Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dans l'Hiftoire; & c'eft à quoi nous nous attachons. Polypheme vivoit du temps d'Ulyffe, & étoit Roi de Sicile, comme Diodore & quelques autres Auteurs nous l'apprennent (a). Ce Prince y aborda, & s'étant fait aimer d'Elpe fille de ce Cyclope, il l'enleva. Les Leftrigons qui étoient d'autres. habitans de cette Ifle, la lui arracherent, & la rendirent à fon pere. Ces Leftrigons au refte, étoient des barbares, & fi nous en croyons les Poëtes, ils étoient, ainsi que les Cyclopes, de vrais Antropophages, qui dévorerent fix des Compagnons d'Ulyffe. Mais le fçavant Bochart (1) prétend que ce qui a (1) Chan. donné lieu à cette Fable, c'eft que les Leftrigons étoient an- liv. 1. c. 26. ciennement appellés Leontini, nom tiré de leurs moeurs barbares & cruelles (2) ; è Leoninis moribas. Homere ajoute que (2) Idem b. Neptune offenfé de ce qu'Ulyffe avoit aveuglé fon fils Polypheme, fit perir fon Vaiffeau auprès de l'Ile des Phéaciens, où il aborda cependant à la nage avec l'écharpe que Leucothoé lui avoit donnée.

Lorfqu'Ovide & Theocrite (b) ont représenté Polypheme amoureux de la belle Galatée, & rival d'Acis, & ont dit que cet affreux Geant accabla ce jeune Prince fous la chute d'un rocher qu'il avoit déraciné, & que les Dieux le changerent en fleuve, ou plutôt en une Divinité des eaux ; c'eft un Roman, qui n'a, je crois, d'autre fondement que l'imagination des Poëtes. Cependant quelques Auteurs croient qu'Acis étoit un jeune Prince de Sicile, qui aima la belle Galatée & qu'il fe jetta de défefpoir dans le fleuve qui depuis a porté fon nom; quoique le fçavant homme dont nous parlons fi fouvent (3), croye que cette explication eft elle-même une (3) Bochasz nouvelle Fable, & que le fleuve Acis a pris ce nom de la ra- loc. cit. pidité de fes eaux.

Si Hefiode a dit (4) que les Cyclopes étoient enfans du Ciel (4) Ia Theog & de la Terre, c'eft qu'on ignoroit leur veritable origine, &

que c'étoit la coutume de faire enfans de la Terre, ceux dont

on ne fçavoit pas la généalogie.

Que fi on les a pris pour de véritables Geants, je crois

(a) Voyez Tzetzès dans les Chil. Dio- (b) Voyez auffi Lucien & Philost.

dore, &c.

Nnn iij

Hiftoire de

Charybde.

qu'on peut dire qu'ils étoient plus monftreux par la férocité de leurs moeurs, que par la grandeur de leur taille; & pour ce qui regarde les offemens gigantefques qu'on a trouvés quelquefois en Sicile, qu'on dit être ceux des anciens habitans de l'Ifle, on doit fe rappeller ce que j'ai dit à ce fujet dans le fecond Volume.

Comme on a fait auffi paffer Ulyffe dans le Détroit de Scylla & de Scylla & de Charybde, il faut dire ce qui a donné lieu aux Fables qu'on a débitées à cette occafion. Ovide dit que Scylla avoit été autrefois une belle Nymphe, dont Glaucus Dieu marin devint amoureux; mais que n'ayant pû la rendre sensible, il alla implorer le fecours d'une célebre Magicienne, nommée Circé. Celle-ci touchée elle-même du merite de Glaucus,réfolut de le punir pour l'avoir trouvé infenfible,& de faire mourir fa rivale Scylla ; & ayant compofé un poison elle le jetta dans une fontaine, où la Nymphe étant venue fe baigner, fut changée en monftre. Homere dit qu'elle avoit douze griffes, fix gueules & fix têtes; Virgile en a fait aussi la defcription (a). On ajoute qu'effrayée elle-même 'par les hurlemens importuns des chiens qui fortoient de fon corps, elle fe jetta dans la mer près de l'endroit où eft le fameux Détroit qui porte fon nom; & qu'elle fe vengea de Circé, en faisant perir les Vaiffeaux d'Ulyffe fon Amant. On voit aisément que ce n'eft là qu'un Roman; mais il eft compofé de plusieurs avantures veritables, qu'il faut développer.

