Imágenes de páginas
PDF
EPUB

du jeu possede, dit dom Cléophas; ils ont souvent l'esprit dans une horrible situation. Graces au ciel, je ne suis point entiché de ce vice-là. Vous en avez un autre qui le var bien, reprit le démon. Est-il plus raisonnable, à votre avis, d'aimer les courtisanes, et n'avez-vous pas couru risque ce soir d'être tué par des spadassins? J'admire messieurs les hommes; leurs propres défauts leur paroissent des minuties; au lieu qu'ils regardent ceux d'autrui avec un microscope.

Il faut encore, ajouta -t-il, que je vous présente des images tristes. Voyez dans une maison à deux pas du tripot, ce gros homme étendu sur un lit : c'est un malheureux chanoine qui vient de tomber en apoplexie. Son neveu et sa petite niece, bien loin de lui donner du secours, le laissent

1

mourir, et se saisissent de ses meilleurs effets qu'ils vont porter chez des receleurs; après quoi ils auront tout le loisir de pleurer et de lamenter. Remarquez-vous près de là deux hommes que l'on ensévelit? Ce sont deux freres; ils étoient malades de la même maladie, mais ils se gouvernoient différemment; l'un avoit une confiance aveugle en son médecin, l'autre a voulu laisser agir la nature; ils sont morts tous deux : celui-là, pour avoir pris tous les remedes de son docteur; celui-ci, pour n'avoir rien voulu prendre. Cela est fort embarrassant, dit Léandro. Eh! que faut-il donc que fasse un pauvre malade? Cest ce que je ne puis vous apprendre, répondit le diable; je sais bien qu'il y a de bons remedes, mais je ne sais s'il y a de bons médecins.

Changeons de spectacle, poursuivítil j'en ai de plus divertissans à vous montrer. Entendez-vous dans la rue un charivari? Une femme de soixante ans a épousé ce matin un cavalier de dix-sept. Tous les rieurs du quartier se sont ameutés pour célébrer ses noces par un concert bruyant de bassins, de poêles et de chaudrons. Vous m'avez dit, interrompit l'écolier, que c'étoit vous qui faisiez les mariages ridicules; cependant, vous n'avez point de part à celui-là. Non vraiment, repartit le boiteux, je n'avois garde de le faire, puisque je n'étois pas libre; mais quand je l'aurois été, je ne m'en serois pas mêlé. Cette femme est scrupuleuse; elle ne s'est remariée que pour pouvoir goûter sans remords des plaisirs qu'elle aime. Je ne forme point de pareilles unions;

je me plais bien davantage à troubler les consciences, qu'à les rendre tranquilles.

Malgré le bruit de cette burlesque sérénade, dit Zambullo, un autre, ce me semble, frappe mon oreille. Celui que vous entendez en dépit du charivari, répondit le boiteux, part d'un cabaret où il y a un gros capitaine flamand, un chantre français, et un officier de la garde allemande, qui chantent en trio. Ils sont à table depuis huit heures du matin, et chacun d'eux s'imagine qu'il y va de l'honneur de sa nation d'enivrer les deux autres.

Arrêtez vos regards sur cette maison isolée vis-à-vis celle du chanoine; vous verrez trois fameuses Galliciennes qui font la débauche avec trois hommes de la cour. Ah! qu'elles me parois

sent jolies! s'écria dom Cléophas je

ne m'étonne pas si les gens de qualité les courent. Qu'elles font de caresses à ceux-là! il faut qu'elles soient bien amoureuses d'eux! Que vous êtes jeune! répliqua l'esprit : vous ne connoissez guere ces sortes de dames ; elles ont le cœur encore plus fardé que le visage. Quelques démonstrations qu'elles fassent, elles n'ont pas la moindre amitié pour ces seigneurs: elles en ménagent un pour avoir sa protection, et les deux autres pour en tirer des contrats de rente. Il en est de même de toutes les coquettes. Les hommes ont beau se ruiner pour elles, ils n'en sont pas plus aimés; au contraire, tout payeur est traité comme un mari : c'est une regle que j'ai établie dans les intrigues amou

« AnteriorContinuar »