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fête de Thefée : honorant ainsi, comme le remarque Plutarque, avec plus de raison & de justice, la mémoire de celui qui avoit formé leur Heros, que Silanius & Parrhafius qui n'en avoient fait que des ftatues & des portraits.

Lorfqu'Ethra fa mere vit fon fils grand, & robufte, elle le conduifit au lieu où fon pere avoit caché fon épée : il leva la pierre, prit l'épée de fon pere, & réfolut d'aller se faire reconnoître à Athenes, malgré les remontrances de fon grandpere, qui lui représentoit le danger où il alloit s'expofer, les chemins par où on pouvoit aller du Péloponnefe à Athenes étant remplis de voleurs, à caufe de l'abfence d'Hercule qui étoit alors en Lydie chez Omphale. Pithée n'oublioit donc rien pour faire changer de deffein à fon petit-fils, ou l'obliger du moins d'aller par mer. Il lui peignoit ces brigands un après l'autre, & lui racontoit tous les traitemens qu'ils faifoient aux étrangers; mais il y avoit déja long-temps que la gloire & la vertu d'Hercule lui avoient fecretement enflammé le courage. Il n'eftimoit rien au prix de lui, & étoit toujours prêt à écouter ceux qui lui racontoient quel perfonnage c'étoit, & fur tout ceux qui l'avoient vû, & qui pouvoient lui apprendre quelque particularité de fa vie, dont ils euffent été les témoins. Auffi l'admiration que lui donnoit la vie d'Hercule, faifoit que fes actions lui revenoient la nuit en fonge, & qu'elles le piquoient le jour d'une noble émulation, & excitoient en lui un violent defir de l'imiter.

La parenté qui étoit entr'eux augmentoit encore fon émulation; car ils étoient fils de deux coufines germaines, fa mere Ethra étant fille de Pithée, & Alcmene fille, de Lyfidice. Or Lyfidice & Pithée étoient enfans d'Hippodamie & de Pelops. Il trouvoit donc que ce feroit une chofe honteufe & infupportable, qu'Hercule eût cherché par tout le monde les brigands, qu'il en eût purgé la terre & la mer, & que pour lui, il évitât même ceux qui fe prefentoient fur fon chemin; que par ce lâche embarquement il deshonorât la mémoire de celui que le bruit du peuple faifoit paffer pour fon pere, & ne portât à fon veritable pere, pour toutes enfeignes, que des fouliers & une épée, au lieu de paroître devant lui comblé de

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gloire. Ainfi il partit courageufement, réfolu de n'attaquer perfonne, mais de fe bien défendre.

Il ne fut pas long-tems à trouver des avantures: comme il paffoit par les terres d'Epidaure, près du golfe Sarronique, qui étoit le chemin qui conduifoit de Trezene à l'Ifthme; Periphetès qui avoit une maffue pour armes, & qui à cause de cela étoit appellé le Porteur de Maffue, eut l'infolence de mettre la main fur lui & de l'arrêter: Thefée le combattit & le tua, & ravi d'avoir gagné cette maffue, il la porta toujours, comme Hercule porta la peau du Lion. Cette peau fervoit à faire connoître l'énorme grandeur de la bête qu'Hercule avoit tuée; & la maffue que portoit Thefée, faifoit voir qu'elle avoit pû être prife entre les mains de Periphetès, mais qu'elle étoit devenue imprenable entre les fiennes. De-là traverfant l'Ifthme de Corinthe, il punit Sinius, le Ployeur de Pins, de la même maniere dont ce Géant avoit fait mourir plufieurs paffans. Ce n'eft pas qu'il eût jamais appris rien de femblable, ni qu'il s'y fût exercé; mais il fit voir par cet effai que la vertu eft toujours au-deffus de l'art & de l'exercice. Ce Sinius avoit une grande fille fort belle, nommée Perigone, qui avoit pris la fuite voyant fon pere mort: Thefée couroit de tous côtés pour la chercher; mais elle s'étoit jettée dans un bois épais qui étoit tout plein de rofeaux & d'afperges, qu'elle invoqoit avec une fimplicité d'enfant,comme s'ils l'euffent entendue, les priant de la bien cacher & de l'empêcher d'être apperçue, & leur promettant avec ferment que s'ils lui rendoient ce fervice, elle ne les arracheroit ni ne les brûleroit jamais. Cependant Thefée l'appelloit & lui donnoit fa parole qu'il auroit foin d'elle, & qu'il ne lui feroit aucun déplaifir. Perigone touchée de ces promeffes, fortit du milieu de ces brouffailles, & alla fe rendre à lui: Thefée en eut un fils qui fut appellé Menalipe. Il la donna enfuite en mariage à Deionée, fils d'Eurytus Roi d'Echalie. De ce mariage nâquit Ioxus, lequel avec Eurytus fut chef de la Colonie qu'on mena en Carie, d'où font venus les Ioxides, qui de pere en fils ont confervé la coutume de n'arracher & de ne brûler ni les afperges ni les rofeaux ; mais d'avoir au contraire pour eux une

