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autres; & on eft étonné qu'après une longue lifte, l'autorité du premier eft fouvent la feule qu'il faille examiner. Or Homere, qui eft à la tête du Catalogue que je viens de donner, est un Poëte qui mêle à tout propos d'ingénieuses fictions à des traditions peu certaines. Ariftote, auteur plus grave, prend à la verité le ton affirmatif ; & parce que les relations les plus autentiques ne nous apprennent rien des prétendus combats des Grues & des Pygmées, Pomponius Mela eft obligé de dire que ce qui fait qu'on ne trouve pas aujourd'hui ce petit peuple,c'eft qu'il a été détruit par les Graes: Contra Grues dimicando defecit. dénouement plus digne d'unPoëte tragique,que d'un Hiftorien.

Avant que d'expofer mou fentiment, je dois faire remarquer d'abord, que les Grecs charmés du merveilleux, l'employoient à tout propos; exagérant toujours ce qui leur venoit des pays étrangers. Ils avoient oui parler de quelques hommes d'une taille extraordinaire; & il ne leur en fallut pas davantage pour former des Geants capables de déraciner les plus hautes montagnes. Ils avoient appris de même qu'il y avoit en Ethiopie un peuple extraordinairement petit par rapport aux autres hommes: charmés d'en faire un contrafte avec les Géants, ils imaginerent leurs Pyginées, c'eft-à-dire, fuivant l'étymologie de ce mot, des hommes qui n'avoient qu'une coudée de hauteur: comme fi la nature s'éloignoit avec tant d'excès de l'ordre qu'elle fuit dans les ouvrages. Je crois donc, pour moi, que les Péchiniens font les veritables Pygmées d'Homere: en effet, il y a toute forte d'apparence que c'eft la reffemblance du nom & la petite taille de ce peuple, qui ont donné lieu aux Grecs de les appeller des Pygmées, du mot yun, le poing, ou plutôt de celui de uy, qui fignifie une coudée, & qui a tant de conformité au nom des Péchiniens, que l'analogie en paroît parfaite. Les Poëtes n'ont pas toujours cherché des rapports fi marqués, pour en faire le fondement de leurs fables. Ils avoient appris par le récit de quelques Voyageurs, que les Péchiniens étoient d'une petite taille; que les Grues fe retiroient en hyver dans leur pays, & que ces peuples s'assembloient pour les détruire; quel fond à un Poëte Grec pour une Fable auffi jolie que celle que j'explique!

Mais ce n'eft pas fur une fimple conjecture que je prétends établir mon opinion: je vais faire voir que tout ce qu'on a publié des Pygmées, convient aux Péchiniens. Premierement, les Anciens affûrent qu'il y avoit dans l'Ethiopie des hommes d'une très-petite taille, & Herodote (1) raconte que quelques (1) Liv. 2. jeunes Nalamones ayant voulu, par un efprit de curiofité, pénétrer dans les déferts de l'Afrique, ils avoient rencontré des hommes extrémement petits, qui habitoient une ville dans laquelle il paffoit un fleuve, qu'Etéarque. Roi du pays qui racontoit cette Hiftoire, croyoit être le Nil. Diodore de Sicile & Strabon, fans parler des autres, conviennent auffi qu'il y avoit de ces petits hommes dans divers pays de l'Afrique; & Ariftote ajoute que cette petiteffe s'y trouvoit auffi dans les animaux.

Bib. n. 3.

de cetAuteur.

