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bords du Danube; les Perses et les Sarrasins insultaient la Mésopotamie et la Syrie; les Blemmyes et les Nubiens attaquaient l'Égypte ; et les barrières de l'empire tremblaient de toutes parts.

A la vue de tant d'orages prêts à éclater, Dioclétien sentit qu'il était difficile à une seule tête de mettre tout à couvert. L'expérience du passé lui montrait le danger de multiplier les généraux et les armées. Plusieurs de ses prédécesseurs avaient été détruits par ces chefs de légions, qui, ayant éprouvé le charme flatteur du commandement, tournaient contre l'empereur les armes qu'ils avaient reçues de lui pour la défense de l'empire; et les soldats des frontières perdant le respect pour le prince, à mesure qu'ils le perdaient de vue, ne voulaient plus avoir pour maître que celui

qui les avait accoutumés à obéir. Il fallait donc, pour la sûreté de l'empereur, qu'il confiât ses armées à un chef qui lui fût attaché par un intérêt plus vif que le devoir, qui défendît l'empire comme son propre bien, et qui servît à assurer la puissance de son bienfaiteur, en maintenant la sienne. Pour remplir toutes ces vues, Dioclétien cherchait un collègue qui voulût bien se tenir au second rang, et sur qui la supériorité de son génie lui conservât toujours une autorité insensible.

Il le trouva dans Maximien. C'était un esprit subalterne, en qui il ne se rencontrait d'autres qualités éminentes que celles que Dioclétien désirait dans celui qu'il associerait à l'empire, l'expérience militaire et la valeur. Vain et présomptueux, mais d'une vanité de soldat, il était très

propre à suivre, sans s'en apercevoir, les impressions d'un homme habile. Né en Pannonie, près de Sirmium, dans une extrême pauvreté, nourri et élevé au milieu des alarmes et des courses des Barbares, il n'avait fait d'autres études que celle de la guerre, dont il avait partagé toutes les fatigues et tous les périls avec Dioclétien. La conformité de condition, et plus encore l'égalité de bravoure les avait unis. La fortune ne les sépara pas; elle les fit monter également aux premiers grades dans les armées, jusqu'au moment où Dioclétien prenant l'essor s'éleva au rang suprême. Il y appela bientôt son ami, qu'il savait capable de le seconder sans lui donner de jalousie. Maximien, honoré du titre d'Auguste, conserva la rudesse de son pays et de sa première profession. Soldat jusque sur le trône, il était à la vérité plus franc et plus sincère que son collègue, mais aussi plus dur et plus grossier. Prodigue plutôt que libéral, il pillait sans ménagement pour répandre sans mesure hardi, mais dépourvu de jugement et de prudence; brutal dans ses débauches, ravisseur, et sans égard aux lois ni à l'honnêteté publique. Avec ce caractère sauvage, il fut pourtant toujours gouverné par Dioclétien, qui mit en œuvre sa valeur, et sut même profiter de ses défauts. Les vices découverts de l'un donnaient du lustre aux fausses vertus de l'autre : Maximien se prêtait de grand cœur à l'exécution de toutes les cruautés que Dioclétien jugeait nécessaires; et la comparaison qu'on faisait des deux princes tournait toute entière à l'avantage du dernier on disait que

Dioclétien ramenait le siècle d'or, et Maximien le siècle de fer.

Les deux empereurs soutinrent par leurs victoires les forces et la réputation de l'empire. Tandis que Dioclétien arrêtait les Perses et les Sarrasins, qu'il terrassait les Goths et les Sarmates, et qu'il étendait la puissance romaine du côté de la Germanie; Maximien chargé de la défense de l'Occident et du Midi, réduisait dans les Gaules les paysans révoltés, repoussait au-delà du Rhin les Germains et les Francs, et veillait à la sûreté de l'Italie, de l'Espagne et de l'Afrique.