efpece de religion, & une vénération particuliere.

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Il y avoit alors à Crommyon une Laye qu'on appelloit la Phaye, qui n'étoit nullement une bête à méprifer, car elle étoit très-dangereufe, & très difficile à vaincre. Thesée la combattit & la tua en chemin faifant, afin qu'on ne crût pas que la néceffité feule lui fit entreprendre tout ce qu'il executoit; & perfuadé d'ailleurs qu'un homme de bien doit combattre les méchants, pour se défendre feulement de leurs outrages, mais qu'il eft obligé de chercher les bêtes les plus courageuses, & de les attaquer le premier. D'autres ont pourtant écrit que cette Phaye étoit une femme de Crommyon qui fe proftituoit à tous venans, & qui vivoit de meurtres & de brigandages; qu'elle fut appellée Laye, à caufe de fes mœurs corrompues & de la méchante vie qu'elle menoit, & qu'enfin elle fut mise à mort par Thefée.

Près des frontieres de Megare il défit Sciron, & le précipita du haut des rochers dans la mer, parce qu'il détrouffoit les paffans, ou felon d'autres, parce que par une infolence & un orgueil infupportable, il prefentoit fes pieds aux étrangers, leur ordonnoit de les lui laver, & pendant qu'ils le faifoient, il les pouffoit & les précipitoit du haut des rochers. Il est vrai que les Hiftoriens de Megare, combattant contre la longueur du temps, comme dit Simonide, s'opposent à cette tradition, & foutiennent que Sciron ne fut ni un brigand, ni un méchant homme; mais au contraire l'ennemi déclaré de ces

fortes de gens, & le bon ami des gens de bien & des juftes: car tout le monde fçait, difent-ils, qu'acus eft eftimé le plus faint homme de fon temps; on n'ignore pas que Cychrée le Salaminien reçoit les honneurs divins à Athenes, & l'on connoît affez la vertu de Pelée & de Telamon. Or Sciron fut gendre de Cychrée & beau-pere d'Eacus, & ayeul de Pelée & de Telamon, qui naquirent tous deux de la Nymphe Endéide, fille de Chariclo & de Sciron : il n'y a donc pas d'apparence que les plus grands perfonnages & les plus gens de bien de toute la Grece, euffent voulu s'allier avec un brigand, en prenant de lui, & en lui donnant ce que les hommes ont de plus précieux & de plus facré. Ces mêmes

Historiens ajoutent que Thefée ne tua pas Sciron dans fon premier voyage d'Athenes, mais long-temps après, lorsqu'il prit Eleufine qui étoit alors occupée par les Megariens, & qu'il en chaffa Dioclès qui en étoit Gouverneur.

En paffant par Eleufine, il lutta contre Cercyon l'Arcadien, & le défit. De-là arrivant à Hermione il fit mourir le Geant Damaftès, qu'on appelloit Procufte, c'eft-à-dire, qui étend par force, en l'obligant de s'égaler à la mesure de fes lits, comme il y obligeoit fes hôtes: & Thefée en ufoit ainsi à l'imitation d'Hercule, qui puniffoit ceux qui l'attaquoient, du même genre de mort qu'ils lui avoient préparé. C'est ainsi qu'il facrifia Bufiris, qu'il étouffa Antée en luttant contre lui, qu'il tua Cygnus un combat fingulier, & qu'il brisa la tête à Temerus, d'où eft venu le Proverbe, le mal Temerien ; car il y a de l'apparence que Temerus caffoit la tête aux paffans, en la heurtant avec la fienne. Thesée alloit puniffant de même les méchans, & exerçoit juftement contre eux les mêmes fupplices qu'ils faifoient fouffrir injuftement aux autres.