De même, Nonnofus, au rapport de Photius, trouva dans le même pays des hommes d'une petite taille ; & Ctefias l'avoit dit long-temps avant lui (2). Les Voyageurs modernes, (2) Phot. dont l'autorité eft ici d'un grand poids, font d'accord avec les Anciens, fur la petite taillé des Ethiopiens. Bergier & Alvarès (3) le difent formellement des Nubiens: Job Ludol- (3) Voyez phe (4) ajoute que ces peuples font generalement très-petits, les Voyages & c'est parmi eux, fi on en croit Thevenot (5), qu'on prend (4) Comm. prefque tous les petits hommes qu'on envoye dans les Cours fur Hiftoire des Princes du Levant. Toutes ces Relations font conformes (5) Recueil d'Ethiopie. à Hefychius, qui confond les Pygmées avec les Nubiens, de Voyages. Νώβα Πυγμαίοι. Mais, ce qui confirme encore davantage mon opinion, c'est qu'il faut chercher les Pygmées dans le pays où fe retirent les Grues à l'approche de l'hyver Oril eft certain que c'eft dans l'Ethiopie, comme le dit Ariftote (6).. & fi Homere & Nonnus difent que c'eft près de l'Ocean, Anim. 1. 8. c'eft que veritablement le Nil, anciennement appellé Ocean, y coule. Or c'eft-là précisément qu'habitoient les Péchiniens, & que M. Delifle, dans fa Carte d'Afrique, place les Bakkes, qui fuivant l'analogie de leur nom, ne fçauroient être que les Péchiniens de Ptolomée.

Pour les fables que j'en ai rapportées, on doit les regarder comme des imaginations poëtiques, entre autres celle de la

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(6) Hift.

c. 13.

(1) Metam.

1. 6, Pygas.

que

petite taille que leur donne Juvenal; car, s'il eft vrai, com-
me il l'eft en effet, que le trop grand froid, ou le trop grand
chaud empêche les animaux de croître, & que c'eft pour cela
que les Lappons & les autres peuples du Nord, ainfi
ceux de la Zone torride, font plus petits que ceux des Zones
tempérées, cela ne va jamais aux excés dont parle ce Poë-
te. Ainfi comme les plus grands hommes qu'on connoisse
n'ont gueres plus de fix pieds de haut, les petits en auront
trois & demi ou quatre. Que l'on cite quelques exemples de
Nains encore plus petits, on conçoit bien que cela ne tire
pas à conféquence, pour tout un peuple, non plus que ceux
de quelques Géants qui ont excedé de beaucoup la taille des
autres hommes.

Quant au combat des Pygmées avec les Grues, tant chanté par les Poëtes, on doit penfer que les Péchiniens s'affembloient dans une certaine faifon de l'année pour donner la chaffe à ces oiseaux, & empêcher qu'ils n'y fiffent leurs petits, & ne dévorassent leur récolte Ceux qui ont dit que les Pygmées habitoient dans les trous de la terre, les ont confondus avec les Troglodytes, qui étoient dans le même pays, & qui avoient pris ce nom parce qu'ils demeuroient dans des

cavernes.

La Fable de Pygas, qu'Ovide (1) dit avoir été changée en Grue, & qui fit enfuite à fon peuple une guerre fanglante, n'est pas difficile à expliquer, lorsqu'on a lû Antoninus Libé(2) Met, 1.10. ralis (2). En effet, cet Auteur affûre fur la foi de Boëus, dont il cite à ce propos la Theogonie, qu'il y avoit parmi les Pygmées, c'eft-à dire fans doute, parmi les peuples à qui les Grecs ont donné ce nom, une Princeffe fort belle, nommée Enoé, qui maltraitoit fort fon peuple. Ayant épousé Nicodamas, elle en eut un un fils nommé Mopfus que fes fujets lui enleverent pour l'élever à leur maniere. La cruauté de cette Reine, fa fierté, ou peut-être le nom feul de Gerané, qui est le nom grec de la Grue, qu'elle portoit, felon Elien, a donné lieu à la Fable qui dit qu'elle fut changée en cet oifeau. La guerre qu'Ovide dit qu'elle déclara à fon peuple, fut faite apparemment à caufe de l'enlevement du jeune Prince.

