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grand Païs, dont il voyoit tout le détail d'un coup d'œil. Cette Theorie generale de Jurisprudence, quoique fort courte, étoit fi étendue, que la question du Quietifme alors fort agitée en France, s'y trouvoit naturellement dès l'entrée, & la déci fion de M. Leibniz fut conforme à celle du Pape.

Nous voici enfin arrivés à la partie de fon merite qui intereffe le plus cette Compagnie; il étoit excellent Philofophe & Mathematicien. Tout ce que renferment ces. deux mots, il l'étoit.

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Quand il eut été reçû Docteur en Droit à Altorf, il alla à Nuremberg pour y voir des Savans. Il apprit qu'il y avoit dans cette Ville une Societé fort cachée de gens qui travailloient en Chimie, & cherchoient la Pierre Philofophale. Auffi-tôt le voilà poffedé du defir de profiter de cette occafion pour devenir Chimifte; mais la difficulté étoit d'être initié dans les Myfteres. Il prit des Livres de Chimie, en raffembla les expreffions les plus obfcures, & qu'il entendoit le moins en compofa une Lettre inintelligible pour lui-même, & l'adreffa au Directeur de la Societé fecrete demandant à y être admis fur les preuves qu'il donnoit de fon grand favoir. On ne douta point que l'Auteur de la Lettré ne fût un Adepte ou à peu près; il fut reçû avec honneur dans le Laboratoire, & prié d'y faire les fonctions de Secretaire. On lui offrit même une penfion. Il s'inftruifit beaucoup avec eux pendant qu'ils croyoient

s'inftruire avec lui, apparemment il leur donnoit pour des connoiffances acquifes par un long travail les vues que fon genie naturel lui fourniffoit; & enfin il paroit hors de doute que quand ils l'auroient reconnu, ils ne l'auroient pas chaffé.

En 1690. M. Leibniz âgé de vingt-quatre ans fe déclara publiquement Philofophe dans un Livre dont voici l'hiftoire.

Marius Nizolius de Berfello dans l'Etat de Modene publia en 1553. un Traité De veris Principiis, & era ratione philofopbandi contra Pfeudopbilofophos. Les faux Pbilofophes étoient tous les Scholaftiques paffés & prefens, & Nizolius s'élevoit avec la derniere hardieffe contre leurs idées monftrueufes, & leur langage barbare, jufques-là qu'il traitoit Saint Thomas luimême de Borgne entre des Aveugles. La longue & conftante admiration qu'on a euë pour Ariftote ne prouve, difoit-il, que la multitude des fots, & la durée de la fottife. La bile de l'Auteur étoit encore animée par quelques conteftations particulieres avec des Ariftoteliciens.

Ce Livre qui dans le temps où il parut, n'avoit pas dû être indifferent, étoit tombé dans l'oubli, foit parce que l'Italie avoit eu intérêt à l'étouffer, & qu'à l'égard des autres Païs ce qu'il avoit de vrai, n'étoit que trop clair, & trop prouvé, foit parce qu'effectivement la dofe des paroles y eft beaucoup trop forte par rapport à celle des chofes. M. Leibniz jugea à propos

de

de le mettre au jour avec une Préface &

des Notes.

La Préface annonce un Editeur, & un Commentateur d'une efpece fort finguliere. Nul refpect aveugle pour fon Auteur, nulles raifons forcées pour en relever le merite, ou pour en couvrir les défauts. Il le loue, mais feulement par la circonftance du temps, où il a écrit, par le courage de fon entreprise, par quelques verités qu'il a apperçûës, mais il y reconnoit de faux raifonnemens & des vues imparfaites; il le blame de fes excès & de fes emportemens à l'égard d'Ariftote, qui n'eft pas coupable des rêveries de fes prétendus Difciples, & même à l'égard de Saint Thomas, dont la gloire pouvoit n'être pas fi chere à un Lutherien. Enfin il eft aifé de s'appercevoir que le Commentateur doit avoir un merite fort indépendant de celui de l'Auteur original.

