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C'eft du moins ce qu'ont penfé ceux qui affûrent qu'il en eut un fils nommé Telegone. Les charmes de cette Princeffe lui ayant fait oublier le foin de fa gloire, ainsi qu'à fes Compagnons, ils fe plongerent dans les plaifirs d'une Cour voluptueufe; ce qui a fait dire à Homere, qu'elle les avoit changés en pourceaux : & fi l'on a ajouté que Mercure donna à ce Prince une plante nommée Moly (a), avec laquelle il avoit évité les enchantemens de Circé, c'eft pour nous apprendre qu'étant enfin revenu de fes égaremens, il avoit confeillé à fes compagnons de fortir d'un fejour fi dangereux. Cette plante fi difficile à trouver, au rapport d'Homere, eft la prudence dont Ulyffe fit ufage pour retirer fes foldats du fejour de la volupté ; & l'on doit croire que tous les changemens qu'Homere, Ovide, & les autres Poètes difent que cette Princeffe operoit, étoient plutôt les effets de fes charmes & de fa beauté, que de fa Magie, quoiqu'Horace faffe affez entendre que (6) les breuvages qu'elle donnoit,operoient ces merveilles (b). Vous ffavez,dit-il, ce que l'on conte du chant des Sirénes & des breuvages de Circé. Si Ulyffe eût été auffi infenfe & auffi efclave de fes paffions que ceux de fa fuite, & qu'il eût bû fans précaution dans la coupe de cette Magicienne, on l'eût vû comme ces animaux qui n'aiment que la fange & l'ordure, traîner une vie honteufe fous l'empire d'une infame prostituée.

Pour foutenir la qualité de Magicienne qu'on donnoit à Circé, on alla jufqu'à dire qu'elle poffedoit l'art de faire defcendre les étoiles du Ciel, pour nous faire voir que la volupté abrutit les ames les plus élevées : fi toutefois on n'aime mieux dire avec Bochart, car les moralités font bien arbitraires, que la Fable des enchantemens de Circé venoit du mot (1)- Phenicien Lat, ou Latim, qui veut dire enchantement (1), d'où tous les Latins ont été appellés des Enchanteurs. Bo

ivdes. Chan, L. 1. c. 13.

(a) C'eft le blandeau, ou plutôt la rue fauvage, dont la racine eft noire & la fleur blanche, ce qui fait dire à Ovide:

Pacifer huic dederat florem Cyllenius album,

Moly vocant Superi, nigra radice tenetur. Metam. I. 14.

(b) Sirenum voces, & Circes pocula nofti;

Qua fi cum focis ftultus cupidufque bibiffet,

Sub domina meretrice fuiffet turpis & excors,

Vixisset canis immundus, vel âmica luto sus. Epist. 1. z.

chart avoit lû dans les Anciens que le Pays Latin abondoit en plantes venimeuses, & propres à faire des forts & des enchantemens, comme on peut le voir dans Theophrafte (1), dans Strabon (2), dans le Scholiaste d'Apollonius (3), & dans plufieurs autres.

Comme la Princeffe dont nous parlons excella dans cet art, & furpaffa de beaucoup les autres habitans de ce pays, c'eft fans doute ce qui a fait dire qu'elle étoit fille d'Apollon le Dieu de la Medecine, à laquelle appartient la connoiffance des plantes.

Au refte, ce qu'il y a de plus vrai dans toute cette histoire, eft que Circé, malgré fes enchantemens & fes mœurs dépravées, ne laiffa pas de recevoir les honneurs divins; & du temps de Ciceron elle étoit encore adorée par les habitans de la côte d'Italie où elle avoit fixé fon féjour.

a

Remarquons, après un fçavant Mythologue (4), qu'il y eu deux Circé qu'on a confondues dans la fuite; celle que Diodore après Hefiode dit être fille du Soleil, étoit beaucoup plus ancienne qu'Ulyffe, puifqu'elle vivoit du temps des Argonautes, & étoit foeur d'etès: celle chez qui Ulysse s'arrêta, & qui regnoit fur les côtes d'Italie, vers le temps de la guerre de Troye, étoit fille de la premiere Circé, petitefille d'Elius,& fœur d'Eetès II. Comme peu d'Auteurs diftinguent ces deux Circé, & ces deux Eetès Rois de Colchos, on ne doit pas s'étonner de trouver tant d'obscurité dans cette Hiftoire. Boccace, qui eft le Mythologue dont je parle, avoit pour lui l'autorité de Theodontion, dont l'Ouvrage s'eft perdu depuis. Ovide ajoute à tout ce qu'on vient de dire, que Circé étant devenue amoureuse de Picus Roi d'Italie, elle le changea en Pivert, comme nous l'avons dit dans l'Hiftoire des Dieux de la Terre.

