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mie de Berlin d'une chûte prochaine. M. Leibniz fongea à procurer aux Sciences un Siége plus affuré, & fe tourna du côté de la Cour Imperiale. Il y trouva le Prince Eugene, qui pour étre un fi grand General, & fameux par tant de Victoires, n'en aimoit pas moins les Sciences, & qui favorifa de tout fon pouvoir le deffein de M. Leibniz. Mais la Pefte furvenue à Vienne rendit inutiles tous les mouvemens qu'il s'étoit donnés pour y former une Academie. Il n'eut qu'une affés groffe pension de l'Empereur, avec des offres très-avantageufes, s'il vouloit demeurer dans fa Cour. Dès le temps du couronnement de ce Prinil avoit déja eu le titre de Conseiller

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Aulique.

Il étoit encore à Vienne en 1714. lorfque la Reine Anne mourut, à laquelle fucceda PElecteur de Hanovre qui réünissoit sous fa domination un Electorat, & les trois Royaumes de la grande Bretagne, M. Leibniz & M. Newton. M. Leibniz fe rendit à Hanovre, mais il n'y trouva plus le Roi, & il n'étoit plus d'àge à le fuivre jufqu'en Angleterre. Il lui marqua fon zele plus utilement par des Réponfes qu'il fit à quelques Libelles Anglois publiés contre S. M.

Le Roi d'Angleterre repaffa en Allemagne, ou M. Leibniz eut enfin la joye de le voir Roi. Depuis ce temps fa fanté baiffa toûjours, il étoit fujet à la Goute, dont les attaques devenoient plus frequentes. Elle lui gagna les Epaules, & on croit qu'une certaine Tifane particuliere qu'il prit dans

un grand accès & qui ne passa point, lui caufa les convulfions & les douleurs exceffives dont il mourut en une heure le 14. Novembre 1716. Dans les derniers momens qu'il put parler, il raifonnoit fur la maniere dont le fameux Furtenbach avoit changé la moitié d'un clou de fer

en or.

ou

Le favant M. Eckard qui avoit vêcu dixneuf ans avec lui, qui l'avoit aidé dans tous fes Travaux Hiftoriques & que le Roi d'Angleterre a choifi en dernier lieu pour être Hiftoriographe de fa Maifon, & fon Bibliothequaire à Hanovre, prit foin de lui faire une fepulture très-honorable plûtôt une Pompe funebre. Toute la Cour y fut invitée, & perfonne n'y parut. M. Eckard dit qu'il en fut fort étonné pendant les Courtifans ne firent que ce qu'ils devoient, le Mort ne laiffoit après lui perfonne qu'ils euffent à confiderer, & ils n'euffent rendu ce dernier devoir qu'au merite.

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M. Leibniz ne s'étoit point marié, il y avoit pensé à l'âge de cinquante ans, mais la perfonne qu'il avoit en vûë voulut avoir le temps de faire fes réflexions. Cela donna à M. Leibniz le loifir de faire auffi les fiennes, & il ne fe marin point.

Il étoit d'une forte complexion. Il n'avoit guere eu de maladies, excepté quelques vertiges dont il étoit quelquefois incommodé, & la goute. Il mangeoit beaucoup, & buvoit peu, quand on ne le forçoit pas, & jamaís de vin fans eau. Chés

lui il étoit abfolument le maître, car il y mangeoit toûjours feul. Il ne regloit pas fes repas à de certaines heures, mais felon fes études, il n'avoit point de ménage, & envoyoit querir chés un Traiteur la premiere chofe trouvée. Depuis qu'il avoit la goute il ne dînoit que d'un peu de Lait mais il faifoit un grand fouper, fur lequel il fe couchoit à une heure ou deux après minuit. Souvent il ne dormoit qu'affis fur une chaife, & ne s'en réveilloit pas moins frais à fept ou huit heures du matin. Il étudioit de fuite, & il a été des mois entiers fans quitter le Siége, pratique fort propre à avancer beaucoup un travail mais fort mal-faine. Auffi croit-on qu'elle lui attira une fluxion fur la jambe droite, avec un ulcere ouvert. Il y voulut remedier à fa maniere, car il confultoit peu les Medecins & il vint à ne pouvoir prefque plus marcher, ni quitter le lit.

