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Dès qu'il fut arrivé à Argos, fon grand-pere Enée chaffé de fon Royaume par les enfans d'Agrius, vint lui demander du fecours. Celui-ci mena auffi-tôt une armée en Calydonie, & vengea l'injure faite à ce Prince; mais après ce fervice il lui. déclara qu'il ne pouvoit refter en Etolie, & l'exhorta à revenir avec lui à Argos. Enée ayant accepté cette proposition, Diomede lui rendit tous les honneurs poffibles comme à fon ayeul paternel ; & pour conferver fa memoire, il voulut que le lieu où ce Prince finit fes jours, fut appellé Enoé.

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Pendant qu'il étoit au fiege de Troye, fa femme étoit devenue amoureuse d'un jeune homme nommé Cyllabarus, & les flatteurs ne manquerent pas de dire que c'étoit Venus qui l'avoit portée à repondre aux défirs de fon amant, pour venger de ce que Diomede l'avoit blessée à la main. Comme cette intrigue avoit fait du bruit, & que Cyllabarus avoit beaucoup de crédit, Diomede fe dégoûta du fejour d'Argos, & alla chercher un établissement dans cette partie de l'Italie, qu'on appella depuis la grande Grece; où ayant épousé la fille de Daunus, il bâtit dans la Iapygie (a) la ville d'Argos - Hippion, aujourd'hui Arpi. Comme Turnus faifoit alors la guerre à Enée, il lui envoya demander du fecours, qu'il (1) Ovide, lui refufa (1); car dans le fond Enée n'étoit point ennemi des Grecs, comme nous le dirons dans fon Hiftoire. Auffi Paufanias affûre pofitivement que Diomede ne fit jamais la guer(2) Loc. cit, re au Prince Troyen. Ovide (2), qui fait l'hiftoire de l'ambaffade que Turnus lui avoit envoyée, dit que Diomede s'excufa fur le peu de troupes qu'il avoit, parce que fes compagnons pendant fa navigation ayant infulté Venus, cette Déeffe les avoit changés en oiseaux qui s'étoient envolés dans une Ifle voisine. Le fait eft que Diomede étant mort, Les compagnons qui ne fe trouvoient pas les plus forts dans leur nouvelle ville, fe retirerent fecretement dans une petite Ifle; & comme elle étoit remplie d'oiseaux, on publią que c'étoient les Argiens eux-mêmes qui en avoient pris la figure. Les Sçavans fe font donné la peine de chercher quels

Met.. 13.

(a) C'eft ce qu'on nomme aujourd'hui la Pouille.

oifeaux

oifeaux c'étoient, & un d'eux a compofé une Differtation intitulée de Ave Diomedea. Solin, Pline, qui parlent fouvent de ces oiseaux, affurent qu'ils careffoient les Grecs qui arrivoient dans cette Ifle, & Ovide dit qu'ils reffembloient à des cygnes.

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CHAPITRE V.

Hiftoire d'Ulyffe.

LYSSE, Roi de deux petites Ifles de la Mer Ionienne, Ithaque & Dulichie, étoit fils de Laerte & d'Anticlie fille d'Autolycus: Hygin (1), & après lui Tzetzès, (1) Fab. 207 croyent, comme nous l'avons dit ailleurs (a), qu'Anticlie étoit déja groffe d'Ulyffe lorfque Laerte l'époufa; ce qu'Ajax lui reproche dans le differend qu'il eut avec lui (2). On fçait qu'U- (2) Ovid. lyffe étoit un Prince éloquent, fin, rufé & artificieux, & Met. 1.13. qu'il contribua bien autant par fes artifices à la prife de Troye, qu'Ajax & Diomede par leur valeur. On fçait auffi que pour s'exempter d'aller à la guerre de Troye, & ne pas abandonner la belle Penelope, qu'il n'avoit épousée que depuis peu de temps, il avoit voulu paffer pour avoir l'efprit aliené, & que Palamede ayant découvert que fa folie n'étoit qu'une feinte, l'avoit engagé à partir avec les autres Chefs, ce qui dans la fuite lui coûta la vie. L'Antiquité eft partagée fur la maniere dont Ulyffe fit périr ce Prince, un des plus accomplis de fon temps. Ovide dit (3) qu' ayant caché de l'argent (3) Ibid. dans la tente de Palamede, il publia que ce Prince l'avoit reçû des Troyens, & le fit condamner par le Confeil de guerre à être lapidé. Paufanias (4), au contraire affure qu'il (4) In Phoc. avoit lû dans les Cypriaques que Palamede étant allé pêcher fur le bord de la mer, Ulyffe & Diomede le poufferent dans l'eau où il fe noya.

