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mée dona Béatrix, dont il faut que je vous raconte le malheur.

Cette dame avoit une amie qu'on appelloit dona Mencia: elles se voyoient tous les jours. Un chevalier de l'ordre de Saint Jacques, homme bien fait et galant, fit connoissance avec elles, et les rendit bientôt rivales elles se disputerent vivement` son cœur qui pencha du côté de dona Mencia; de sorte que celle-ci devint femme du chevalier.

Dona Béatrix, fort jalouse du pouvoir de ses charmes, conçut un dépit mortel de n'avoir pas eu la préférence; et elle nourrissoit, en bonne Espagnole, au fond de son cœur, un violent desir de se venger, lorsqu'elle reçut un billet de dom Jacinthe de Romarate, autre amant de dona

Mencia; et ce cavalier lui mandoit qu'étant aussi mortifié qu'elle du mariage de sa maîtresse, il avoit pris la résolution de se battre contre le chevalier qui la lui avoit enlevée.

Cette lettre fut très agréable à Béatrix, qui ne voulant que la mort du pécheur, souhaitoit seulement que dom Jacinthe ôtât la vie à son rival. Pendant qu'elle attendoit avec impatience une si chrétienne satisfaction, il arriva que son frere ayant eu par hasard un différent avec ce même dom Jacinthe, en vint aux prises avec lui, et fut percé de deux coups d'épée, desquels il mourut. Il étoit du devoir de dona Béatrix de poursuivre en justice le meurtrier de son frere; cependant elle négligea cette poursuite, pour donner le temps à dom Jacinthe d'attaquer le chevalier de

Saint Jacques; ce qui prouve bien que les femmes n'ont point de si cher intérêt que celui de leur beauté. C'est ainsi qu'en use Pallas, lorsqu'Ajax a violé Cassandre; la déesse ne punit point à l'heure même le grec sacrilege qui vient de profaner son temple; elle veut auparavant qu'il contribue à la venger du jugement de Pâris. Mais hélas! dona Béatrix, moins heureuse que Minerve, n'a pas goûté le plaisir de la vengeance. Romarate a péri en se battant contre le chevalier; et le chagrin qu'a eu cette dame de voir son injure impunie, a troublé sa raison.

Les deux folles suivantes sont l'aïeule d'un avocat et une vieille marquise la premiere, par sa mauvaise humeur, désoloit son petit-fils, qui l'a mise ici fort honnêtement,

pour

s'en débarrasser : l'autre est une femme qui a toujours été idolâtre de sa beauté ; au lieu de vieillir de bonne grace, elle pleuroit sans cesse en voyant ses charmes tomber en ruine; et enfin, un jour, en se considérant dans une glace fidele, la tête lui

tourna.

Tant mieux pour cette marquise, dit Léandro; dans le dérangement où est son esprit, elle n'apperçoit peutêtre plus le changement que le temps a fait en elle. Non, assurément, répondit le diable : bien loin de remarquer à présent un air de vieillesse sur son visage, son teint lui paroît un mélange de lys et de roses; elle voit autour d'elle les graces et les amours ; en un mot, elle croit être la déesse Vénus. Hé bien, répliqua l'écolier, n'est-elle pas plus heureuse d'être

folle que de se voir telle qu'elle est? Sans doute, repartit Asmodée. Oh ça, il ne nous reste plus qu'une dame à observer; c'est celle qui habite la derniere loge, et que le sommeil vient d'accabler après trois jours et trois nuits d'agitation; c'est dona Emerenciana: examinez-la bien; qu'en dites-vous? Je la trouve fort belle, répondit Zambullo; quel dommage! faut-il qu'une si charmante personne soit insensée ! Par quel accident estelle réduite en cet état? Écoutez-moi avec attention, repartit le boiteux, vous allez entendre l'histoire de son infortune.

Dona Emerenciana, fille unique de dom Guillem Stephani, vivoit tranquille à Siguença dans la maison de son pere, lorsque dom Kimen de Lizana vint troubler son repos par les

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