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Origine du nom de Heros, & quel étoit la nature du culte qu'on rendoit à ceux qui l'avoient merité.

LE

Es noms les plus connus font fouvent ceux dont l'ori-, gine eft la plus obfcure: auffi les Anciens donnent-ils plufieers étymologies de celui de Heros. Quelques-uns le font venir du mot Eros, Amour, pour marquer que les Heros étoient le fruit de l'Amour des Dieux pour des femmes mortelles, ou des Déeffes pour les hommes; car il y avoit des Heros de ces deux efpeces. Servius n'eft pas éloigné de ce fentiment, puisqu'il dit qu'on appelloit Heros', ceux qui naiffoient du commerce des Efprits fous des formes visibles, avec les femmes ; & dans l'opinion de cet Auteur, ce nom étoit fynonime avec celui de Demon ou de Génie ; mais cette origine ne fçauroit fe foutenir, puifque nous -voyons plufieurs Heros qui étoient nés d'hommes & de fem(1) De Civ. mes mortelles. Saint Auguftin (1) dérive ce nom de celui de Junon, appellée en Grec H'pa, ce qui, felon lui, fit donner le nom de Heros à un de fes fils (a). Cependant comme aucun Auteur que je fçache ne nomme ce fils de Junon, que faint Auguftin lui-même ne connoiffoit pas, je crois qu'on ne doit pas beaucoup compter fur cette étymologie; & je m'en rapporterois plus volontiers à l'opinion de ceux qui prétendent que ce nom venoit de la vertu & du courage de ceux à qui on l'avoit donné, ἀπὸ τῆς Αρητης.

Dei.l.10.c.21.

(2) Liv. 3.

Herodote (2) & Paufanias (3) nous apprennent la diftino- . (3) In.Att. tion qu'on mettoit entre les Dieux & les Heros; & quoique j'en aie dit quelque chofe dans le commencement même de cet Ouvrage, je crois qu'il eft à propos d'approfondir davantage ce fujet. Selon ces deux Auteurs, le culte des Dieux

(a) Heroum nomen ab Junone dicitur tractum, quod Grecè Juno Hpa appellatur, &ided nefcio qui filius ejus, fecundùm Græcorum fabulas, Heros fuit nuncupatus.

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confiftoit dans les facrifices & les libations, qui font, difoientils, des honneurs dûs à la Divinité, pendant que celui des Heros n'étoit qu'une efpece de pompe funebre dans laquelle on célebroit le fouvenir de leurs exploits : ce qui fait dire au premier de ces deux Hiftoriens, dans l'endroit où il parle des Temples que les Grecs avoient élevés en l'honneur d'Hercule. C'eft pourquoi il me femble que les Grecs ont fait » fagement d'avoir bâti des Temples à Hercule, facrifiant » à l'un des deux, furnommé l'Olympien, comme étant » d'une nature immortelle, & faifant à l'autre, comme à un » Heros, plutôt des funerailles qu'un facrifice ». Paufanias fait auffi la même diftinction lorfqu'il dit qu'on rendoit les honneurs ordinaires dûs aux Heros, à Alexenor; & cela après le Soleil couché, & les honneurs divins à Evemerion. Ce même Auteur ajoute qu'à la dédicace des villes on offroit des facrifices aux Dieux, & qu'on invoquoit feulement les Heros par de fimples prieres. Lorfqu'Epaminondas, dit-il (1), (1) In Mef. voulut retablir les Meffeniens & leur bâtir une ville, après avoir confulté les Augures, & que fur leur rapport on eut choisi le lieu où elle devoit être conftruite, les Arcadiens, les Meffeniens & les Thebains offrirent chacun à leurs Dieux des facrifices particuliers; puis tous invoqurent les Heros du pays: fur-tour Meffene fille de Triopas, Eurytus, & Aphareus avec leurs enfans, & parmi les defcendans d'Hercule, Crefphonte & Epytus. Ils invoquerent encore plus particulierement Ariftomene, & fa memoire fut plus honorée que celle d'aucun autre. Mais cette diftinction ne dura pas toujours, puifque fouvent le Heros devenoit un Dieu, comme je l'ai prouvé fur l'autorité des Anciens, dans le troifiéme Livre du premier Tome. Au refte, je crois qu'on peut avancer que la promotion des Heros au rang des Dieux, étoit dûe aux dogmes de l'ancienne Philofophie, qui enfeignoit que les ames des grands Hommes s'élevoient jusqu'aux Aftres, féjour des Dieux, & dès-là on croyoit qu'il falloit les honorer comme les Dieux mêmes avec lefquels ils habitoient. Les Stoïciens au contraire établiffoient feulement le féjour des Heros dans un air pur & ferein, qu'ils croyoient

être au-deffus de la Lune; ce qui a fait dire à Lucain: Cette vafte etendue qui fe trouve entre le Ciel & la Terre, eft le fejour des Demi-Dieux (a).

On étoit fi perfuadé que les Heros s'intéreffoient comme les Dieux à ce qui fe paffoit fur la terre, qu'on croyoit que c'étoient eux qui vengeoient l'impieté. Les exemples (1) In Lacon. qu'en rapporte Paufanias (1) font bien autentiques. Cleomene, dit-il, ayant corrompu la Prêtreffe de Delphes pour l'obliger à déclarer que Demarat n'étoit pas fils légitime d'Ariston, & l'exclure par-là du trône qui lui appartenoit, s'étant paffé fon épée au travers du corps dans un de ces accès de folie aufquels il étoit fujet, on regarda cette mort comme une punition des Dieux & des Heros. En effet, dit cet Hiftorien, « ce n'eft pas le premier exemple de la vengeance que les Heros & les Dieux ont tirée des hommes. Protefilas, qui eft honoré à Eleunce, & qui en fon temps n'étoit pas un Heros moins célebre qu'Argus, punit lui-mê» me le Perfe Artai&tus (2) ; & depuis que les Megaréens raconte leme- » ont ofé s'approprier & cultiver des terres confacrées aux Divinités d'Eleufis, ils n'ont jamais pû appaiser leur co

(2) Herod.

me fait.

