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(1) Eneid. Liv. z. & 3.

l'Iliade, fuivant ce fçavant homme, n'étoit que l'Hiftoire de la chute de la branche aînée des Rois de Troye, c'est-à-dire, de Laomedon & de Priam, à laquelle devoit fucceder la branche cadette, ou celle d'Affaracus, d'où descendoit Enée, comme on l'a déja dit dans l'article qui regarde la fucceffion des Rois de Troye.

Entre les belles actions que ce Poëte raconte d'Enée durant le fiége, il dit qu'il fe battit contre Achille, mais que Neptune l'enleva du combat ; & je penfe, pour le dire en paffant, que ce qui a donné lieu à cette fiction, c'est que le combat entre Achille & Enée ayant duré tout le jour, la nuit l'interrompit, ou plûtôt quelque fête de Neptune les obligea de le fufpendre. Enée se diftingua fur-tout la nuit de la prife de la ville, où fans nous arrêter à tout ce que Virgile raconte fur ce fujet (1), d'une maniere plus poëtique qu'hiftorique, Denys d'Halicarnaffe dit qu'il entra dans la citadelle d'Ilium, & qu'il la défendit jufqu'à l'extrémité; que voyant qu'il étoit impoffible de la fauver, il fit fortir par une fauffe porte les femmes, les enfans & les vieillards, & fortit enfuite lui-même avec la garnison, en fe battant en retraite jufqu'au mont Ida, qui étoit le lieu du rendez-vous; que là il forma une petite armée de tous ceux qui étoient en état de porter les armes; & les Grecs n'ofant rifquer le combat, ils firent un Traité avec eux, par lequel ils leur permirent de fe retirer. Enée fit conftruire une flotte de vingt Vaiffeaux près de la ville d'Antandre, au pied du mont Ida, fur laquelle s'étant embarqué, il arriva d'abord en Thrace, où il fonda la ville d'Enia, qu'il peupla des gens les plus inutiles.

Etant parti de là il s'arrêta dans l'Ifle de Delos, où Anius le grand Prêtre d'Apollon le reçut favorablement (a). Ayant enfuite côtoyé l'Ifle de Cythere, il arriva à un cap du Peloponnefe, qu'il appella Cynetium, du nom d'un de fes Compagnons qui y fut enseveli; & étant entré dans la Grece, il quitta la flotte pour aller confulter à Dodone l'Oracle de Jupiter (b). Ce fut

(a) Nous dirons dans la fuite l'Hiftoire de cet Anius & de fes filles.

(6) Enée étoit fort fuperftitieux; mais Virgile lui donne à tout moment le titre de pieux.

fà qu'il trouva fon beau-frere Helenus, qui paffoit en ce pays-
là pour un grand Prophete. Arrivé au pays des Salentins, où
Idomenée forti de Crete, établiffoit fa nouvelle Colonie, il
voulut continuer fa route par le Phare de Meffine, mais il fut
obligé de relâcheren Sicile,où il aida Elimus & Egefte qui ve-
noient auffi de Phrygie, à bâtir deux villes de leur nom,
leur laiffant ceux de l'équipage de fes Vaiffeaux, que la fati-
gue ou le grand âge rendoient inutiles. Enfin étant forti de
cette Ifle, il arriva heureusement à Laurente fur les côtes de
laTyrrhenie, proche l'embouchure duTibre, dans le pays des
Aborigenes (1). Ces Peuples effrayés à l'arrivée d'une flotte (1) Denys
montée par des étragers, s'affemblerent fous les ordres de leur d'Halio. kr.
RoiLatinus;mais cePrince s'étant informé du motif qui les ame-
noit dans fes Etars, & ayant appris que c'étoient des Troyens,
qui fous la conduite d'Enée fils d'Anchife, & de Venus,
cherchoient après l'embrasement de leur patrie, un lieu pour
s'établir, & y fonder une ville, ainfi que les Oracles le leur
avoient prefcrit; informé que leur Chef étoit un homme fage
& pieux, qui portoit avec lui fes Dieux Penates ; voyant d'ail-
leurs avec un étonnement mêlé de respect, une nation illustre,
dont l'Hiftoire des malheurs étoit déja connue, & un Heros
qui la commandoit difpofé à la verité à traiter à l'amiable;
mais en même temps à tenter d'obtenir par la force ce qu'il de-
mandoit, il s'avança lui-même vers Enée, lui donna la main en
figne d'amitié, & les deux armées fe réunirent. Le fouvenir
d'un Oracle, & on fçait à quel point on étoit alors frappé de
leurs prédictions, qui avoit annoncé à Latinus l'arrivée de
quelques étrangers, dont le chef devoit être fon gendre, fut
la principale caufe des avances qu'il fit à Enée. Il le conduifit
dans fon Palais; & pour ferrer par les noeuds les plus étroits
l'alliance qu'il venoit de faire avec lui, & unir pour toujours
les deux nations, il lui donna peu de temps après en maria-
ge Lavinie fa fille unique & héritiere de fes Etats. Enée avec
le fecours de fon beau-pere & des Latins, bâtit alors une
ville qu'il appella Lavinium, du nom de fa femme, dont il eut
un fils nommé Afcagne.

