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Fable qui donna lieu dans la fuite à dire, que Thetis avoir plongé fon fils dans l'eau du Styx, & qu'elle l'avoit rendu invulnerable, excepté au talon ; quoiqu'on puiffe dire aussi

que

le courage & la valeur de ce jeune Prince, & la bonté de fes armes, ont donné cours à cette Fable, qu'on ne doit (1) Odyff. 1. pas prendre à la lettre, puisqu'Homere (1) nous apprend que 11. V. Eufta- ce Heros avoit été bleffé au fiége de Troye par Hector.

the fit cet

endroit.

La Fable que je viens d'expliquer, avoit donné lieu au premier nom d'Achille, qui fut d'abord appellé Pyrrifoüs, comme qui diroit, fauvé du feu (a) ; & ce fut Chiron fon Gouverneur qui lui donna le nom d'Achille, fur quoi on a débité encore bien des Fables; entre autres, qu'il avoit été nourri de moëlle de Lion, comme nous l'apprend Stace (b), parce que fon nom peut fignifier qu'il n'avoit jamais teté; mais toutes ces fictions ne font fondées que fur de froides étymologies du nom de ce Prince; peut-être même qu'on n'a dit qu'il fut nourri de moëlle de Lion, que parce que dès fa tendre jeunesse, il attaquoit également à la chaffe, exercice qu'il aimoit, les ours, les fangliers & les lions, comme le même Stace le dit (c).

Chiron donna une belle éducation à Achille, & lui apprit, outre tous les exercices qui conviennent à un jeune Prince, la Medecine & la Mufique.

Lorfque Thetis fut informée qu'on affembloit toute la nobleffe de la Grece pour aller au fiége de Troye, elle l'envoya incognito chez Lycomede fon frere, pour éviter l'accompliffement de quelques Oracles, qui avoient prédit que cette guerre lui feroit funefte. Pour mieux fe cacher, il fe dé

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Fab.

guifa en fille, & fe fit appeller Pyrrha, à caufe de fes cheveux blonds (1): c'eft-là qu'il fe fit aimer de Déïdamie fille de (1) Hygin, Lycomede, dont il eut un fils nommé Pyrrhus ou Neoptoleme. Cependant comme une des fatalités de Troye portoit que cette ville ne pouvoit être prife fans la prefence d'Achille, on le fit chercher de tous côtés, & Ulyffe ayant appris qu'il étoit à Scyros, fe fervit pour le reconnoître d'un ftratagême qui lui réuffit. Il mêla parmi plufieurs bijoux de petites armes (2), & Achille ne les eut pas plutôt apperçues, qu'il (2) Ovide, se jetta dessus; & s'étant fait connoître par-là, il fut obligé Metam. 1. 13. de marcher avec les autres.

Cette Hiftoire est très-exactement représentée dans les belles Statues que fon Eminence Monfeigneur le Cardinal de Polignac a apportées dans fon dernier voyage de Rome. Cependant je fuis perfuadé que cette avanture ne fut imaginée que long-temps après Homere. Ce Poëte la détruit même, lorfqu'il raconte, que Neftor & Ulyffe étant allés chez Pelée & Menotius, ils emmenerent Achille & Patrocle, que ces deux Princes leur accorderent de bon cœur.

Je fais fouvent remarquer le filence d'Homere fur certaines traditions fabuleufes; ce qui prouve qu'elles font plus récentes que les Poëmes de ce grand Poëte, qui n'auroit pas manqué de les employer pour donner du merveilleux à fa narration: mais il faut revenir à Achille.

Ce jeune Heros fit plufieurs belles actions pendant le fiége deTroye, prit plufieurs villes alliées aux Troyens, comme on le voit dans Homere, & dans Strabon (3) qui les nomme tou- (3) Liv. 14tes après le Poëte Grec; mais ayant pris querelle avec Agamemnon, il demeura dans fa tente fans combattre près d'un an, & n'en fortit que pour venger la mort de Patrocle fon ami, tué par Hector fous fes armes. Comme il étoit fier, brutal, & emporté, après avoir ôté la vie à fon ennemi, il fit mille indignités à fon cadavre (4), & le vendit à Priam fon (4) Homere pere. Ayant vû dans la fuite Polyxene pendant quelque tréve, Iliad. 1. 24il en devint amoureux & la fit demander en mariage. Dictys nous apprend qu'Achille trouva Polyxene dans le Temple d'Apollon, qui fervoit Caffandre dans un facrifice, & qu'en

L 11 iij

étant devenu amoureux, il la fit demander à Hector; que celui-ci lui fit dire que s'il vouloit abandonner le parti des Grecs, & trahir l'armée, il la lui donneroit en mariage; ce qui irrita fort Achille : il ajoute que lorfque Priam alla redemander le corps de fon fils, il mena avec lui cette Princesse pour fléchir le cœur de fon ennemi, ce qui lui réuffit, & fut en même-temps la caufe de la mort du jeune Heros, car Priam ayant remarqué qu'il étoit toujours fort amoureux de fa fille, il prit le deffein de le faire venir dans le Temple d'Apollon fous prétexte de la lui donner en mariage, où pendant que Déiphobe l'embraffoit, Paris le tua. Les Grecs le foupçonnerent de complot avec les Troyens, & regretterent peu la perte de ce grand homme, qu'il fallut qu'Ajax fe chargeât du foin de fes funerailles, & qu'il employât quelques perfonnes de la Troade pour lui faire élever un tombeau (1) Dictys, fur le Promontoire de Sigée (1).

13.& 4,

fab. 107.

