Hiftoire Helene. fur le mont Ida pour la prier de le guerir; mais tous fes remedes furent inutiles: la playe que lui avoit faite une des fleches empoifonnées d'Hercule, dont Philoctete l'avoit bleffé, étoit mortelle. La malheureufe Enone mourut de regret de la perte de cet infidele Amant. Paris au refte, fi nous en croyons Darès Phrygien qui l'avoit vû (a), étoit un fort bel homme; il avoit le teint blanc, les yeux beaux, la voix douce, & la taille belle: il étoit d'ailleurs prompt, hardi, courageux & vaillant, comme Homere le dit en plufieurs endroits. Il blessa Diomede, Machaon, Menelas, Antilochus, Palamede, & tua Achille; & fi celui-ci, & quelques autres Chefs de l'armée des Grecs, lui reprochent quelquefois fa beauté, & lui difent qu'il étoit plus propre à faire l'amour que la guerre, c'est un effet de leur emportement. Difons maintenant un mot d'Helene. Helene étoit fille de Tyndare Roi de Sparte, & de Leda: on fçait ce qu'on doit penser de fa naiffance, & de la Fable qui la fait paffer pour fille de Jupiter. Comme cette Princeffe étoit extrémement belle, Thefée l'enleva à l'âge de fept ans, fuivant quelques Auteurs, ou de dix, felon d'autres, & la mit entre les mains de fa mere Æthra, à Aphidnès. Ses freres l'ayant délivrée, elle fut recherchée en mariage par plufieurs Princes qui s'affemblerent à Sparte, c'est-à-dire de toute la Nobleffe du pays, dans un temps fi fécond en Heroïsme: Ulyffe fils de Laerte, Diomede fils de Tydée, Antiloque fils de Neftor, Agapenor fils d'Ancée, Sthenelus fils de Capanée, Amphiloque, Thalphius, Mnefthée, Ajax fils d'Oilée, Afcalaphe fils de Mars, Elpenor, Eumele fils d'Admete. Polypete fils de Pyrithoüs, Podalire & Machaon fils d'Efculape, Philoctete, Eurypile, Protefilas, Ajax & Teucer fils de Telamon, Patrocle fils de Menecée, & Menelas fils d'Atrée; en un mot, prefque tous les Princes qui fe trouverent dans la fuite à la guerre de Troye, & qui étoient les enfans de ceux qui avoient affifté à la conquête de la Toifon d'or, ou à la guerre de Thebes, difputoient, felon Apollodore (1), cette (1) Liv. 3. belle conquête qui devoit un jour donner la couronne de Sparte à fon vainqueur. Tyndare étonné de voir tant de concurrens demander fa fille, craignit que s'il en preféroit quelqu'un, les autres n'excitaffent quelque fedition; mais Ulyffe qui ne fe croyoit pas affez puiffant pour être preferé aux autres, & qui étoit venu à Sparte, plus par politique que par amour, l'affûra qu'il le tireroit d'affaires, s'il vouloit contribuer à lui faire époufer Penelope : ce Prince le lui ayant promis, Ulyffe dit qu'il falloit faire prêter ferment à tous ces rivaux, que quand il auroir donné fa fille à l'un d'eux, ils fe joindroient à celui qu'il auroit choisi, pour le défendre contre ceux qui voudroient la lui difputer. Lorfque Tyndare eut exécuté le confeil du prudent Ulyffe, il fe détermina en faveur de Menelas, frere d'Agamemnon qui avoit déja époufé Clytemneftre fon autre fille. Les commencemens de cet Hymen furent très-heureux ; & même fon avanture avec Paris, que nous avons ci-devant rapportée, n'éteignit pas entierement la paffion de Menelas pour elle, puifqu'après la ruine de Troye, cette perfide lui ayant indignement livré Déiphobe qu'elle avoit époufé après la mort de Paris, il fut affez bon pour croire que ce facrifice