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INTRODUCTION

A L'HISTOIRE

DU BAS-EMPIRE.

JE

E me propose d'écrire l'histoire de Constantin et de ses successeurs jusqu'au temps où leur puissance, ébranlée au-dehors par les attaques des Barbares, affaiblie au-dedans par l'incapacité des princes, succomba enfin sous les armes des Ottomans. I'empire romain, le mieux établi qui fut jamais, fut aussi le plus régulier dans ses degrés d'accroissement et de décadence. Ses différents périodes ont un rapport exact avec les différents âges de la vie humaine. Gouverné dans ses commencements par des rois, qui lui formèrent une constitution durable; toujours agissant sous les consuls, et fortifié par l'exercice continuel des combats, il parvint sous Auguste à sa juste grandeur, et soutint sa fortune pendant trois siècles, malgré les désordres d'un gouvernement tout militaire.

L'ouvrage que j'entreprends, est l'histoire de sa vieillesse elle fut d'abord vigoureuse, et le dépé

Tome 1.

:

I

rissement de l'état ne se déclara sensiblement que sous les fils de Théodose. De là à la chute entière, il y a plus de mille ans. La puissance des Romains avait la même consistance que leurs ouvrages: il fallut bien des siècles et des coups réitérés pour l'ébranler et pour l'abattre; et quand je considère d'un côté la faiblesse des empereurs, de l'autre les efforts de tant de peuples qui entament successivement l'empire, et qui sur ses débris établissent tous les royaumes de l'Europe en-deçà du Rhin et du Danube, je crois voir un ancien palais, qui se soutient encore par sa masse et par la stabilité de sa structure, mais qu'on ne répare plus, et que des mains étrangères démolissent peu à peu et détruisent à la longue, pour profiter de ses ruines.

Il est vrai que les siècles antérieurs présentent une scène plus vive et plus brillante. On y voit des actions plus héroïques, et des crimes plus éclatants: les vertus et les vices étaient des effets ou des excès de vigueur et de force. Ici les uns et les autres portent un caractère de faiblesse : la politique est plus timide; les intrigues de cour succèdent à l'audace; le courage militaire n'est plus dirigé par la discipline; les Romains de ces derniers temps ne songent qu'à se défendre, quand leurs ancêtres osaient attaquer: la scélératesse devient moins entreprenante, mais plus sombre; la haine et l'ambition emploient le poison plus souvent que le fer cet esprit général, cette ame de l'état, qu'on appelait amour de la patrie, et qui en tenait toutes les parties liées ensemble, s'anéantit et fait place à l'intérêt personnel; tout se

désunit, et les Barbares pénètrent jusque dans le cœur de l'empire.

Ces objets, quoique plus obscurs, n'en méritent pas moins l'attention d'un lecteur judicieux. L'histoire de la décadence de l'empire romain est la meilleure école des états qui, parvenus à un haut degré de puissance, n'ont plus à combattre que les vices qui peuvent altérer leur constitution. Il a fallu, pour le détruire, toutes les maladies dont une seule peut renverser des gouvernements moins solidement affermis.

Un tableau si sombre sera pourtant éclairé par des traits de lumière. Lors même que toute vertu paraîtra éteinte, et que tout l'empire semblera sans action et sans ame, on verra quelquefois, pour ainsi dire, du milieu de ces tombeaux s'élever des héros; et ce qui pourra encore entretenir la curiosité des lecteurs, et donner quelque chaleur à cette histoire, c'est qu'ils verront de temps en temps sortir des ruines de l'empire de puissants états, dont les uns sont aujourd'hui déja détruits, et les autres subsistent encore avec gloire, quoiqu'ils n'occupent qu'une petite portion de la vaste étendue que remplissait la domination romaine.

Le règne de Constantin est une époque fameuse. La religion chrétienne arrachée des mains des bourreaux, pour être revêtue de la pourpre impériale, et le siége des Césars transféré de Rome à Byzance, donnent à l'empire une face toute nouvelle. Mais avant que de raconter ces grands événements, je dois exposer quel était alors l'état des affaires.

Depuis la bataille d'Actium, qui fixa la souveraineté sur la tête d'Auguste, jusqu'au règne de Dioclétien, dans l'espace de trois cent quatorze ans, Rome avait vu une suite de trente-neuf empereurs. Plusieurs de ces princes ne firent que paraître, et ne régnèrent que le temps qu'il fallut à leurs rivaux pour monter en leur place, et leur enlever la couronne et la vie. La succession n'ayant point été réglée par une loi expresse et fondamentale, chaque prince s'efforçait de rendre l'empire héréditaire dans sa famille : l'autorité de ceux qui mouraient paisiblement leur survivait, et passait à leurs enfants ou à ceux qu'ils avaient adoptés. Mais dans les révolutions violentes, le sénat et les armées prétendaient au droit d'élection; et les armes qui parlent plus haut que les lois, lors même que celles-ci s'expliquent clairement, décidaient toujours. L'approbation du sénat n'était qu'une formalité, qui ne manquait jamais à ceux à qui la supériorité des forces donnait un titre redoutable.

Ce fut par le suffrage des soldats, qu'après la mort de Carus et de son fils Numérien, Dioclétien fut élevé à l'empire, l'an de J.-C. 284. C'était un Dalmate né dans l'obscurité, mais qui, s'étant formé au métier de la guerre sous Aurélien et sous Probus, était parvenu aux premiers emplois. Grand homme d'état, et grand capitaine; intrépide dans les combats, mais timide dans les conseils par un excès de circonspection et de prudence; d'un génie étendu, pénétrant, prompt à trouver des expédients, et habile à les mettre en œuvre; doux

par tempérament, cruel par politique, et quelquefois par faiblesse; avare, et aimant le faste; ravissant le bien d'autrui, pour fournir à son luxe sans diminuer ses trésors; adroit à déguiser ses vices, et à rejeter sur les autres tout ce qu'il faisait d'odieux; et ce qui marque davantage son habileté, c'est qu'ayant communiqué sa puissance à Maximien et à Galérius, qui, féroces et audacieux, semblaient être de caractère à ne respecter personne, il demeura le maître du premier après en avoir fait son collègue, et sut long-temps tenir l'autre dans une juste subordination.

Aussitôt que par la défaite et la mort de Carinus il vit sa puissance affermie, il porta ses regards sur toutes les parties de ce vaste domaine. L'empire avait alors à peu près les mêmes limites dans lesquelles Auguste avait voulu le renfermer. Il s'étendait d'occident en orient depuis l'Océan atlantique jusqu'aux frontières de la Perse, toujours aussi impénétrables aux Romains que l'Océan même : le Rhin, le Danube, le Pont-Euxin et le Caucase le séparaient des peuples du Nord: du côté du midi il avait pour bornes le mont Atlas, les déserts de la Libye, et les extrémités de l'Égypte vers l'Éthiopie.

Les Barbares depuis près d'un siècle tentaient de franchir ces limites: ils les avaient même quelquefois forcées; mais ce n'était que par des incursions passagères, et on les avait bientôt repoussés. Au temps de Dioclétien des essaims nombreux, sortis des glaces du Nord, et la plupart inconnus jusqu'alors, commençaient à se montrer sur les

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