Gi

Darès de Phrygie raconte la chofe à peu près de même. Il ajoute feulement que ce Prince fe défendit long-temps, & vendit cher sa vie. Paris le bleffa au talon, qui étoit l'endroit feul par où il n'étoit pas invulnerable; ce qui peut s'expliquer, fans s'éloigner de cette tradition, en difant qu'effe(2) Hygia, ctivement il le bleffa en cet endroit (2), & on publia qu’Apollon avoit guidé le coup; comme fi veritablement il avoit fallu un Dieu pour ôter la vie à ce Heros, & qu'un mortel ne pût fe vanter, ainfi que le dit Sophocle, dans fa Tragédie de Philoctete, de l'avoir tué; mais fans avoir recours à ces circonftances furnaturelles, qu'on n'inventa que pour rendre plus célebre la mort de ce Heros, le coup que lui porta Paris lui coupa le tendon qui eft au talon, dont la blessure eft mortelle, à moins que d'habiles mains n'en prennent un foin particulier ; & ce qui autorife ce que j'avance ici, c'eft que ce tendon porte depuis le nom du tendon d'A

(3) Odyf.

41.24.

chille.

Quoique cette tradition fur la mort d'Achille foit communément reçue, oǹ ne diffimule pas toutefois qu'Homere (3) infinue affez clairement que ce Heros fut tué en combattant pour fa patrie; que les Grecs donnerent autour de fon corps

un fanglant combat qui dura tout le jour; on ajoute même que quoique bleffé il vengea fa mort fur tous ceux qu'il rencontra, & qu'avant que d'expirer, il tua Orithée, Hipponous, & Alcithoüs, ce qui caufa tant de frayeur aux Troyens, qu'ils prirent tous la fuite

Après fa mort Ajax & Ulyffe enleverent fon corps, & le porterent dans le camp. C'eft ce qui eft représenté, quoique groffierement, fur la Table Iliaque.

Achille fut honoré comme un demi-Dieu dans une Ifle du Pont-Euxin, nommée d'abord Leucé, & enfuite Achillea, (1) où l'on dit qu'il operoit beaucoup de merveilles. On ajoutoit même qu'il s'y étoit marié ou avec Iphigenie, ou, felon d'autres, avec Helene; & on débitoit mille autres Fables à (1) Paufam. ce fujet, fondées fur les Relations des Prêtres qui en 13. Plin. E. 4impofoient aux Voygeurs. Les Anciens ont fait de cette Inlet

une espece de Champs Elysées, où habitoient les ames de plufieurs Heros.

Après la mort d'Achille, on fit venir au fiége de Troye fon fils Pyrrhus, quoiqu'il fût encore jeune (a),& il s'y diftingua fur-tout le jour que la ville fut prife. Ce fut lui, felon Virgi le, qui tua Priam, & précipita le jeune Aftianax fils d'Hector, du haut d'une tour; & comme Polyxene avoit été la caufe de la mort de fon pere, il la fit immoler fur fon tombeau. Les malheurs de cette Princeffe faifoient le fujet de deux beaux Tableaux que Paufanias avoit vûs, l'un à Athenes, l'autre à Pergame fur le Caïque (2).

Pyrrhus de retour de cette expédition, époufa Hermione (2) Paufar fille d'Helene, quoique déja fiancée à Orefte (b), ce qui lui in Phos

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1. 3.

coûta la vie; car ce Prince, comme nous l'avons dit, le fit maffacrer à Delphes, ou par un Prêtre nommé Macharée, ou par le peuple; fur quoi il femble que Virgile fait deux fau(1) Enéide, tes en parlant de cette mort (1), l'une en faifant tuer Pyrrhus par Orefte, agité par les Furies, quoique tout le monde convienne qu'il en fut délivré à fon retour de la Tauride; l'autre en ce qu'il dit qu'il le tua devant l'Autel d'Apollon fon pere, quoiqu'affûrement Achille ne reconnût point ce Dieu, ni pour fon pere, ni parmi fes ayeuls (a): mais on peut répon dre pour juftifier Virgile, quant au premier article, que les Poëtes ne s'embarraffent nullement de la Chronologie, ni des circonftances du temps, & qu'ils rapprochent les événemens de la vie de leurs Heros, pour les faire paroître dans le temps qui leur eft prefcrit, tels qu'ils ont été dans toute leur vie; ainfi nous pouvons dire que Virgile n'est pas blâmable de ne s'être pas attaché trop fcrupuleufement aux circonftances du temps, & qu'il fuffit qu'Orefte ait été long-temps agité des Furies, pour le repréfenter comme furieux dans une occafion où il falloit être tel, pour égorger fon Rival au milieu d'un Temple (b).

Pour le fecond article, on peut croire que Virgile par ces mots qu'Orefte tua Pyrrhus, ad patrias aras, a voulu dire aux Autels du même Dieu dans le temple duquel fon pere avoit été tué, quoiqu'il eût pû expliquer un peu mieux fa pensée. L'ha(2) M. de Se- bile Traducteur de l'Enéide (2) a fort bien interprété le fens de ce Poëte Latin par ces quatre vers:

grais,

Pyrrhus en fut épris; mais le rival époux
Saifi de fes frayeurs & d'un tranfport jaloux;
Le furprend & l'immole à fa jufte colere,
Aux Autels où Paris facrifia fon pere.

Je ne dois pas oublier de dire que Pyrrhus ayant perdu

cretement Oreste de l'abfence de fon mari,
& concerta apparemment avec lui pour
s'en défaire.

(a) Aft illum Pyrrhum magno inflamma

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Accipit incautum, patriafque obtruncas

ad aras.

Voyez Meziriac fur l'Epitre d'Hermione, qui reproche ces fautes à Virgile. (b) Racine a imité Virgile, & repréfenté Orefte agité des Furies après la mort de Pyrrhus. Trag. d'Androm.

pendan

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