étoit une marque de tendreffe (a), & fe reconcilia avec elle, quoique quelques Auteurs n'en conviennent pas (b). Après la mort de ce Prince, ou fi nous en croyons Paufanias (2), pendant qu'il erroit encore, Megapenthe & Nico- (2) In Lacon ftrate fes fils naturels la chafferent, & elle fut obligée, felon (a) Egregia interea conjux arma omnia teƐtis (b) Paufanias, liv. 5. fait mention d'une Statue de Menelas, qui pourfuit Helene répée à la main ; & Euripide dans fa Troade, la fait fort quereller par fon mari. (1) Liv. 2. Herodote (1), de fe retirer à l'Ile de Rhodes, où Polixo, pour venger la mort de fon mari Tlepoleme tué au fiége de Troye, lui envoya dans le bain deux femmes de chambre, qui la pendirent à un arbre. Les Rhodiens, fi nous en croyons Paufanias, lui éleverent un Temple fous le nom d'Helene Entitris, c'est-à-dire, pendante à une branche, & lui décernerent les honneurs divins. Ce ne fut pas là le feul Temple qu'on éleva à l'honneur de cette Princeffe. Les Lacédémoniens lui en avoient fait bâtir un dans un lieu de leur ville, appellé Terapné, au-deffus de celui d'Apollon; & ce Temple, dit-on, avoit la vertu fingu(2) Liv. 6. liere d'embellir les femmes laides; du moins Herodote (2) raconte qu'une femme de Sparte extrêmement riche étant accouchée d'une fille fort laide, une perfonne inconnue apparut à la nourrice, qui lui confeilla de la porter fouvent dans leTemple d'Helene, & elle devint si belle dans la fuite, qu'étant mariée à Agete confident d'Arifton Roi de Sparte, ce Prince en devint amoureux & l'époufa. Si ce prétendu miracle avoit été bien averé, & que l'officieuse nourrice n'eût pas changé l'enfant, je fuis sûr qu'il n'y auroit pas eu dans toute la Grece de Temple plus frequenté que celui d'Helene. (3) Narr. 18. Comme les Grecs avoient fait de l'Ifle Leucé, une espece de Champs Elysées, ainsi que je l'ai dit dans l'Hiftoire d'Achille, ce fut-là, difent-ils, qu'habitoit l'Ombre d'Helene ; & Conon raconte (3) que lorfqu'Autoleon y alla pour être guéri d'une bleffure qu'il avoit reçue en combattant contre les Opun(4) Iliad. 1. 3. tiens (4), Helene fenfible encore dans cet heureux fejour au mal queStefichore avoit dit d'elle dans fes vers, lui fit enendre que fi ce Poëte vouloit recouvrer la vûe, il devoit l'avertir de fe retracter & de chanter la Palinodie. Il ne faut pas oublier, au refte, de dire qu'il fe rencontre 'des difficultés immenfes fur l'âge de cette Princeffe. On croit communément qu'elle étoit four jumelle de Caftor qui aflista à la conquête de la Toifon d'or, arrivée environ trente-cinq ans avant la prise de Troye; on ne fçauroit donner moins de quinze ans à ce Prince lorfqu'il fit le voyage des Argonautes; ainfi il s'enfuivroit qu'elle auroit eu au moins quinze ans lorfque Thefée l'enleva, & foixante fur la fin du fiége de On pourroit dire à la verité, que la beauté de certaines femmes fe conferve plus long-temps que celle des autres. Nous voyons, en effet, que Sara avoit quatre-vingts ans lorfqu'Abimelech, touché de fa beauté, la fit enlever: mais on n'a point besoin de toutes ces fuppofitions. Ce font ceux qui éloignent trop les événemens de ce fiécle-là, qui y doivent avoir re cours. En effet, dans le fyfteme que j'ai fuivi, toutes ces difficultés difparoiffent. Je fuppofe même qu'Helene étoit four jumelle d'un des