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quemment fauvé des malades aux portes de la mort (1). Sitôt que le mal fe déciare, il faut s'afreindre rigoureufement au régime végétal acide; on s'interdit la viande, le poiffon, & fur-tout les œufs; ils font une espece de poifon en Egypte. Dans ce pays comme en Syrie, les obfervations conftatent que la faignée est toujours plus nuisible qu'avantageufe, même lorfqu'elle paroît le mieux indiquée : la raison en eft que les corps nourris d alimens mal fains, tels que les fruits verds, les légumes crus, le fromage, les olives, ont peu de fang & beaucoup d'humeurs ; leur tempérament efl généralement bilieux, ainfi que l'annoncent leurs yeux & leurs fourcils noirs, leur teint brun, & leurs corps maigres. Leur maladie habituelle eft le mal d'eftomac; prefque tous fe plaignent d'âcretés à la gorge & de naufées acides; auffi l'émétique & la crême de tartre ontils du fuccès dans prefque tous les cas.

Les fievres malignes deviennent quelquefois épidémiques, & alors on les prendroit volontiers pour la pefte, dont il me refte à parler.

III. De la Pefte.

Quelques perfonnes ont voulu établir parmi nous l'opinion que la pefe étoit originaire d'Egypte, mais cette opinion, fondée fur des préjugés vagues, paroît démentie par les faits. Nos négocians établis depuis longues années à Alexandrie, affurent, de concert avec les Egyptiens, que la pefte ne vient jamais de l'intérieur du pays (2), mais qu'elle paroît d'abord fur la

(1) Le lendemain il donne toujours un lavement pour évacuer

ce kina

(2) Profner Alpin, Médecin Vénitien, qui écrivoit en 1591, dit également que la pefte n'eft point originaire d'Egypte ; qu'elle y vient de Grece, de Syrie, de Barbarie; que les chaleurs la tuent, &c. Voyez de medecina Egyptiorum, p. 28.

côte à Alexandrie; d'Alexandrie elle paffe à Rofette, de Rofette au Kaire, du Kaire à Damiât & dans le refte du Delta. Ils obfervent encore qu'elle est toujours précédée de l'arrivée de quelque bâtiment venant de Smyrne ou de Conftantinople, & que, fi la peste a été violente dans l'une de ces villes pendant l'été, le danger eft plus grand pour la leur pendant l'hiver qui fuit. Il paroît conftant que fon vrai foyer eft Conftantinople; qu'elle s'y perpétue par l'aveugle négligence des Turks: elle eft au point que l'on vend publiquement les effets des morts periférés. Les vaisseaux qui viennent enfuite à Alexandrie, ne manquent jamais d'apporter des fourrures & des habits de laine qui fortert de ces ventes, & ils les débitent au bazar de la ville, où ils jettent d'abord la contagion. Les Grecs qui font çe commerce en font presque toujours les premieres victimes. Peu-à peu l'épidémie gagne Rofette, & enfin le Kaire, en fuivant la route journaliere des marchandifes. Autôt qu'elle eft conftatée, les Négocians Européens s'enferment dans leur Kan, ou contrée, eux & leurs domeftiques; & ils ne communiquent plus au dehors, Leurs vivres, dépofés à la porte du Kan, y font reçus par un portier qui les prend avec des tenailles de fer, & les plonge dans une tonne d'eau deftinée à cet usage. Si l'on veut leur parler, ils obfervent toujours une distance qui empêche tout contact de vêtemens ou d'haleine; par ce moyen ils fe préfervent du fléau, à moins qu'il n'arrive quelque infraction à la police. II y a quelques années qu'un chat, paffe par les terraffes chez nos Négocians du Kaire, porta la peste à deux d'entre eux, dont l'un mourut.

L'on conçoit combien cet emprisonnement est ennuyeux: il dure jusqu'à trois & quatre mois, pendant lefquels les amusemens fe réduisent à fe promener le foir fur les terraffes, & à jouer aux cartes.

La pefte offre plufieurs phénomenes très-remarqua

bles. A Conftantinople elle regne pendant l'été, & s'affoiblit ou fé détruit pendant l'hiver. En Egypte, au contraire, elle regne pendant 1 hiver; & juin ne manque jamais de la détruire. Cette bizarrerie apparente s'explique par un même principe. L'hiver détruit la pefte à Conftantinople, parce que le froid y eft très rigoureux. L'été l'allume, parce que la chaleur y eft humide, à raison des mers, des forêts & des montagnes voifines. En Egypte, l'hiver fomente la pefte, parce qu'il eft humide & doux : l'été la détruit, parce qu'il eft chaud & fec. Il agit fur elle comme fur les viandes qu'il ne laiffe pas pourrir. La chaleur n'eft malfaifante qu'autant qu'elle fe joint à-l'humidité (1). L'Egypte eft affligée de la pefte tous les quatre ou cinq ans; les ravages qu'elle y caufe devroient la dépeupler, fi les étrangers qui y affiuent fans ceffe de tout l'Empire, ne réparoient une grande partie de fes pertes.

