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UOIQUE j'aye dit un mot de ce Prince, dans l'Hiftoire de Jupiter, les Hiftoriens Grecs l'ont rendu trop célebre, ainfi que quelques-uns de fes defcendans, pour ne pas m'étendre davantage fur fon fujet. D'abord je dois avertir que les Anciens diftinguent deux Princes de ce nom: le premier étoit fils de Phoronée, & regnoit dans cette partie de la Grece, qui dans la fuite fut appellée l'Arcadie, & à laquelle il avoit donné le nom de Lycoanie, environ 250.ans après Cecrops.

Le fecond, dont il s'agit dans la Fable que j'entreprends d'expliquer, lui fucceda, & fut un Prince également poli & religieux; mais par une inhumanité qui n'étoit que trop commune dans ces temps groffiers, il fouilla la fête des Lupercales dont il fut l'inftituteur, fuivant les Marbres d'Arondel, en immolant des victimes humaines. Cette fête, après avoir été interrompue pendant quelques fiécles, fut rétablie à Athenes, du temps de Pandion, comme nous l'apprenons de la dixhuitième époque des Marbres de Paros. Lycurgue abolit à Lacédemone la barbare coutume d'y offrir des victimes humaines. & Evandre porta quelque temps après cette même fête en Italie. Lycaon bâtit fur les montagnes d'Arcadie la ville de Lycofure, qui eft regardée comme laville la plus ancienne de toute la Grece; & ce fut fur l'Autel qu'il y éleva en l'honneur de Jupiter Lyceus, qu'il commença à offrir les facrifices barbares dont je viens de parler. Voilà le fondement de la Fable d'Ovide, & ce qui a fait dire aux Poëtes qu'il avoit donné à Jupiter un feftin dans lequel il lui avoit fait fervir les membres d'un efclave qu'il avoit fait égorger; car c'eft ainfi que s'explique Paufanias dans fes Arcadiques. Sa cruauté, & fon nom qui en grec veut dire un loup, l'ont fait changer en cet animal

auffi féroce que carnaffier. Lycaon avoit été d'abord fort cheri de fon peuple, à qui il apprit à mener une vie moins fauvage. que celle qu'il menoit auparavant.

Suidas raconte la Fable du repas dont on vient de parler, fuivant une tradition qui paroît elle-même une nouvelle fable. Lycaon, dit cet Auteur, pour porter fes fujets à l'observation des loix qu'il venoit d'établir, publioit que Jupiter venoit le vifiter souvent dans fon Palais, fous la figure d'un étranger.Pour s'en éclaircir fes enfans,dans le moment que leur pere alloit offrir un facrifice à ce Dieu, mêlerent parmi les chairs des victimes, celle d'un jeune enfant qu'ils venoient d'égorger, perfuadés que nul autre que Jupiter ne pourroit s'en appercevoir: mais une grande tempête s'étant élevée avec un vent orageux, la foudre réduifit en cendres tous les auteurs de ce crime; & ce fut, dit-on, à cette occafion que Lycaon: inftitua les Lupercales.

Suivant Paufanias (1), les defcendans de Lycaon s'établirent (1) March dans l'Arcadie & dans les Provinces voisines, où ils bâtirent plufieurs villes: mais j'en ai déja parlé dans le commencement de ce Volume,à l'occafion des Colonies de la Grece. L'Auteur que je viens de citer paroît, à mon avis, trop crédule fur l'article de la métamorphofe de Lycaon en loup.

< La chofe, dit-il, n'eft pas incroyable; car outre que le » fait paffe pour conftant parmi les Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, les premiers de ce pays étoient » fouvent les Hôtes & les Commenfaux des Dieux : c'étoit la » récompenfe de leur justice & de leur pieté : les bons étoient » donc honorés de la vifite des Dieux, pendant que les mé» chants éprouvoient fur le champ leur colere. De-là vient » que les uns furent alors déïfiés par la raifon contraire on peut bien croire que Lycaon prit la figure d'une bête, comme Niobé celle d'un rocher ».