Comme on fçavoit qu'Ulyffe étoit auffi éloquent, que fin (a) Voyez l'Hiftoire de Sifyphe, Tome II. Liv. IV.

Tome 111.

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Cyclopes.

& rufé, les Chefs de l'armée l'engagerent avant que de s'embarquer à aller chercher Achille dans l'Ile de Scyros, où il le découvrit malgré fon déguisement, & l'emmena au camp des Grecs, comme nous l'avons dit dans l'Hiftoire de ce Heros. Il fut député auffi fur la fin du fiége de Troye, pour aller à Lemnos chercher Philoctete qui avoit les fleches d'Hercule; il enleva le Palladium avec Diomede, tua Rhefus & prit fes chevaux, & fit plufieurs autres actions remarquables, plus par l'efprit de vengeance qui l'animoit, & par fes rufes, que par fa valeur & fa force. On n'ignore pas auffi qu'à fon retour il eut plufieurs avantures, qui font le sujet de l'Odyffée d'Homere (a). Tâchons d'expliquer celles des actions de ce Heros qui renferment quelques verités hiftoriques.

Après que Telamon pour venger la mort de fon fils Ajax eut défait fa flotte, il fe mit dans un Vaiffeau Phénicien, avec lequel il arriva en Sicile. Homere, & après lui Ovide, difent qu'étant abordé dans cette Ifle, où étoient alors les Cyclopes, Polypheme lui dévora fix de fes foldats : ils ajoutent qu'Ulyffe l'aveugla avec un tifon ardent, & que s'étant mis avec fes autres compagnons fous le ventre de quelques moutons, il fortit heureusement de l'antre de cet affreux Cyclope. Hiftoire des Pour expliquer cette Fable, il faut fçavoir que Thucydide dit que les Cyclopes étoient les plus anciens habitans de l'Ifle de Sicile (6); qu'on n'en connoiffoit point l'origine, & qu'on ignoroit ce qu'ils étoient devenus. On les regardoit comme originaires du pays, quoiqu'il y ait beaucoup d'apparence qu'ils étoient étrangers, & que c'eft pour cela qu'Homere (1) Odyff. dit (1) qu'ils étoient enfans de Neptune, nom que l'on don1. 11. & 12. noit à ceux qui venoient par mer habiter quelqu'Ifle. C'eft le (2) Chan.l.1. fentiment de Bochart (2), qui croit qu'ils y entrerent environ un fiécle après Phaleg; ce qui les fit regarder comme originaires de l'Ifle par les Pheniciens fur-tout, qui ne vinrent s'y

C. 30.

(a) Confultez Strabon, liv. I. Polybebitoient l'Ile de Sicile, & il dit qu'il n'y & Seneque, Ep. 88.

(b) Cluvier, dans la Defcription de la Sicile, chap. 2. prouve que tous les Auteurs conviennent que les Cyclopes ha

a qu'Homere qui a dit qu'ils habitoient le continent de la terre ferme. Voyez ce Chapire, comme aufli Turnebe, liv. 24. ad v. ch. 10.