(1) Hift.

Plan.

(2) Liv. 5.

(3) Liv. 3.

(4) Boccace Genealog. des

Dieux. 1. 4.

C. 14.

Ulyffe, felon Homere, aborda auffi chez Calypfo, fille de l'Ocean & de l'ancienne Tethys, ou felon Hygin (s), & Ti- (5) Fab. 125. bulle, d'Atlas,

Fecunda Atlantidos arva Calypfus.

Calypfo regnoit fur l'Ifle d'Ogygie, dans la mer d'Ionie, plus connue fous le nom d'Ifle de Calypfo. Homere, Pline,

liv. s.

Tzetzès, le difent ainfi; cependant Hygin & Mela la font regner près des côtes d'Italie dans l'Ifle d'Ea, la confondant (1) Odyff. apparemment avec Circé qui y habitoit. Homere (1) raconte de quelle maniere cette Déeffe reçut Ulyffe à fon retour de l'expédition de Troye, & comme elle l'arrêta pendant fept ans (a), lui offrant même l'immortalité, s'il vouloit l'époufer; mais ce Prince ne pouvant oublier fa chere Penelope, prefera le fejour de l'Ile d'Ithaque à tous les avantages que Calypfo lui faifoit efperer; & Mercure étant venu de la part de Jupiter, elle le laiffa partir. Ce ne fut pas fans avoir répandu auparavant beaucoup de larmes, comme on peut en juger par ce vers d'Ovide :

(2) De Art. Amand. 1. 2.

Ah quoties illum doluit properare Calypfo (2).

On a toujours regardé comme une pure fiction, ce qu'Homere dit de cette Déeffe, ainsi que de l'Isle qu'elle habitoit ; & on n'a pas laiffé échaper une fi belle occafion pour débiter des (3) Liv. 3. moralités & des allégories. Pline, qui met cette Ifle (3) fur les côtes d'Italie qui confinoient la grande Grece, s'en exprime ainfi.

(4) Homere Odyff. 1. 1. V. 5o.

(s) Traité du

que.

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« L'Ile d'Ogygie, ainfi nommée par Homere, eft la terre > habitable de tout cet Hemifphere, que les Anciens ont cru >> être entouré de tous côtés par l'Ocean, c'eft pourquoi elle eft nommée Ile de l'Ombilie (4), c'est-à-dire, le milieu de l'Ocean. Il y met Calypfo fille d'Atlas, lequel connoît le fond de la mer, & foutient fur d'immenfes colomnes le > fardeau du Ciel & de la terre. C'eft là la nature elle-même, > telle qu'elle fe montre dans cet Hemisphere; & Homere lui donne un nom de femme fort connu alors, parce que la » nature a bien des chofes qu'elle cache: le mot xaλúmer, fignifie cacher.

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Le Pere le Boffu (5) en tire un autre allégorie. Calypfo, Poeme Epi- dit-il, felon l'étymologie de fon nom, eft la Déeffe du fecret. Chez elle Ulyffe eft caché fept ans, pour marquer qu'un grand Politique ne devient parfaitement tel, que par une longue

(1) Ovide dir qu'elle ne le retint que fix ans, & Hygin un an feulement.

étude du fecret & de la diffimulation. Il eft inutile de chercher prefentement où étoit l'Isle qu'habitoit cette Déesse imaginaire.

Au fortir de l'Ile d'Ogygie, ou de Calypfo, Ulyffe arriva au pays des Pheaciens, qui habitoient l'Ifle de Corcy

re (1),dans la mer d'Ionie, & rencontra fur le bord de la mer, (1) C'eft l'Ile Nausicaa fille d'Alcinoüs qui étoit Roi de cette Ifle, qui à de Corfou. la maniere de cet ancien temps, venoit de voir laver la lefcive, & qui l'introduifit chez fon pere. Homere mêle ici l'intervention des Dieux, pour faire valoir une avanture qui n'a rien que de fort ordinaire; & s'il dit que fon Heros fut couvert d'un nuage pour n'être apperçu de perfonne, c'eft qu'il étoit nuit quand il arriva au Palais de ce Prince.