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Après la mort de Lycaon Nyctimus, l'aîné de fes fils lui fucceda, pendant que fes freres allerent chercher fortune en differens endroits, ainfi que je l'ai dit dans l'endroit que j'ai déja cité.

Comme Arcas fils de Califto monta fur le trône après Nicti

Arcas & Calitto.

mus & eut plufieurs defcendans, il y a apparence que l'Hiftoire
d'Arcadie, ne faifoit aucune mention de la fable racontée par
Ovide, qui dir que ce Prince encore fort jeune fut enlevé
dans le ciel avec fa mere, que Junon avoit changée en ourfe,
dans le temps qu'il alloit la percer d'un
coup de fléche.

(1) Narr. 24.

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CHAPITRE III.

Hiftoire de Narciffe, d'Echo, de Pyrame & de Thisbé.

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ARCISSE, né à Thespie ville de Béotie, comme nous l'apprend Conon (1),étoit un jeune homme d'une grande beauté, & paffoit pour être le fils de Cephise; c'est à-dire fans doute, du Prince qui donna fon nom à cette riviere. Amoureux de fa figure, qu'il avoit vûe dans une fontaine, il fut si long-temps à la confiderer, ne comprenant pas que ce qu'il voyoit n'étoit autre chofe que fon ombre, qu'il fe laiffa confumer d'amour & de defir: c'eft ainfi qu'Ovide raconte cette (2) In Béot. Fable; mais Paufanias (2), quoique d'ailleurs assez crédule, dit que c'eft un conte fair à plaifir. Car quelle apparence, * dit-il, qu'un jeune homme foit affez privé de fens, pour être épris de lui même comme on l'eft d'un autre, & qu'il ne fcache pas diftinguer l'ombre d'avec le corps? Aufsi y at'il une autre tradition, moins connue à la verité, mais qui a pourtant fes partisans & fes auteurs. On dit que Narciffe avoit » une fœur jumelle qui lui reffembloit parfaitement : c'étoit » même air de visage, même chevelure, fouvent même ils » s'habilloient l'un comme l'autre, & chaffoient ensemble. » Narciffe devint amoureux de fa fœur, mais il eut le malheur de la perdre. Après cette affliction, livré à la mélancolie, il venoit fur le bord d'une fontaine, dont l'eau étoit comme un » miroir, où il prenoit plaifir à fe contempler, non qu'il ne » fçût bien que c'étoit fon ombre, mais la voyant il croyoit voir fa fœur, & c'étoit une confolation pour lui.... Quant à ces fleurs qu'on appelle des Narciffes, fi l'on en croit

Pamplus

Pamplus, elles font plus anciennes que cette avanture, car long-temps avant que Narciffe le Thefpien fût né, ce Poëte » a écrit que la fille de Cerès cueilloit des fleurs dans une prairie, lorfqu'elle fut enlevée par Pluton, & felon Pamplus les fleurs qu'elle cueilloit, & dont Pluton fe fervit pour la tromper, c'étoient des Narciffes & non des violettes ».

Peut-être, après tout, que le genre de mort de Narciffe, n'eft fondé que fur fon nom même, qui eft dérivé d'un mot grec qui veut dire, être engourdi, fans fentiment, d'où les remedes affoupiffants, font appellés narcotiques. Je dis le genre de mort, car le fond de l'Hiftoire eft vrai. Comme ce jeune homme n'avoit marqué que du mépris pour toutes les personnes qui avoient conçu de la tendreffe pour lui, on dit que c'étoit l'Amour lui-même qui s'étoit vengé de fon indifference, en le rendant amoureux de lui-même; & Ovide toujours porté au merveilleux, a fuivi cette hiftoire du côté qui lui en fourniffoit. Elle eft contée plus naturellement par Conon, de même que par Paufanias. On dit que depuis cette avanture les Thefpiens honorerent l'Amour d'un culte particulier.