Tyndarides, ce qu'on pourroit abfolument nier, & la faire de plufieurs années plus jeune. Caftor & Pollux purent affifter à l'expédition desArgonautes âgés feulement de quinze ou feize ans. Il n'eft pas étonnant que deux jeunes Princes qui voyoient partir toute l'élite de la Grece pour une expédition où il y avoit tant de gloire à acquerir, ayent obtenu de leur pere la permiffion de faire avec eux leurs premieres armes. Cette expédition arriva environ 35. ans avant la prife de Troye, à laquelle par conféquent Helene devoit n'avoir que cinquante ans. On pourroit retrancher encore du nombre de ces années, puifque les Anciens nous apprennent que lorfque Thefée l'enleva, il avoit bien cinquante ans paffés, & qu'elle n'en avoit que fept, ou dix au plus. Or Thefée étant mort vers la premiere année du fiége de Troye, ou dans celle qui le préceda, âgé d'environ 70. ans, il n'y auroit eu en ce cas-là, lors de la prife de la ville, que trente ans qu'elle avoit été enlevée par ce Heros, lefquels joints à fept ou à dix, rinth. n'en font que 37. ou 40. qu'elle avoit lorfque la ville fut prise. Il eft vrai que dans cette fuppofition il faut convenir qu'Helene n'étoit pas four jumelle des Tyndarides. Or il n'y a rien d'extraordinaire ni dans l'un, ni dans l'autre de ces deux partis: une femme peut être encore aimable à cet âge-là; & il n'eft nullement étonnant que Déiphobe l'ait épousée après la mort de fon frere Paris. (1)In Co- Que fi on m'oppofe que Paufanias (1) rapporte le fentiment de trois Anciens, qui prétendent, comme je l'ai dit dans l'Hiftoire de Thesée, que ce Heros en avoit eu une fille, alors je conviendrai qu'on peut lui donner treize ou quatorze ans lorfqu'elle fut enlevée, ce qui n'augmente pas de beaucoup fon âge. Au refte, ceux qui comme Scaliger, ne mettent que vingt ans entre l'expédition des Argonautes & la prife de Troye, font encore moins embarraffés de cette difficulté. Prax. Quoiqu'il en foit, j'ai fuivi l'opinion la plus commune sur Paris & Helene, & fur les caufes de la guerre de Troye; car enfin, dans quelle incertitude ne jetterois-je pas les Lecteurs, fi je leur étalois toutes les varietés qui fe trouvent à ce fujet dans les Anciens. Si je leur difois qu'il y en a parmi eux qui (2) Dion. prétendent (2) qu'Helene n'époufa point Menelas; que recherchée en mariage par tous les Princes de fon temps, elle préfera Paris à tous les autres; que Menelas qui en étoit amoureux,leva une armée contre Troye, & qu'Achille ayant été tué dans un combat, Ulyffe confeilla aux Grecs d'abandonner l'entreprise, & de laiffer même fur le rivage un cheval de bois doré, comme un ex voto, afin que Minerve favorisât leur retour, Si j'ajoutois encore ce que j'ai déja dit dans l'Hiftoire de Protée, que Paris en emmenant Helene, avoit été jetté par la tempête fur les côtes d'Egypte, où fuivant le rapport que fi rent les Prêtres de ce pays à Herodote, on avoit retenu cette Princeffe, jufqu'à ce que Menelas vint la chercher; qu'Homere n'ignoroit pas, au rapport même d'Herodote, toutes ces circonftances; mais qu'il avoit ajusté fa fable à l'envie qu'il avoit de plaire aux Grecs; que fuivant d'autres Auteurs, non (3) Voyez moins accredités (3) Helene ne fut enlevée que par Thefée, -de Eneide, qui ne la mena pas à Aphidnès, comme on le croit commu Servius fur le *.del'Eneide, |