Il y a entre Meffine & Reggio un Détroit fort ferré, où de grands rochers efcarpés s'avancent dans la mer des deux rivages oppofés. Ce Détroit étoit appellé Scylla du côté de Reggio, & Charybde du côté de Meffine (b).

A mesure qu'on s'éloigne de ce lieu, il femble que les rochers s'uniffent, & alors il paroît que les Vaiffeaux qui y en trent font engloutis; ce que Juftin exprime très-heureufement

(a) Prima hominis facies, & pulchro pectore Virgo
Pube tenus, poftremo immani corpore piflrix,
Delphinum caudas utero commiffa luporum.
(b) Dextrum Scylla latus, lævum implacata Carybdis
Obfider. Eneid. 1. 3.

d'après Trogue Pompie (a). Comme il s'y trouve des courans extrêmement rapides, & que l'eau s'y précipite avec impétuofité dans des gouffres & des tourbillons, on entend un bruit confus, affez semblable à celui que feroient plufieurs chiens qui s'entremordroient; & c'eft de là, felon le même Auteur, qu'eft venue la Fable de Scylla, de fon changement en monftre, & de fes hurlemens (b). Auffi Virgile compare-t-il le bruit que font les vagues lorsqu'elles fe brisent auprès d'un ro cher, à l'abboyement des chiens:

Multis circum latrantibus undis (1).

Dès-là on doit regarder comme de nouvelles Fables ce que quelques Auteurs ont inventé pour expliquer celle-là, comme lorfqu'ils difent que ce qui y a donné lieu, est le naufrage d'une Princeffe nommée Scylla, que Paufanias (2) & Virgile (3) croient être la fille de Nifus Roi de Megare qui perit dans ce Détroit (c); ou felon Lycophron (4), que c'étoit une fille de Phorcus, qui ayant volé à Hercule les bœufs de Geryon, ce Heros la fit mourir ; & fon pere ayant mis fon corps fur un bûcher, & l'ayant purgée de ce qu'elle avoit de mortel, elle devint une Divinité. On ne doit pas mettre dans le même rang) ce que dit Palephate que Scylla étoit un Navire des Thyrreniens qui ravageoient les côtes de Sicile, & qui portoit fur fa proue la figure monftrueuse d'une femme qui avoit corps environné de têtes de chiens. Cet Auteur ajoute qu'Ulyffe évita leur rencontre, ce qui a donné lieu à toutes les Fables qu'Homere a débitées fur ce fujet. Eufebe, pour le dire en paffant, explique cette Fable comme Palephate; mais.

le

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

(1) Ea. I. 7.

(2) Paufan (3) Eclog. 6. (4) In Caffa

in Corinth.

j'aime mieux encore croire avec Bochart, que le nom du Détroit de Scylla eft venu du mot Phenicien Sol, qui fignifie ruine, & qui ne lui a été donnné qu'à caufe des frequens naufrages qu'on y faifoit; comme celui de Carybde, qui veut (1) Bochart, dire, gouffre (1), a été donné à l'autre Promontoire à cause des tourbillons qui y engloutiffent quelquefois les Vaiffeaux (a); ce qui eft d'autant plus vraisemblable, que les étymologies que les Grecs donnent à ces deux Détroits, ne font gueres differentes de celle-ci, puifque, felon eux, Scylla veut dire dépouiller, & Charybde, engloutir.

1. 1. c. 26.

Hiftoire de Circé.

19.