Les Pheaciens que le commerce avoit enrichi, vivoient dans le luxe & dans l'abondance, & on ne voyoit parmi eux que des danfes, des fêtes, & des feftins continuels, où la mufique accompagnoit ordinairement la bonne chere, & où des chanfons fouvent trop libres, telles que celle que Phemius chante en presence d'Ulysse au fujet de l'adultere de Mars & de Venus, accompagnoient ces fortes de feftins. Rien n'étoit fi magnifique que les Jardins d'Alcinoüs, aufquels l'Antiquité n'a comparé que ceux d'Adonis & de Semiramis. C'eft dans ce lieu de délices que fut reçu Ulyffe (car Homere pour nous faire connoître la vertu l'expofe à tout) & où après avoir demeuré quelque-temps, il s'embarqua fur le Vaiffeau que lui avoit fait équiper le Roi des Pheaciens, & arriva enfin à l'Ifle d'Ithaque, où s'étant caché chez Eumée un de fes Domeftiques, il prit des mefures pour fe défaire de quelques Princes voifins qui faifoient depuis vingt ans la cour à Penelope fa femme (a), & diffipoient tout fon bien. Les prétextes divers dont elle s'étoit fervie pour les amufer en attendant le retour de fon mari, ont donné lieu à ce fameux Ouvrage de toile qu'elle défaifoit la nuit.

Ulyffe ayant tué ou mis en fuite toas fes rivaux, regnoit paisiblement, lorfque Telegone, qu'il avoit eu de Circé,

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étant arrivé dans l'lfle d'Ithaque pour le voir, il voulut s'oppo fer à fa defcente; & Telegone l'ayant frappé d'une lance, dont le bout étoit fait d'une tortue marine nommée Paftinace, & qui au rapport de Pline eft très-venimeufe, il perdit la vie, comme Tirefias le lui avoit prédit, lorfqu'il le confulta dans les Enfers. Son fils Telemaque monta fur le trône.

L'Hiftoire ne fait aucune mention de fes fucceffeurs ; & à dire vrai, je crois que fans Homere, Ithaque & tout ce qui la regarde, nous feroit fort inconnue. On fçait, au refte, que ce Poëte fait partir le jeune Telemaque pour aller chercher fon pere, & qu'après avoir raconté fon voyage jufqu'à Sparte, il le laisse là, c'est-à-dire, depuis le quatriéme Livre de l'Odyffée, jusqu'à l'arrivée d'Ulyffe à Ithaque, où il fe trouve. C'est cet intervalle qu'a fi heureusement rempli l'illuftre M. de Fenelon dans fon Telemaque, un des plus beaux Poëmes, & le plus fage qui ait jamais été fait.

Telle eft l'Hiftoire d'Ulyffe qu'Homere a fi fort défigurée par les Fables qu'il y a mêlées.

Nous avons expliqué ailleurs les avantures qu'il eut chez Eole, dans l'Ifle des Sirenes, fa defcente aux Enfers, & quelques autres, mais je n'ai rien dit de ce qui lui arriva chez les Ciconiens, peuples de Thrace, près du fleuve Hebrus, dont il pilla la ville Capitale nommée Ifmare, & partagea leurs dépouilles à fes Compagnons : ni de l'avanture qu'il eut chez les Lotophages (a), peuples de l'Ifle de Gelve près des côtes d'Afrique, où il fut obligé de lier deux de fes Compagnons à qui le fruit du Lotos avoit fait oublier leur patrie; ni du malheureux naufrage qu'il fit au fortir de l'Ifle de Sicile, par la colere d'Apollon, qui vengeoit ainfi fes filles Lampetie, & Phaëtufe, à qui fes compagnons avoient volé quelques boeufs qui lui étoient confacrés, & dans lequel ce Prince eût peri s'il n'eût nagé jufqu'à l'Ile d'Ogygie. J'ai, dis-je, laissé à deffein ces Fables dont le fens, s'il y en a quelqu'un, est aisé à découvrir; le Poëte ayant expofé fon Heros à la haine des Dieux, & aux dangers de trois ou quatre naufrages, pour

(a) Ainfi nommés parce qu'ils mangeoient du fruit de Lotos, dont la vertu faifoit oublier leur pays à ceux qui en mangeoient.

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