Il paroit auffi qu'il avoit lu des Philofophes fans nombre. L'Hiftoire des Penfées des hommes, certainement curieufe par le fpectacle d'une varieté infinie, eft auffi quelquefois inftructive. Elle peut donner de certaines idées détournées du chemin ordinaire que le plus grand efprit n'auroit pas produites de fon fonds, elle fournit des materiaux de penfées, elle fait connoître les principaux écueils de la Raifon humaine marque les routes les plus fûres, &, ce qui eft le plus confiderable elle apprend aux plus grands genies qu'ils ont eu des pareils, & que leurs pareils fe font trompés. Tome II.

B

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Un

Un Solitaire peut s'eftimer davantage que ne fera celui qui vit avec les autres & qui s'y compare.

"M. Leibniz avoit tiré ce fruit de fa grande lecture, qu'il en avoit l'efprit, plus exercé à recevoir toutes fortes d'idées, plus fufceptible de toutes les formes, plus acceffible à ce qui lui étoit nouveau & même oppofé, plus indulgent pour la foibleffe humaine, plus difpofé aux interpretations favorables, & plus industrieux à les trouver. Il donna une preuve de ce caractere dans une Lettre de Ariftotele Recentioribus reconciliabili qu'il imprima avec le Nizolius. Là il ofe parler avantageufement d'Ariftote, quoique ce fût une mode affés generale que de le décrier, & prefque un titre d'efprit. Il va même jufqu'à dire qu'il approuve plus de chofes dans fes ouvrages que dans ceux de Defcartes. Ce n'eft pas qu'il ne regardât la Philofophie corpufculaire ou méchanique comme la feule legitime, mais on n'eft pas Cartefien pour cela ; & il prétendoit que le veritable Ariftote, & non pas celui des Scholaftiques, n'avoit pas connu d'autre Philofophie. C'eft par-là qu'il fait la réconciliation. Il ne le juftifie que fur les principes generaux, l'effence de la matiere, le mouvement, &c. mais il ne touche point à tout le détail immense de la Phylique, fur quoi il femble que les Modernes feroient bien genereux, s'ils vou. loient fe mettre en communauté de biens avec Ariftote.

Dans l'année qui fuivit celle de l'Edition

du

du Nizolius, c'est-à-dire, en 1672. âgé de vingt cinq ans, il publia deux petits Traités de Phyfique, Theoria Motus abftracti dédié à l'Academie des Sciences, & Theoria Motus concreti, dédié à la Societé Royale de Londres. Il femble qu'il ait craint de faire de la jaloufie.

Le premier de ces Traités eft une Theorie très-fubtile & prefque toute neuve du mouvement en general. Le fecond eft une application du premier à tous les Phénoménes. Tous deux enfemble font une Phyfique generale complete. Il dit lui-même qu'il croit que fon Systême reünit & concilie tous les autres, fupplée à leurs imperfections, étend leurs bornes, éclaircit leurs obfcurités, & que les Philofophes n'ont plus qu'à travailler de concert fur, ces principes,

à defcendre dans des explications plus particulieres, qu'ils porteront dans le Trefor d'u ne folide Philofophie. Il eft vrai que fes idées, font fimples, étenduës, vaftes. Elles partent d'abord d'une grande univerfalite, qui en eft comme le Tronc, & enfuite fe divifent, fe fubdivifent, &, pour ainfi dire, fe ramifient prefque à l'infini, avec un agré ment inexprimable pour l'efprit, & qui aide à la perfuafion. C'eft ainfi que la Nature pourroit avoir pensé.

Dans ces deux Ouvrages, il admettoit du Vuide, & regardoit la matiere comme une fimple étendue abfolument indifferente au mouvement & au repos; il a depuis changé de fentiment fur ces deux points. A l'égard du dernier, il étoit venu à croire B 2

que

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