Ces deux princes infatigables, qui comme des éclairs couraient d'une frontière à l'autre avec une rapidité que l'histoire même a peine à suivre, auraient peut-être suffi à défendre l'empire, s'il n'eût pas été troublé au-dedans par des révoltes, en même temps qu'il était attaqué de tous côtés audehors. Pendant que les Perses menaçaient les bords de l'Euphrate, et les peuples septentrionaux ceux du Rhin et du Danube; Carausius, de simple matelot devenu maître de l'Océan, s'était emparé de la Grande-Bretagne, et ayant battu Maximien, qui n'entendait pas la guerre de mer, il avait forcé les deux empereurs à le reconnaître pour leur collègue; Julien en Afrique, Achilléus en Égypte avaient tous deux usurpé le titre d'Auguste; et les habitants de la Libye Pentapolitaine s'étaient soulevés.

Pour calmer tous ces mouvements, il fallait partager les forces, et leur donner plusieurs chefs. Dioclétien, suivant son système politique, ne voulait mettre à la tête de ses troupes que des com

mandants personnellement intéressés à la prospérité de l'état. Dans ce dessein il songea à créer deux Césars, qui fussent attachés aux deux Augustes, dont ils seraient les lieutenants. Il n'avait qu'une fille de sa femme Prisca: Maximien avait de la sienne, appelée Eutropia, un fils nommé Maxence; mais c'était encore un enfant, qui ne pouvait être d'aucun secours. Ils jetèrent donc les yeux hors de leurs familles. Deux officiers avaient alors une haute réputation dans les armées : tous deux avaient appris le métier des armes dans la même école que Dioclétien et Maximien, et s'y étaient signalés par mille actions de valeur. Le premier était Constance Chlore, fils d'Eutrope noble Dardanien, et de Claudia, fille de Crispus frère de Claude le Gothique: ainsi Constance était, par sa mère, petit-neveu de cet empereur. Il avait d'abord servi dans un corps distingué, qu'on appelait les protecteurs; c'étaient les gardes du prince. Il parvint ensuite à l'emploi de tribun. Aussi heureux que vaillant, il fut honoré par Carus du gouvernement de la Dalmatie. On dit même que ce prince, charmé de son amour pour la justice, de sa douceur, de son désintéressement, de la régularité de ses mœurs et de ses autres belles qualités, relevées par la bonne mine et par une bravoure éclatante, eut quelque envie de le déclarer César au lieu de son fils Carinus, dont il détestait les débauches.

L'autre guerrier qui fixa l'attention de Dioclétien, se nommait Galérius; il était fils d'un paysan d'auprès de Sardique, dans la Dace Aurélienne :

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son père l'avait occupé dans sa première jeunesse à conduire des troupeaux; ce qui lui fit donner dans son élévation le surnom d'Armentarius. Rien ne démentait dans sa personne sa naissance et son éducation. Ses vices laissaient pourtant entrevoir un certain fonds d'équité, mais aveugle et grossière haïssant les lettres dont il n'avait aucune teinture, fier et intraitable, ignorant les lois et n'en connaissant point d'autres que son épée, il n'avait de grace que dans le maniement des armes. Sa taille était haute et d'abord assez bien proportionnée, mais les excès de table lui donnèrent un embonpoint qui le défigurait. Ses paroles, le son de sa voix, son air, son regard, tout était farouche et terrible.

La prudence de Dioclétien fut cette fois trompée; et en donnant à Galérius le titre de César, en même temps qu'il le donna à Constance Chlore l'an de J.-C. 292, il ne prévit pas que sa créature le ferait trembler un jour, et deviendrait le fléau de sa vieillesse. Dans le partage même qu'il fit des deux Césars, il laissa Constance à son collègue, et prit pour lieutenant Galérius, à qui il donna le nom de Maximien, comme un présage de concorde et de déférence à ses volontés. Les deux

empereurs par un orgueil frivole avaient pris le surnom, Dioclétien de Jovius, Maximien d'Herculius: chacun d'eux communiqua le sien au César qu'il adoptait. Constance, soit par son âge, soit à cause de sa naissance, fut toujours regardé comme le premier, et il est nommé avant Galérius dans les monuments publics.

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