établir que plufieurs fiécles après. Si nous en croyons Juftin (1), (1) L. 4. les Cyclopes occuperent cette Ifle jufqu'au regne de Cocalus; c'est-à-dire, jufqu'au temps de Minos II. & de Thefée. Ils habitoient vers le couchant de l'Ifle près du Promontoire de Lilybée, & c'eft de là qu'ils ont pris le nom de Cyclopes, compofé de deux mots Pheniciens, Chek-Loup, comme qui diroit gens du Golphe de Lilybée (a): Ce qui a trompé les Grecs, qui n'entendant pas cette langue, ont cru que ce nom leur venoit du mot Cuclos (2), qui veut dire rond: fur quoi ils (2) débiterent la Fable qui ne donne aux Cyclopes qu'un acil circulus, placé au milieu du front. Cependant on trouve des Auteurs qui croyent que cette fiction eft uniquement fondée fur ce que les Cyclopes étoient armés de petits boucliers d'acier qui leur couvroient le vifage, & qui avoient un trou vis-à-vis les yeux; ce qui fit dire qu'ils n'avoient qu'un œil. Ovide fem, ble confirmer cette conjecture, en comparant l'oeil des Cyclopes à un bouclier (b).

Comme les Cyclopes étoient gens fauvages & brutaux (c), les Poëtes les repréfentent comme de vrais Anthropophages; & au lieu de dire qu'ils avoient tué quelques compagnons d'Ulyffe qui erroient dans cette Ifle, ils affurerent qu'ils les avoient mangés. Pour la Fable qui les fait paffer pour les Forgerons de Vulcain, elle vient de ce qu'ils habitoient auprès du mont Etna, qui à cause des flammes qu'il vomit étoit regardé comme la boutique de ce Dieu; & le bruit épouvantable que le feu & les vents font dans ces horribles cavernes, comme les coups redoublés qu'ils donnoient, fur leurs enclumes (d). On ajoutoit que Jupiter s'en fervoit pour forger fes foudres (e), & qu'ils avoient été employés à envi

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Brontefque Steropefque & nudus membra
Pyracmon....

His informatum manibus jam parte po-
litâ

Fulmen er at foto genitor quæ plurima cœla

ronner de murailles plufieurs villes, de maniere même qu'en general tous les murs & les tours qui avoient de la folidité, (1) En. 1.6. paffoient pour être leur ouvrage. Virgile (1) dit que c'étoient eux qui avoient fait l'enceinte & les portes des Champs Elyfées ;

.... Cyclopum educta Caminis

Mania confpicio, atque adverfo fornice portas ;

& plusieurs autres ouvrages ; & finous en croyons Ariftote, on doit les regarder comme les premiers qui joignirent des tours aux murailles des villes.

Les Cyclopes furent auffi mis au rang des Dieux, & Pau(2) Ia Co- fanias (2) parle d'un Temple de Corinthe, dans lequel il y avoit un Autel qui leur étoit dédié, fur lequel on leur offroit des facrifices.

rinth.

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Polypheme eft le plus célebre des Cyclopes: Homere, Virgile, Ovide l'ont rendu très - fameux dans leurs Ouvrages (a). Le premier nous apprend qu'Ulyffe eut befoin de toute fon adreffe pour fortir de fa caverne. Ce Prince y étant entré, Polypheme qui revenoit avec fes troupeaux, s'enferma dedans avec une groffe pierre, & commença par manger deux de fes compagnons, le menaçant du même fort; mais ce Heros l'ayant enyvré, il lui creva avec un bâton allumé, l'œil unique qu'il avoit au milieu du front, & le Cyclope ayant ouvert le lendemain fa caverne pour laiffer fortir fes troupeaux, Ulyffe attacha fes compagnons fous leur ventre, & ils fortirent ainfi fans être apperçus. On voit bien que cette Fable, expliquée au rabais du merveilleux, veut dire qu'Ulyffe échappa heureusement des mains des Cyclopes; quoiqu'Homere eût pu le faire fortir plus adroitement de cette caverne, à moins que ce Poëte n'entende quelque fineffe, dont il n'a pas jugé à pas jugé à propos de nous laiffer la clef. Ces avantures, toutes fabuleufes qu'elles font, ont leur fondement

Dejicit in terras, pars imperfecta mane-
bat;

Tres imbris torvi radios, tres núbis

aquofa

Addiderat, &c. Virg. Æn. lib. 6.
(a) Monftrum horrendum, informe, in-
gens, cui lumen ademptum. Æn. 1.5.

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