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tone mere d'Apollon & de Diane, Manto fille de Tirefias, qui fe mêloit comme fon pere de prédire l'avenir; Meganire, Rhadine dont le tombeau étoit honoré par les amans. malheureux ; enfin Octavie, dont le Temple étoit célebre.

Tels étoient en général les Heros & les Heroïnes, aufquels la Grece avoit destiné un culte religieux'; mais comme il y en avoit parmi eux qui s'étoient rendus plus célebres que les autres, dans les évenemens qui font la partie la plus confidérable de l'hiftoire des temps heroïques, il eft jufte de les faire connoître dans un plus grand détail : c'est ce que je vais faire dans les chapitres fuivans, obfervant, autant qu'il me fera poffible, l'ordre des temps.

Comme Perfée, & par fon antiquité & par fes exploits, eft un des plus célebres, c'eft par lui que je vais commencer.

1

CHAPITRE IV.

Hiftoire de Perfée, d'Andromede, des Gorgones, &c.

L eft peu d'Hiftoires de ces temps-là plus obfcures & plus remplies de fables, que celle qui va faire la matiere de ce Chapitre. Elle eft dans plufieurs de fes parties une énigme impénétrable; tâchons de l'éclaircir le plus qu'il nous fera poffible; donnons pour certain ce que l'Antiquité avoue, & pour des conjectures' feulement l'explication des fables qui fe trouvent fi étroitement liées aux avantures véritables de ce Prince.

:

Perfée étoit du fang de Danaüs, qui avoit ufurpé fur Gelanor le Royaume d'Argos, par Hypermneftre fa trifayeule. Acrife fon grand-pere, qui n'avoit qu'une fille nommée Danaé, ayant appris de l'Oracle qu'un jour fon petitfils lui raviroit la vie & la Couronne, la fit enfermer dans une tour d'airain, & ne voulut entendre à aucune propofi tion de mariage pour elle. Cependant Protus fon frere éperdûement amoureux de fa niéce, trouva le moyen, à

force

force d'argent, de corrompre la fidelité de ceux qui étoient chargés de la garde de cette jeune Princeffe; & étant entré par le toit dans le lieu où elle étoit enfermée, la rendit mere de Perfée. Fable qu'Ovide a renfermée dans ce feul

vers:

Perfea quem pluvio Danaë conceperat auro (1),

& qu'Horace a détournée à un fens moral, pour prouver le pouvoir de l'or fur les hommes, parmi lefquels il ne trouve point d'obstacle qu'il ne puiffe furmonter ;

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Ceux qui écrivirent l'hiftoire de cette avanture, pour couvrir l'infamie que ce commerce répandoit fur la famille royale, publierent que Jupiter lui-même amoureux de Danaé, s'étoit changé en pluye d'or; ce qui étoit d'autant plus vraisemblable que, fi on s'en rapporte à Voffius (2), Proctus fe faifoit furnommer Jupiter, comme nous l'avons dit dans l'Hiftoire de ce Dieu (3).

&

(1) Met.l. 6.

(2) DeOrig.
prog. Idol.

liv. 1.
(3) T. 2. L.1.

Voilà tout le myftere, car le fond de l'histoire est véritable. Paufanias (4) parle de cette tour, ou plutôt de la cham(4) In Cobre d'airain où Danaé avoit été enfermée, & affûre qu'elle rinth. subsista jusqu'au tems de Perilaüs Tyran d'Argos, qui la fit détruire; ajoutant que de fon temps même on voyoit encore quelques reftes du Palais fouterrain dont cette chambre avoit fait partie.

Il n'y a rien au refte de fort extraordinaire dans cette avanture; qu'un Prince effrayé par un Oracle ( & on fçait jusqu'à quel point on portoit la credulité pour les Oracles,) ne voulant point marier fa fille, puifque l'enfant qui en naîtroit devoit le détrôner & lui ôter la vie, l'ait tenue étroitement enfermée; ni qu'un homme auffi puiffant que Proetus fon frere ait corrompu les Gardes ; & encore moins, qu'on ait mis fuivant l'ufage de ces temps-là, cette avanture fur le compte de Jupiter.

Le commerce de ce Prince avec Danaé fut fort fecret pendant un temps; mais enfin cette Princeffe étant accou

Tome III.

N

chée de Perfée, Acrife la fit exposer fur la mer avec fon fils, dans une méchante barque, qui après avoir long-temps vogué au gré des vents, s'arrêta auprès de la petite Ifle de Seriphe, l'une des Cyclades, dans la mer Egée. Polydecte qui en étoit Roi, en ayant été averti, reçut favorablement la mere & l'enfant, & prit grand foin de l'éducation du jeune Prince. Mais dans la fuite étant devenu amoureux de Danaé, & craignant Perfée déja devenu grand, il chercha un prétexte pour l'éloigner. Celui qu'il prit eft fort fingulier. Il feignit qu'il recherchoit en mariage une Princeffe de la Grece, & que pour en rendre la célebration plus folemnelle, il vouloit avoir pour le feftin qu'il y préparoit, tout ce qu'il y avoit de plus rare au monde. Il invita en effet les Princes des Ifles voifines, les priant de porter chacun ce qu'il y avoit de meilleur dans leur pays pour cette fête. Il leur prefcrivit même ce qu'il fouhaitoit qu'ils lui fourniffent ; & pour rendre le voyage de Perfée plus long, il lui ordonna d'aller chercher la tête de Médufe, l'une des Gorgones.

J

CHAPITRE V.

Explication de la Fable de Medufe & des Gorgones.