Thesée étant arrivé fur les bords du Cephife, trouva la famildes Phytalides qui venoit pour le purifier avec toutes les céremonies accoutumées. Après s'être arrêté quelques jours en cet endroit, il entra dans Athenes le huit du mois Hecatombeon, qui répond au mois de Juin, & il trouva cette ville dans une étrange confusion; Egée fon pere se laissant gouverner par Medée, qui lui promettoit que par fes remedes elle lui feroit avoir des enfans. Après y avoir demeuré quelques jours, il fe fit connoître, dans le moment que Medée l'alloit empoifonner, ainsi que le raconte Plutarque; mais cela paroît peu conforme à la verité: car, ou Thesée avoit été à la conquête de la Toifon d'or avant que d'aller à Athenes, comme le prétendent plusieurs Auteurs, & en ce cas là, il étoit certainement très-connu de Medée, avec qui il avoit fait un fi long voyage; ou la conquête des Argonautes n'étoit pas encore arrivée, & cela fuppofé, Medée ne pouvoit pas être à Athenes lorfque Thefée y arriva, puifque c'est Jafon qui l'emmena de la Colchide : ainfi je ne puis concevoir que la chofe foit arrivée, comme Plutarque la raconte. Cet

Auteur

Auteur ne s'eft pas toujours donné la peine d'examiner les faits qu'il rapporte; & ne faifant que tranfcrire ce qu'il avoit lû, il ne s'eft pas reffouvenu dans un endroit de ce qu'il avoit dit dans l'autre. En effet, fi Thefée trouva Medée à Athenes, la premiere fois qu'il y alla au fortir de Threzene, comment avoitil été dans la Colchide? Cet Auteur adopte cependant le fentiment de ceux qui affùroient qu'il avoit fait ce voyage, & il me femble avoir copié Ovide, plutôt que de bons Hiftoriens. Je crois qu'il vaut mieux dire queThefée revenant de quelquesuns de fes voyages après une longue absence, apprit que fon pere avoit époufé Medée; & que celle-ci qui craignoit fon retour, ayant fait quelque cabale contre lui, & ayant peutêtre même voulu l'empoifonner, pour affûrer la Couronne à l'enfant dont elle étoit groffe, Thesée la fit chaffer de la Cour,

Les Pallantides voyant Thesée reconnu Thesée reconnu, ne purent retenir leur reffentiment, & s'étant partagés en deux bandes,ilsauroient bien donné de la peine à ce Prince, fans la trahison de Leos un de leurs chefs, qui ayant déclaré tout le complot, Thefée fçut fi bien profiter de cet avis, qu'il en défit une partie, & mit l'autre en fuite, affermiffant par cette victoire le pouvoir chancelant de fon pere : il alla enfuite àThrezene pour recevoir

l'expiation.

Quelque-temps après ayant entrepris le voyage de l'Ifle de Crete, il délivra, comme nous l'avons dit, fa patrie du tribut qu'elle payoit à Minos fecond; mais à fon retour il trouva que fon pere étoit mort. Ce fut alors qu'il travailla à executer le deffein qu'il avoit formé depuis long-temps, de réduire en un feul corps de ville tous les habitans de l'Attique, qui jufqueslà avoient été difperfés dans différentes bourgades. Il trouva beaucoup de résistance, furtout de la part des riches, & il ne les réduifit qu'en leur promettant une forme de Gouvernement populaire, dans laquelle il ne fe refervoit que le pouvoir de faire la guerre, & de veiller à l'obfervation des loix. Comme dans chaque bourg il y avoit un Palais où se tenoient les affemblées, & où l'on décidoit les affaires, fans avoir recours au Souverain, excepté dans des occafions de la derniere importance, ce qui en limitoit beaucoup l'autorité; il commença Tome III.

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