Quand on a dit encore qu'Ulyffe tua le monftre qui donne lieu à cette Fable, c'eft vraisemblablement parce que ce Heros ayant paffé heureufement dans le Détroit de Scylla, on le regarda dans la fuite comme un lieu moins dangereux, & les Vaiffeaux commencerent à y paffer avec confiance. Homere qui dit que ce monftre engloutiffoit les Vaisseaux, & qu'il les rejettoit dans la fuite, ajoute que Tirefias en ayant averti Ulyffe, il profita de cet avis, attendant que Charybde lui rendît le mât de fon Vaiffeau qui étoit allé à fond, au moyen duquel il évita le naufrage.

Comme Homere parle fort au long du fejour de ce Heros chez Circé, je dois en donner ici l'Hiftoire. Circé, fi nous (2) In Theog. en croyons Hefiode (2), étoit fille du Soleil & de Perféis, & fœur de Pafiphaé femme de Minos; & le Soleil, felon le même Auteur, étoit fils d'Hyperion & de Thia, enfans du (3) Odyff. Ciel & de la Terre. Homere ajoute (3) qu'elle étoit fœur d'Eetès Roi de Colchos, qui vivoit du temps des Argonautes, comme nous l'avons dit en parlant du voyage de ces Heros pour la conquête de la Toifon d'or. Quelques Auteurs qui regardent cette Généalogie comme une Fable, ont dit que cette Princeffe n'a paffé pour être la fille du Soleil, qu'à caufe de la grande connoiffance qu'elle avoit des plantes & de la Medecine, dont Apollon, ou plutôt le Soleil étoit le Dieu (b). D'autres croient que cette fiction eft uniquement

(a) Hiatu magno profondoque forbet navigia. Senec.de conf. anima.
(6) Orphée la fait fille d'Apollon & d'Afterope,

fondée,

fondée, felon Diodore, fur ce que fon bifayeul s'appelloit Elius, ou Sol.

Circé s'adonna à la connoiffance des herbes, où elle réuffit fi bien qu'elle trouva plufieurs remedes; mais comme elle fe fervit de fes fecrets pour fe venger de fes ennemis par le poifon, elle paffa pour une Magicienne. On dit même qu'ayant épousé le Roi des Sarmates, ou des Scythes, elle l'empoifonna; ce qui la rendit fi odieuse à ses sujets, qu'elle fut obligée de fortir de fon Royaume pour fe retirer fur les côtes d'Italie, dans le lieu qui depuis porta le nom de Promontoire de Circé, fur la mer de Tofcane, aujourd'hui Monte Circello (a).

Apollonius affûre qu'Apollon pere de cette Princeffe, la retira des mains de fes fujets qui vouloient la faire perir, & la tranfporta fur fon chariot en Italie ; ce qui veut dire qu'elle échappa heureusement & contre toute apparence à la vengeance des Scythes,s'étant fauvée fur quelque Vaiffeau à voiles. Mais malgré toutes ces autorités, je crois que cette Princeffe n'a nul rapport avec Medée qui vivoit comme elle du temps des Argonautes, que laraffemblance de caractere. Je me fonde fur l'autorité de Strabon, qui remarque fort judicieusement qu'Homere ayant entendu parler de la navigation de Jason dans la Colchide & dans la ville d'ea qui en étoit la capitale, & fçachant toutes les Fables qu'on avoit publiées au fujet de Medée & de Circé, de leurs enchantemens & de la conformité de leurs moeurs, a dit qu'elles étoient parentes, & a été fuivi en cela par Onomacrite & par Apollonius de Rhodes. Que fi le même Homere a tranfporté le fejour de Circé au milieu de l'Ocean, c'étoit pour donner plus de merveilleux au récit qu'Ulyffe faifoit de fes avantures aux Pheaciens, qui aimoient les fictions, & étoient trop ignorants pour pouvoir le démentir.

Comme Circé vivoit à peu près au temps de la guerre de Troye, on pourroit croire qu'Uyffe aborda dans le lieu où elle habitoit, & que veritablement il en devint amoureux.

[merged small][merged small][ocr errors]
« AnteriorContinuar »