AMAIS ni la Poësie ni l'Histoire ne se font donné plus d'effor que dans la Fable des Gorgones. Je vais commencer par expofer ce qu'on en trouve dans les Poëtes, puis je rapporterai ce qu'en ont dit les Hiftoriens & les Mythologues, & je finirai ce Chapitre par l'explication de cette Fable.

Tout l'ordre que je me propose, est de ranger les Poëtes felon les temps où ils ont écrit, afin qu'on voye d'un coup d'œil les progrès de cette Fable, plus fimple fans comparaifon dans les premiers, que dans ceux qui les ont fuivis. Comme Homere eft le plus ancien, c'eft par lui que je dois commencer; mais ce qu'il nous apprend des Gorgones fe

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R

réduit à fi peu de chofe, qu'Hefychius ne craint

pas

d'avan

cer que ce Poëte ne les a pas connues; mais ce Critique s'eft trompé, ainsi qu'on va le voir. Ce Poëte, dans la defcription de l'Egide de Minerve (1), parle ainfi : On voyoit au (1) Iliad.1.5. milieu la tête de la Gorgone, ce monftre affreux, tête énorme

& formidable, prodige étonnant du Pere des Immortels. Ce Poë

te dit ailleurs (2) que cette même tête étoit gravée fur le (2) Liv. II, bouclier d'Agamemnon, environnée de la terreur & de fa fuite.

Hefiode eft entré dans un bien plus grand détail : je ne rapporte point ce qu'il dit à ce fujet dans la belle defcription qu'il fait du bouclier d'Hercule, que M. l'Abbé Malfieu a traduite avec tant d'élegance, pour venir à l'endroit de la Theogonie de ce Poëte, où il raconte cette Fable avec toutes les circonstances qu'on en connoiffoit de fon temps. « Phorcus, dit-il, eut de Ceto deux filles, Pephredo & Enyo, qui vinrent au monde avec des cheveux blancs.... Il en eut auffi les Gorgones, qui demeurent au-delà de l'Ocean, à l'extrêmité du monde, près du fé-. • jour de la nuit.... Les noms de ces Gorgones font Shte» no, Euryale, & Mcdufe fi célebre par fes malheurs. Elle » étoit mortelle, au lieu que fes deux foeurs n'étoient fu» jettes ni à la vieilleffe ni à la mort. Le Dieu de la mer fut fenfible aux charmes de Medufe ; & fur le tendre gazon d'une prairie, au milieu des fleurs que le printemps fait » éclore, il lui donna des marques de fon amour. Elle pe> rit enfuite d'une maniere funefte: Perfée lui coupa la tête, » & du fang qui en fortit nâquirent le heros Chryfaor & le Cheval Pegafe. Chryfaor tira fon nom d'une épée d'or qu'il tenoit à la main au moment de fa naiffance. Dans la fuite il devint amoureux de Callirhoé fille de l'Ocean, & en eut Geryon, ce fameux Geant à trois têtes. Pegase fut » ainfi nommé, parce qu'il étoit né près des fources de l'O»cean: il quitta la terre auffi-tôt, & s'envola vers le féjour » des Immortels. C'est là qu'il habite, dans le Palais même » de Jupiter, dont il porte les éclairs & le tonnerre ».

Efchile dans son Promethée ne fait que copier Heliode:

mais comme les Fables groffiffent toujours en paffant d'un
Poëte à l'autre, celui-ci ajoute que
celui-ci ajoute que les filles ainées de Phor-
cus n'avoient à elles trois qu'un œil & une dent, dont
elles fe fervoient l'une après l'autre, & que les Gorgones
leurs cadettes avoient leurs cheveux heriffés de ferpens, &
que de leur feul regard elles tuoient les hommes. Le Scho-
liafte de ce Poëte ajoute que cette dent étoit plus longue
que les défenses des plus forts fangliers, & que leurs mains
étoient d'airain.

(1) Pyth. 12. Pindare (1) va plus loin que ni Efchile ni fon Commentateur, puifqu'il groffit la Fable de trois circonftances inconnues à fes prédeceffeurs. La premiere eft que les Gorgones pétrifioient ceux qu'elles regardoient, & que ce fut par ce genre de mort que Perfée, en préfentant la tête de Meduse, défola l'lfle de Seriphe, dont il petrifia les habitans, & leur Roy Polydecte qu'il furprit à table. La feconde, que Minerve qui fecondoit Perfée lorsqu'il étoit aux mains avec Medufe, furprise de la melodie que formoient les gémiffemens des Gorgones, & les fifflemens de leurs ferpens, trouva je ne fçai quel charme dans le mêlange de ces accens lugubres; & pour en retracer l'idée, elle inventa une flûte qui les imitoit, la donna aux hommes; & faifant allufion à ce qui en avoit été le premier modele elle appella les divers fons que l'on en tiroit, une harmonie à plufieurs têtes. La troifiéme, que le Pegase, qu'Hefiode dit s'être envolé dans le féjour des Immortels, fut dans la fuite dompté par Minerve, & donné à Bellerophon, qui le monta pour combattre la Chimere; mais ce Heros ayant voulu avec ce cheval monter jufqu'au ciel, fut précipité en terre, & Pegafe placé parmi les Aftres (a).

Comme cette Fable va toujours groffiffant en paffant de main en main, Apollonius de Rhodes & Ovide ajoutent que Perfée ayant pris fon vol par-deffus la Libye, toutes les gouttes de fang qui coulerent de cette tête fatale, fe changerent en autant de ferpens, & que c'eft de-là qu'eft venue la

(a) Voyez la troifiéme Olympiade, & la feptiéme Pyth.

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