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» lere ».

Voilà en peu de mots ce que les Anciens enfeignoient au fujet des Heros & de leur culte. Nous parlerons fort au long dans la fuite de ceux qui par leurs belles actions avoient mérité d'être élevés à ce haut rang, qui dans le fond étoit prefque le même que celui des Dieux. Mais avant que de finir ce Chapitre, il eft bon d'examiner, 1°. Ce que les Anciens entendoient par le Tombeau des Heros H' vña, expreffion qui fe trouve fouvent dans Paufanias. M. l'Abbé Sallier, qui a traité ce fujet dans un Mémoire qu'il lût à l'Académie des Belles-Lettres, dit que par ces deux mots on entendoit le Tombeau d'un Heros élevé dans un lieu entouré d'un bois facré, & près duquel il y avoit un Autel, qu'on alloit en des temps marqués arrofer de libations & charger de préfens. Pour prouver cette propofition, il

(a) Quodcumque patet terras inter cælique meatus Semidei
Manesha qitant. Pharf. lib. 9.

rapporte

4

rapporte plufieurs autorités tirées d'Homere & d'Euripide,
qu'on peut voir dans fa Differtation (1) ; & il conclut par un paf- (1) Mem. de
fage de Virgile, & par le témoignage de fon Commentateur
Servius, qui mettent la chose dans tout fon jour :

l'Acad. T. V.

Solemnes tum fortè dapes & triftia dona Ante urbem in luco, falfi Simoentis ad undam, Libabat cineri Andromache, manesque vocabat Hectoreum ad tumulum, viridi quem cefpite inanem Et geminas, caufam lacrymis, facraverat aras. Æn. l. 3. Puifque dans ces vers fe trouvent en effet les trois chofes requifes aux Tombeaux des Heros, le Bois facré, Lucus, l'ombre du Heros; Has tenent Heroum anima, dit le même Poëte dans un autre endroit ; & enfin les offrandes, libabat cineri Andromache. Servius (2) dans le Commentaire qu'il (2) In 3. Æà; fait de ce paffage de Virgile, dit que ce Poëte n'employe jamais le mot de Lucus, qu'il ne veuille faire entendre un lieu confacré par la Religion (a). Le monument héroïque n'étoit pas particulier aux feuls Heros, puifqu'au rapport de Paufanias, on en élevoit auffi en l'honneur des Heroïnes (3), (3) In Co comme on le verra dans la fuite.

(a) Lucum nunquam ponit fine religione, nam in ipfis habitant manes piorum, qui Lares viales funt.

riath.

te

CHAPITRE II.

En quel temps & de quelle maniere s'introduifit dans la
Grece l'ufage d'honorer les Heros.

I

Left difficile de déterminer en quel temps on commenса à honorer les Heros. Les Anciens, & Paufanias luimême, qui parlent tant de ce culte, ne nous apprennent rien de fon origine; mais nous avons parmi les Modernes de fçavans hommes qui ne découvrant aucun veftige de ce Tome III.

M

culte avant l'arrivée de Cadmus, concluent de-là que ce Chef de colonie l'avoit porté de Phenicie dans la Grece. Ce fut-là, felon eux, l'époque de l'usage introduit parmi les Grecs d'honorer les funerailles de leurs parens par des fêtes, par des invocations & par des offrandes; de leur ériger des Tombeaux remarquables, où ils fe rendoient, fur-tout au jour de leur anniversaire, pour y faire des libations. A ces Tombeaux fuccederent bien-tôt les ftatues, & enfuite les autels. Il étoit permis à chaque particulier de rendre fes devoirs à fes ancêtres, mais fouvent leur célebrité ne s'étendoit pas au-delà de leur famille. Il n'en étoit pas de même de ceux à qui les villes ou des royaumes déferoient ces honneurs. Comme c'étoit ordinairement à des perfonnes qui avoient fervi utilement l'Etat, & qui s'étoient rendus illuftres par de belles actions, leur nom devenoit par-là extrêmement célebre, & fe répandoit de tous côtés. Ainfi on peut diftinguer deux fortes de Heros : quelques-uns l'étoient feulement dans leur famille, & en étoient comme les Dieux Penates d'autres l'étoient par des Decrets publics, & devenoient les Heros de tout un Peuple. On dreffoit aux uns feulement des tombeaux de pierres qui fervoient d'autels, pendant qu'on en érigeoit aux autres qui étoient peu différens des Temples des Dieux; & pour leur rendre un hommage plus folemnel, on établiffoit en leur honneur des myfteres, des cérémonies, des fêtes, & une fucceffion de Prêtres deftinés à leur fervice.

Comme le nombre des Heros & des Heroïnes eft prefqu'infini, & qu'il feroit impoffible de les nommer tous, je vais raffembler dans un Chapitre tous les noms de ceux que je connois, me réservant à m'étendre davantage dans la fuite fur ceux qui fe font rendus les plus illuftres.

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