Ce mariage cependant attira auxTroyens & aux Aborigenes
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un ennemi commun. Lavinie avant l'arrivée d'Enée avoit été promise à Turnus Roi des Rutules, qui habitoient la partie maritime de la Campanie, près du lieu où Rome fut bâtie dans la fuite. Ce Prince jeune & ambitieux, neveu de la Reine Amate, femme de Latinus, indigné qu'on lui eût préferé un étranger, déclara la guerre à fon rival, & lui livra une bataille, qui coûta cher aux deux partis. Les Rutules à la verité furent vaincus, mais il en coûta la vie à Latinus qui commandoit en perfonne avec fon gendre. Enée refté feul le maître des Etats de fon beau-pere, n'oublia rien pour prévenir les nouveaux efforts que Turnus faifoit pour reparer cette perte; fur-tout lorfqu'il eut appris qu'il venoit de faire alliance avec les Etruriens, dont la puiffance étoit alors fort redoutable,

Mezence qui en étoit Roi, tenoit fa cour à Coré, ville opulente, & une des plus fortes du pays. Comme ce Prince, au rapport de Tite-Live, avoit toujours regardé de mauvais œil la Colonie Troyenne, & qu'il voyoit dans l'accroiffement de la puiffance de ces étrangers, un jufte fujet d'allarme pour lui & pour fes voisins, il ne fit aucune difficulté de fe liguer avec les Rutules. Cependant Enée, dénué de fecours, dans un pays où il ne venoit que de s'établir, voyant qu'il avoit befoin de s'unir étroitement les Aborigenes, pour foutenir l'orage dont il fe voyoit menacé, chercha les moyens d'y réuffir. Pour y parvenir il refolut de faire en forte que ce Peuple & les Troyens qui l'avoient fuivi, n'en fiffent plus déformais qu'un feul, gouverné par les mêmes loix, fous le nom de peuple Latin. Ce trait de politique lui réuffit, & il gagna tellement par-là l'affection de ces Aborigenes, qu'ils lui furent toujours depuis auffi fidelles & auffi attachés que les Troyens eux-mêmes. Enée raffuré par cette union, ne voulut point attendre l'ennemi dans la ville: il fe mit en campagne, & les deux armées s'étant bientôt rencontrées, il fe donna un fanglant combat où il perdit la vie.

Comme on ne trouva point fon corps, qui étoit apparemment tombé dans le fleuve Numicus, près duquel s'étoit donnée la bataille, on dit que Venus après l'avoir purifié

'dans les eaux de ce fleuve, l'avoit mis au rang des Dieux. On lui éleva un tombeau fur les bords du fleuve, monument qui fubfiftoit encore du temps de Tite-Live, & où on lui offrit dans la fuire des facrifices fous le nom de Jupiter Indigete. Ce Heros mourut âgé de 38. ans, & n'en regna que trois. Son fils Afcagne lui fucceda, & bâtit la célebre ville d'Albe, où fes defcendans regnerent fur le pays Latin, jufqu'à Numitor, grand-pere de Romulus.

