avoient fait autrefois, afin qu'il fe mît à couvert de la Baleine, quand ce monftre dévorant quitteroit le rivage pour le poursuivre, & fe jetter fur lui. Ce retranchement, ou ce fort, avoit été conftruit par les Troyens, pour fe garantir des courfes de ce Corfaire, & Hercule s'en fervit utilement. Je ne parle pas ici de plufieurs autres exploits dont on charge l'Hiftoire de notre Heros: les villes prifes; les Tyrans punis; les Monftres domptés; les Princes rétablis dans leurs Etats; de nouvelles villes bâties dans plufieurs endrois ; le cours des Rivieres ou détourné, ou remis dans fon lit; dé nouveaux chemins faits dans des lieux inacceffibles; des colonies tranfportées dans differens pays, étoient, au rapport de Denys d'Halicarnaffe (2), les actions les plus ordinaires de fa vie: mais je ne fçaurois paffer fous filence, ce qui lui arriva au fiége de Meffene, où il fit perir tous les enfans de Nelée; & de douze qu'ils étoient, il ne refta que Neftor qui étoit absent. L'avanture du dernier qui fut tué eft finguliere; il fe nommoit Periclymene. Hefiode (3) Apollonius (4), & après eux Ovide (5), difent que ce jeune Prince avoit reçu de Neptune le pouvoir de fe métamorphofer en plfiueurs 20. (2) Liv. 1: Tue les en fans deNelée. (3) InScuro. Met..11, In Argon. figures. Il fe changea, felon eux, pour éviter les coups du redoutable Alcide, en fourmi, en moûche, en abeille, en ferpent; & tout cela lui fut inutile: il crut pouvoir s'échaper des mains de fon ennemi en prenant la figure d'un Aigle: mais Hercule, felon les Auteurs Latins, le tua d'un coup de (1) Lylio fléche, ou felon les Auteurs Grecs, d'un coup de maffue (1); fable par laquelle nous apprenons les differents tours d'adref fe qu'employa le fils de Nelée pour se garantir d'une mort inévitable, dont fa fuite ne put le fauver. Giraldi. Hercule, au rapport d'Elien, faccagea la ville de Meffene, pour se venger du refus que Nelée & fes enfans avoient fait de l'expier d'un meurtre qu'il avoit commis, & ce même Auteur ajoute qu'il n'épargna le jeune Neftor, & ne lui rendit le Royaume de fon pere, que parce qu'il n'avoit pas été du complot de ses autres freres; ce qu'il regarde comme une grande marque de generofité & de reconnoiffance, fans faire attention que cet acte de juftice, n'efface pas la cruauté inouie de ce Heros, qui facrifie un Prince & onze de fes enfans au refus d'une expiation, dont apparemment il n'étoit pas jugé digne. Son combat à Sparte avec Hippocoon & fes enfans, qu'il tua pour venger la mort d'Eonus fils de Lycimnius, frere de (2) In Lacon. fa mere, eft encore très-célébre dans Paufanias (2). Eonus étant allé à Sparte, & paffant devant la maison d'Hippocoon, fon chien voulant le mordre, il lui jetta une pierre, & fes enfans étant accourus, l'affommerent à coups de bâton. Hercule vint fondre fur eux; mais ayant été bleffé dans la mêlée, il fut obligé de fe retirer. Quelque temps après il revint avec main forte, maffacra Hippocoon & fes enfans; & n'ayant point trouvé Junon contraire à fa vengeance, il lui bâtit un Temple, & lui immola une chévre; d'où eft venu le furnom de Junon Egophore, ou qui mange de la chair de chèvre, furnom que lui donnoient les Lacédemoniens. Son combat à la lutte contre Eryx qu'il vainquit en Sicile, où il avoit fait paffer à la nage les boeufs de Geryon par le détroit de Scylla, n'eft pas moins célebre. Les conditions étoient que fi Hercule étoit terraffé, fes boeufs appartiendroient à Eryx; & que fi c'étoit celui-ci qui fût vaincu, Hercule feroit maître du pays (1). Les Atheniens envoyerent dans la fuite Dorycus prendre poffeffion de ce canton de la