1

Finiffons par dire un mot des Pygmées dont parle Ezéchiel. Ce Prophete, après avoir fait une belle description de la ville de Tyr & de fes avantages, dit felon la Vulgate; mais les Pygmées qui font fur vos tours, ont mis le comble à votre beauté (a). Les Interprétes ont paru fort embarraffés à expliquer ce paffage, & il femble à les entendre, que les Pygmées obligés de ceder à la guerre continuelle que leur faifoient les Grues, s'étoient retirés fur les côtes de la Phenicie, pour fe mettre au service des Tyriens, qui les placerent fur leurs tours; comme fi de pareils foldats avoient pu faire l'ornement d'une ville, qui, felon le même Prophete, avoit dans fes troupes des foldats de prefque toutes les nations. Il eft bien vrai que les Septante nomment ces foldats, quels qu'ils foient, fimplement, qu'λaxes, des gardes; & dans une autre leçon Mado, les Medes,, que le texte Chaldéen porte Gapadin, les Cappadociens, ayant changé le M. en ri; mais l'Hebreu s'eft fervi du mot de Gammadin : & comme Gomed fignifie une coudée, c'eft ce qui a donné lieu à l'Auteur de la Vulgate, à faint Jerôme, & à Aquila, de traduire ce mot par celui de Pygmai.

L'origine de l'équivoque eft par là bien prouvée ; mais il refte toujours à fçavoir qui étoient ces Gammadins qu'on avoit mis fur les Tours de la ville de Tyr. Etoit-ce de veritables Pygmées, comme Schottus, Bartholin & quelques Interprétes l'ont dit après R.Chimchi? ou les habitans de Maggedo, ainsi que l'ont avancé d'autres Sçavants; ou de fimples Gardes, comme le veut Forfterus (1), ou enfin les Gamaliens (1) Liv.21.19, dont parle Pline? Pour moi, après avoir examiné ce paffage avec attention, voyant que le Prophete femble préferer les Gammadiens aux Perfes, aux Affyriens, aux Grecs, & à tous les autres peuples qui avoient pris parti dans les armées des Tyriens, & qui ajoute qu'ils faifoient l'ornement de leur ville; je crois qu'il a voulu parler des Divinités qu'on avoit placees fur les Tours avec leurs armes & leurs fléches, comme on mettoit les Dieux Pataïques fur la proue des Vaiffeaux, dont ils fai

(a) Sed & Pygmai qui erant in turribus tuis pharetras fuas suspenderunt in murįs tuis per gyrum, ipfi conpleverunt pulchritudinem tuam.

foient le principal ornement; & que les uns & les autres étoient représentés par de petites Idoles, comme Herodote le dit formellement de ces derniers, que Cambyfe trouva dans le Temple de Vulcain en Egypte, & qui felon cet Hiftorien, ressembloient à des Pygmées.

Ainfi difparoiffent les conjectures des Commentateurs, qui, fur la fimple fignification du mot Gomed, avoient mis des Pygmées fur les Tours de Tyr, au lieu de trouver dans le paffage du Prophete, ou un peuple robufte & adroit à tirer de l'arc, & nommé à la fuite des autres, comme le plus diftingué; ou les Dieux tutelaires d'une ville idolâtre qui mettoit en eux toute fa confiance..

L

CHAPITRE V.

Hiftoire de Cephale & de Procris.

A Fable de Cephale & de Procris eft une de celles qu'Ovide décrit avec le plus d'étendue & avec le plus d'élegance (1). L'Hiftoire nous apprend que ce Prince, fils de Deïonée Roi de Phocide, étoit un des plus accomplis de fon temps. Comme il aimoit paffionnément la chaffe, & qu'il fe. levoit tous les jours de grand matin pour y aller, on disoit qu'il étoit amoureux de l'Aurore. Procris fon époufe, qui aimoit Pteleon, comme nous l'apprenons d'Apollodore, faifoit fans doute courir ce bruit, afin de cacher ou d'autorifer fon intrigue. Cependant Cephale qui en eut quelque soupçon, abandonna la campagne où il fe tenoit ordinairement, & revint à Thoricus où demeuroit la Reine. Procris informée du retour de fon mari, alla chercher un afyle à la Cour de Minos II. qui en devint amoureux, & qui en la congédiant dans la fuite, lui fit prefent d'un chien excellent, qu'il crut devoirêtre agréable à Cephale. Elle le lui donna en effet pour fe racommoder avec lui. On publia que ce chien, qu'Ovide nomme Lélape, étoit l'ouvrage de Vulcain; que ce Dieu l'avoit

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