Le Royaume d'Albe, felon Arnobe, dura 420. ans, ou 432. felon Denys d'Halicarnaffe, fous quatorze Rois. Enée regna trois ans, fon fils Afcagne 38. tant dans la ville de Lavinium, que dans celle d'Albe, où il transfera le trône. Après la mort on alla chercher de tous côtés fa belle - mere Lavinie, qui s'étoit cachée dans des forêts où elle accoucha d'un fils qui prit, à caufe de cela le nom de Sylvius, que les Rois d'Albe fe firent honneur de porter dans la fuite: on le furnomma auffi Pofthumus, parce qu'il étoit né après la mort de fon pere. Iule fils d'Afcagne vouloit difputer la Couronne à ce jeune Prince; mais le Peuple Latin l'obligea à lui céder fes prétentions, & on lui donna la charge de Souverain Pontife, qui demeura long-temps dans la famille de ce Prince. Sylvius regna 29. ans, & fon fils Eneas Sylvius 31. Latinus qui lui fucceda en regna so. Alba 29. Capet 26. Capis 28. Calpet 30. Tyberinus 8. Ce fut ce Prince qui s'étant noyé dans l'Albule, lui donna le nom de Tybre qu'il porte depuis ce temps-là. Agrippa en regna 41. A celui-là fucceda le Tyran Alladius également haï des hommes & des Dieux pour avoir voulu ufurper les honneurs divins: il fut puni de fon impieté, & fe noya dans un étang après dix-neuf ans de regne. Aventinus qui donna fon nom au mont Aventin, garda la Couronne trente-fept ans; Procas vingt-neuf, Amulius, qui fupplanta fon frere Numitor, regna 42. ans, jufqu'à ce que Romulus fon petit - neveu, & fils de Rhea Sylvia fa niéce, lui ôta la vie, & rétablit fon grand-pere fur le trône. d'Albe, dont il fut le dernier Roi; quoique cette ville ait duré jufqu'au temps de Tullus Hoftilius troifiéme Roi de Rome, (a) Voyez ce qu'on a dit là-deffus dans l'Hiftoire des Dieux.

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qui la fit détruire après la défaite des Curiaces (a): ainfi Enée, comme on voit, précede Romulus de 450, ans.

Avant Enée il y avoit eu cinq Rois dans le pays Latin, Janus, Saturne, Picus, Faune & Latinus, dont les Regnes, fi nous en croyons Eufebe, avoient duré 150. ans (b). Leur Hiftoire eft remplie de Fables, & on ne connoît rien dans ce pays de plus ancien que Janus. Voilà ce que l'Hiftoire d'Enée renferme de plus vraisemblable; & l'on doit regarder tout le refte comme des embelliffemens. J'ai fuivi, au refte, l'opinion la plus commune; Denys d'Halicarnaffe, & Tite-Live, qui font plus conformes à Virgile, ont été mes guides. Je n'ignore pas que fur cet article, ainfi que fur prefque tous les autres de ces temps fabuleux, les Auteurs varient infiniment. Il y en a qui voulant ôter aux Romains la gloire d'avoir eu pour Fondateur cet illuftre chef des Troyens, ont prétendu qu'Enée ne paffa jamais en Italie (c): que ce Prince regna dans la Troade, fuivant la prédiction qu'Homere rapporte dans fon Iliade.

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Ce Poëte, en effet, parlant du combat où Enée alloit périr fous les coups d'Achille, dit « qu'il feroit mort infailliblement fi Neptune, qui s'apperçut du péril où il étoit, & qui prévit les fuites facheufes que cette mort auroit pour le parti des Grecs, n'eût parlé aux Dieux en ces termes : Grands » Dieux, j'ai une douleur fenfible du fort du magnanime » Enée, qui, dompté par les mains d'Achille, va defcendre » dans les Enfers pour avoir fuivi trop légerement les confeils d'Apollon. Ce Dieu après l'avoir engagé dans le péril, » l'abandonne, & ne penfe pas feulement à le garantir de la ❤ mort qui le menace. Il n'a point de part à l'offenfe, pourquoi » faut-il qu'il périffe pour les fautes d'autrui ? D'ailleurs il offre tous les jours aux Dieux de l'Olympe de nouveaux presents,

(a) Voyez Denis d'Halicarnaffe, liv. 1. Tite-Live, liv. 1.

(b) Voyez fur les anciens peuples d'Italie, les Differtations de Theodore RicKius.

(c) On peut voir à ce fujet la Differtation du fçavant Bochart; elle eft dans la

Traduction en Vers françois de l'Eneide par M. de Segrais, qui n'y put jamais répondre; mais Theodore RicKius y a trèsbien répondu, & à Cluvier, dans fa Dif fertation fur les anciens Peuples d'Italie, Chap. 12. qu'il faut confulter.

Arrachons-le

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