Sicile, nomme l'Erycie à caufe d'Eryx; mais les Egeftéèns le maffacrerent. Enfin Hercule après avoir pris un grand nombre de villes & executé les travaux qu'Euryfthée lui avoit ordonnés, devint amoureux d'Iolé, fille d'Euryte, & ce Prince la lui ayant refusée, il subjuga l'Echalie, enleva cette Princeffe, & tua le Roi. Etant de retour de cette expedition, il envoya Lychas pour chercher fes habits de céremonie, dont il avoit befoin dans un facrifice qu'il vouloit faire. Dejanire jalouse de l'amour qu'il avoit pour Iolé, lui envoya ou un Philtre, qui le fit mourir, ou une tunique enduite d'un certain bitume qui croiffoit près de Babylone, & qui lorsqu'il étoit échauffé se coloit à la peau: ou, fi l'on ne veut pas s'éloigner des Anciens, & fur-tout de Diodore, une tunique teinte du fang du Centaure Neffus, qu'il avoit tué d'un coup de fléche, lorfqu'après avoir paffé fur fon chevrl fa femme Dejanire au-delà du fleuve Evene à fon retour de Calydon (a), il voulut faire infulte à cette Princeffe : & comme les fléches d'Hercule étoient empoisonnées, ainfi que nous l'avons dit, le fang qui fortit de fa playe l'étoit auffi, & ce Cavalier fit croire à Dejanire que cette tunique ferviroit pour empêcher fon mari d'aimer d'autres femmes. Quoiqu'il en foit, Hercule ayant pris cette tunique tomba dans une maladie défefperée, tua Lychas (b), s'en alla à Trachine, où il s'étoit retiré depuis fon exil de Calydon, obligea Dejanire à fe pendre; & ayant confulté l'Oracle fur fa maladie, il n'en eut d'autre réponse, finon qu'il devoit aller avec fes amis fur le monr Eta, & y élever un bûcher. Il comprit le fens de l'Oracle, & fe mit en devoir de l'executer. Philoctete alluma le feu où notre Heros fût brûlé. Ainfi mourut le vaillant Alcide, environ trente ans avant la guerre de Troye, comme je l'ai prouvé en établiffant l'époque de l'expedition des Argonautes. Il n'étoit âgé que de cinquante-deux ans (a). Quelques-uns croyent qu'il mourut à la cour de Ceyx, & qu'on alla brûler fon corps fur le mont Eta, à la maniere du pays. Dejanire ne lui furvécut pas long-temps: elle mourut à Trachine, & fut enterrée au bas du mont Eta, près de la ville qui dans la suite fut (1) In Co- nommée Herculée, ou, felon Paufanias (1), étoit fon tombeau. rinth, Toute l'Antiquité convient affez de la maniere dont mourut Hercule; mais comme fa mort a donné lieu à une belle Tragedie de Sophocle, intitulée les Trachiniennes, & à deux autres de Seneque, fous les titres d'Hercule furieux, & d'Hercule fur le mont Eta, nous devons nous y arrêter quelque temps. Ovide fait recevoir à ce Heros fur le mont Eta le prefent fatal de Dejanire, & y meurt fans abandonner ce lieu; mais Sophocle le fait aller à Trachine, où il arrive dans le temps que Dejanire venoit de fe percer le fein; & là, devopar le poifon fecret qui le confume, il fait contre elle cette plainte remplie d'imprécations qu'Ovide rend très-bien, & Seneque, à fon ordinaire, avec beaucoup d'emphase & peu de bon fens. Ovide l'a même embellie de cette belle penfée, ré Defeffa jubendo eft Sæva Jovis conjux, ego fum indefeffus agendo. La cruelle époufe de Jupiter s'eft plutôt laffée de m'impofer de rudes travaux, que moi de les executer. Ciceron, ou felon d'autres, Attilius, ont jugé cette plainte digne d'exercer leurs plumes & . l'ont traduite en latin. Le Lecteur, ne fût-ce que pour se dédomager de la féchereffe des difcuffions, ne fera pas fâché fans (2) Apollod. doute de la trouver ici en françois (2) O entreprise inouie d'une femme! ô Dejanire, faut-il que je fois ta victime! Non, Liv. 2. (a) Eufile & Ifidore, in Chronic. après Manethon. сс |