Il faifoit des extraits de tout ce qu'il lifoit, & y ajoûtoit fes réflexions, apres quoi il mettoit tout cela à part & ne le regardoit plus. Sa memoire, qui étoit admirable, ne fe déchargeoit point, comme à l'ordinaire, des chofes qui étoient écrites. mais feulement l'écriture avoit été neceffaire pour les y graver à jamais. Il étoit toûjours prêt à répondre fur toutes fortes de matieres, & le Roi d'Angleterre l'appelloit fon Dictionnaire vivant.

Il s'entretenoit volontiers avec toutes fortes de perfonnes, Gens de Cour, Artifans. · Laboureurs, Soldats. Il n'y a guere d'iC 4

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gnorant qui ne puiffe apprendre quelque chofe au plus favant homme du monde & en tout cas le favant s'inftruit encore quand il fait bien confiderer l'ignorant. II s'entretenoit même fouvent avec les Dames, & ne comptoit point pour perdu le temps qu'il donnoit à leur converfation. I fe dépouilloit parfaitement avec elles du caractere de Savant & de Philofophe, caracteres cependant prefque indélebiles, & dont elles appercevroient bien finement & avec bien du dégoût les traces les plus legeres. Cette facilité de fe communiquer le faifoit aimer de tout le monde; un Savant illuftre qui eft populaire & familier, c'eft prefque un Prince qui le feroit auffi, le Prince a pourtant beaucoup d'avantage.

M. Leibniz avoit un commerce de Lettres prodigieux. Il fe plaifoit à entrer dans les travaux ou dans les projets de tous les Savans de l'Europe, il leur fournissoit des vûës, il les animoit, & certainement il prêchoit d'exemple. On étoit fur d'une répfe dès qu'on lui écrivoit, ne fe fût-on propofé que l'honneur de lui écrire. Il eft impoffible que fes Lettres ne lui ayent emporté un temps très-confiderable mais il aimoit autant l'employer au profit ou à la gloire d'autrui, qu'à fon profit ou à sa gloire particuliere.

Il étoit toûjours d'une humeur gaye, & à quoi ferviroit fans cela d'ètre Philofophe? On l'a vu fort affligé à la mort du feu Roi de Pruffe, & de l'Electrice Sophie. La douleur d'un tel Homme eft la plus belle Oraison funebre.

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Il fe mettoit aifément en colere, mais il en revenoit auffi-tôt. Ses premiers mouvemens n'étoient pas d'aimer la contradiction fur quoi que ce fût, mais il ne faloit qu'attendre les feconds; & en effet ces feconds mouvemens, qui font les feuls dont il refte des marques, lui feront éternellement honneur.

On l'accufe de n'avoir été qu'un grand & rigide obfervateur du Droit naturel. Ses Pasteurs lui en ont fait des réprimandes publiques & inutiles.

On l'accufe auffi d'avoir aimé l'argent. Il avoit un revenu très-confiderable en penfions du Duc de Wolfenbutel, du Roi d'Angleterre, de l'Empereur, du Czar, & vi, voit toûjours affes groffierement. Mais un Philofophe ne peut guere, quoiqu'il devienne riche, fe tourner à des dépenfes inutiTes & faftueufes qu'il méprife. De plus M. Leibniz laiffoit aller le détail de fa maifon comme il plaifoit à fes 'Domestiques, & il dépenfoit beaucoup en negligence. Cependant la recette étoit toûjours la plus forte, & on lui trouva après la mort une groffe fomme d'argent comptant qu'il avoit caché. C'étoient deux années de fon reve-. nu. Ce Trefor lui avoit caufé pendant fa vie de grandes inquietudes qu'il avoit con-fiées à un Ami, mais il fut encore plus funefte à la femme de fon feul heritier fils de. fa Soeur, qui étoit Curé d'une Paroiffe après de Leipfic. Cette femme en voyant tant d'argent enfemble qui lui appartenoit, fut si saisie de joye qu'elle en mourut fubitement.

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