Il falloit que ce jeune homme fùt deftiné à n'avoir que des Echo. phantômes pour objets de fes paffions, & de celles qu'il inf piroit, puifqu'Ovide ajoute à ce que nous venons de dire, que la Nymphe Echo étoit devenue amoureufe de lui, & que fes mépris l'obligerent à fe retirer dans le fond des antres & des rochers, où elle ne conferva que la voix; fable physique, qui ne mérite pas pas d'attention.

Thisbé.

Celle de Pyrame & de Thisbé, qu'Ovide raconte dans le Pyrame & Livre quatre de fes Métamorphofes, renferme un de ces faits particuliers que les paffions n'amenent que trop fouvent dans le monde. On croit que ces deux Amans, dont les parens ne s'aimoient pas, fe donnerent rendez-vous sous un meurier qui étoit hors de la ville. Thisbé y arriva la premiere,20 & ayant été obligée de fe cacher à la vue d'un lion, fon écharpe qu'elle laiffa tomber, fut enfanglantée par cet animal, ce qui ayant fait croire à Pyrame qui arriva un moment après, qu'elle avoit été dévorée, il fe rua de regret. Thifbé revenue fur fes pas, & ayant bien jugé en voyant fon écharpe, que Tome III.

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(1) Fab. 212.

Daphn is changé en rosher.

fon Amant ne s'étoit tué que parce qu'il l'avoir crue morte, fe perça le fein du même glaive. Cet évenement, au reste, ne se trouve que dans Ovide & dans Hygin (1).

Ovide parcourt quelquefois en paffant, plufieurs traits femblables, qui paroiffent ifolés. Celui d'un certain Daphnis qu'il ne défigne point autrement, changé en rocher pour avoir été infenfible aux charmes d'une jeune Bergere, eft cependant fondé, dit-on, fur ce que fa femme, pour s'en faireaimer, lui donna quelque breuvage qui le rendit ftupide. Hemus & La Métamorphofe d'Hemus, Roi de Thrace, & de fa femme changés en montagnes, pour avoir voulu fe faire adorer fous les noms de Jupiter & de Junon, nous apprend que l'impieté de ce Prince & de fa femme fut punie, & qu'ils périrent peut-être l'un & l'autre dans les montagnes, où le peuple indigné de les voir s'égaler aux Dieux, les avoit obligés, de fe retirer

Rhodope changés en Montagnes.

Salmacis.

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Le même Poëte raconte que la Nymphe de la fontaine Sal macis ayant voulu embraffer Hermaphrodite, fils de Mercure & de Venus (a), qu'elle aimoit, lui fit changer de fexe; fur quoi les Mythologues ont débité bien des rêveries; voici ce qui a donné lieu à cette fable. Il y avoir dans la Carie, près de la ville d'Halicarnaffe, ainfi que nous l'apprennons de Vitruve, une fontaine qui fervit à humanifer quelques Barbares, qui ayant été chaffés par la Colonie que les Argiens établirent dans cette ville, furent obligés d'y venir puifer de l'eau ; & ce commerce avec les Grecs les rendit non-feulement très-polis, mais les fit donner dans le luxe de cette Nation voluptueufe; & c'est ce qui donna à cette fontaine la réputation de faire changer de fexe. L'on pourroit penfer encore que l'eau de cette fontaine amolliffoit le courage, & rendoit effeminés ceux qui en bûvoient, comme il y en a d'autres 2) Synt. . qui rendent ftupides ou furieux. Lylio Giraldi (2) prétend que cette Fable tire fon origine de ce que cette fontaine étant enfermée de murailles, il s'y paffoit de temps en temps des avantures qui lui donnerent cette réputation; mais comme ce

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(a) Hermaphrodite eft un mot compofé d'Hermes, qui en grec veut dire Mercure; de Aphrodite, qui eft le nom de Verus..

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