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Deux choses durent nuire à la réussite de cette comédie. La premiere, c'est que le ridicule d'un homme, dont toute l'occupation est de s'informer de ceux qui ont des querelles pour les terminer, selon certaines regles qu'il a imaginées, n'est pas senti parmi nous; et la seconde, c'est que le sujet est le même que celui du Jodelet duelliste de Scarron, et que cette ressemblance se fait sentir non seulement dans le fond, mais dans la forme. Le Sage crut qu'en resserrant l'intrigue, et en réduisant la piece de cinq en trois actes, il la

rendroit plus agréable en la rendant plus vive. En conséquence, après l'avoir retouchée, il la risqua aux Italiens, sous le titre de l'Arbitre des différends, avec un prologue; mais le public s'obstina à ne vouloir la voir que deux fois. Il fallut encore en rester à la seconde représentation.

En général Le Sage n'a pas été heureux dans les sujets de pieces qu'il a pris chez nos voisins. Il se pourroit bien que l'intrigue qui fait le principal mérite de leurs compositions dramatiques eût perdu de son mérite pour des oreilles accou

tumées au charme de la peinture des mœurs et aux effets du développement des caracteres, qui font le prix des chefsd'œuvre de l'immortel Moliere. Mais en revanche tout ce qu'il a emprunté de leurs romans a fait fortune.

Le Diable boiteux, qu'il publia en 1707, et dont el Diablo cojuelo, de Luis Velez de Guevara, lui fournit le titre et l'idée, eut une vogue prodigieuse. On a même à ce sujet une anecdote extraordinaire. Deux jeunes gens de qualité arriverent ensemble chez le libraire qui le débitoit. Il n'en

restoit plus qu'un seul exemplaire. Ni l'un ni l'autre ne vouloit le céder à son camarade. L'expédient qu'ils imaginerent pour savoir auquel des deux il demeureroit, fut de sortir devant la boutique, de mettre l'épée à la main, de se battre, et le vainqueur emporta le volume en signe de sa victoire. Le motif de la dispute étoit mince certainement; néanmoins, à la honte de cet esprit de vertige dont heureusement notre nation se défait de jour en jour, c'est peut-être entre mille, un des plus considérables de ceux qui ont mis

deux Français, souvent amis, dans le cas de se couper la gorge. La célébrité du volume lui valut tous les honneurs du vaudeville. Ce Dancourt, dont on vient de parler, toujours à l'affût des événemens du jour pour les exposer sur le théâtre, vit dans le bruit que faisoit l'ouvrage, le sujet de deux pieces pour la comédie française. Il donna d'abord le Diable boiteux, en un acte, qui eut trente-cinq représentations; ensuite le second chapitre du Diable boiteux, qui en eut vingt-deux. Il faut convenir que le livre méritoit son

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