En Syrie la pefte eft beaucoup plus rare : il y a vingtcinq ans qu'on ne l'y a reffentie. La raifon en eft fans doute la rareté des vaiffeaux venant en droiture de Conftantinople. D'ailleurs on cbferve qu'elle ne se naturalife pas aifément dans cette province. Transportée de l'Archipel, ou même de Damiât, dans les rades de Lataqîé, Saide ou Acre, elle n'y prend point racine; elle veut des circonftances préliminaires & une route combinée: il faut qu'elle paffe du Kaire en droiture à Damas alors toute la Syrie eft fire d'en être infeftée.

L'opinion enracinée du fatalisme, & bien plus encore la barbarie du Gouvernement, ont empêché jufqu'ici les Turks de fe mettre en garde contre ce fléau meurtrier cependant le fuccès des foins qu'ils ont vu

(1) Au Kaire, on a obfervé que les porteurs d'eau, fans ceffe arrofés de l'eau fraîche qu'ils portent dans une outre fur leur dos, ne font jamais attaqués de la pefte, mais içi ç'est foton, & non pas humidité,

prendre aux Francs, a fait depuis quelque tems impreffion fur plufieurs d'entre eux. Les Chrétiens du pays. qui traitent avec nos Négocians, feroient difpofés à s'enfermer comme eux; mais il faudroit qu'ils y fuffent autorisés par la Porte. Il paroît qu'en ce moment elle s'occupe de cet objet, s'il eft vrai qu'elle ait publié l'année derniere un Edit pour établir un Lazaret à Conftantinople, & trois autres dans l'Empire, favoir, à Smyrne, en Candie & à Alexandrie. Le Gouvernement de Tunis a pris ce fage parti depuis quelques années; mais la police Turke eft par-tout fi mauvaise, qu'on doit espérer peu de fuccès de ces établis femens, malgré leur extrême importance pour le commerce, & pour la fûreté des états de la Méditerranée (1).

CHAPITRE XVIII.

Tableau réfumé de l'Egypte.

L'EGYPTE fourniroit encore matiere à beaucoup d'au

tres obfervations; mais comme elles font étrangeres à mon objet, ou qu'elles rentrent dans celles que j'aurai occafion de faire fur la Syrie, je ne m'étendrai pas davantage.

Si l'on se rappelle ce que j'ai expofé de la nature & de l'aspect du fol, fi l'on se peint un pays plat, coupé

(1) L'année derniere en fait preuve, puisqu'il a éclaté dans Tunis une pefte auffi violente qu'on en ait jamais éprouvé. Elle fut apportée par des bâtimens venant de Constantinople, qui corrompirent les gardes & entrerent en fraude fans faire de quarantaine.

de canaux, inondé pendant trois mois, fangeux & verdoyant pendant trois autres, poudreux & gercé le reste de l'année; fi l'on fe figure fur ce terrain des villages de boue & de briques ruinés, des paysans nus & hâ, lés, des buffles, des chameaux, des fycomores, des dattiers clairfemés, des lacs, des champs culivés & de grands espaces vides; fi l'on y joint un foleil étincelant fur 1 azur d'un ciel prefque toujours fans nuages; des vents plus ou moins forts, mais perpétuels; l'on aura pu fe former une idée rapprochée de l'état phyfique du pays. On a pu juger de l'état civil des habitans, par leurs divifions en races, en fectes, en conditions; par la nature d'un Gouvernement qui ne connoît ni propriété ni sûreté de perfonnes, & par l'ufage. d'un pouvoir illimité confié à une foldatefque licencieufe & groffiere; enfin l'on peut apprécier la force de ce Gouvernement en réfumant son état militaire, la qualité de fes troupes ; en observant que dans toute l'Egypte & fur les frontieres, il n'y a ni fort ni redoute, ni artillerie, ni ingénieurs; & que pour la marine on ne compte que les vingt-huit vaiffeaux & cayaffes de Suez, armés chacun de quatre pierriers rouillés, & montés par des marins qui ne connoiffent pas la bouffole: c'eft au lecteur à établir fur ces faits l'opinion qu'il doit prendre d'un tel pays. S'il trouvoit, par hafard, que je lui préfente fous un point de vue différent de quelques autres relations, cette diverfité ne devroit point l'étonner. Rien de moins unanime. que les jugemens des Voyageurs fur les pays qu'ils ont vus: fouvent contradictoires entre eux, celui-ci déprime ce que celui-là vante; & tel peint comme un lieu de délices ce qui pour tel autre n'eft qu'un lieu fort ordinaire. On leur reproche cette contradiction; mais ils la partagent avec leurs cenfeurs mêmes, puisqu'il est dans la nature des chofes. Quoi que nous puiffions faire, nos jugemens font bien moins fondés fur les qualités

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