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cœurs la crainte de fubir le même fort, & le cou rage de s'en garantir.

- Le Roi qui vouloit amener les Rochellois à un accommodement avant que d'en venir à des coups d'autorité, écrivit au Duc de Longueville, Gouverneur de Picardie, d'engager la Nouë à fe rendre à Paris.

La Noue toujours brave & toujours malheureux, étoit alors à Cambray dans une fituation étrange, n'ofant revenir en France, ne pouvant fervir les Provinces-Unies, chagrin de la perte de Mons, où il s'étoit renfermé avec Louis de Naffau, & qu'ils avoient été forcés de rendre après une longue & courageufe détenfe.

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La Noue vint trouver le Duc de Longueville, fon ancien ami, & le confulta fur le parti qu'il avoit à prendre. D'un côté la Journée de la Saint Barthelemi lui faifoit tout craindre, & de l'autre les promeffes du Roi le raffuroient. Troublé, irréfolu, il balança long-tems entre l'efpérance & la crainte. Enfin le defir de revoir fes enfans le détermina. Il vint à Paris & vit en particulier Charles IX, & la Reine fa Mere dans la maifon du Comte de Retz. Contre fon attente, il fut reçu avec les plus vives demonftrations d'eftime & de bienveillance.

"

» Raffurez-vous la Nouë, lui dit le Roi, jouiffez Caurian. de vos dignités & de vos biens, de vos enfans & » de votre patrie. Acquittez-vous à mon égard par » un important fervice. Vous le fçavez, pour gagner »les Rochellois j'ai épuifé vainement toutes les ref» fources. Vous êtes leur ami, vous avez été leur » défenfeur; leur eftime pour vous & leur devoue-: ament vous mettent en état de tout concilier & de >>tout obtenir; partez, reduifez par la perfuafion ces Efprits inflexibles; ramenez à l'obéiffance d'indociles fujets que je vais livrer à toute la rigueur de

ma juftice s'ils refufent encore ce que fai droit » d'exiger d'eux. »

Le Roi n'oubliant rien pour engager la Nouë à fe prêter à fes vûes, ajouta, qu'il lui donnoit mainlevée des biens de Teligni, dont il avoit époufé la fœur. La Noue s'excufa d'abord & fupplia Sa Majefté de ne pas le charger d'une commiffion fi difficile. Cependant affuré de la droiture des intentions de la Cour, & perfuadé que, comme le Roi le luj promettoit, tout fe pafferoit de bonne foi, il fe rendit aux inftances de ce Prince & fe difpofa à partir, On lui donna pour adjoint Jean-Baptifte Guadagne, Florentin; moins comme un homme de confiance, qui dût partager avec lui le poids de la négociation, que comme un espion honorable, chargé d'éclairer fes démarches,

La Nouë s'étant rendu au Village de Tâdon, près de la Rochelle, expofa aux Députés de la Ville, le fujet de fa commiffion. Ceux-ci répondirent qu'ils alloient en faire au Confeil un rapport fidele; mais qu'ils étoient furpris de ne pas voir le Seigneur de la Noue au lieu affigné, pour la conférence qu'il avoit lui-même follicitée. Après cette infultante réponse il fe retirerent brufquement.

Deux jours après la Nouë demanda une feconde entrevûë. On fe raffembla au même endroit ; & comme on faifoit encore femblant de ne pas le reconnoître, indigné de ce nouvel outrage, » Il eft Caurian. » étonnant, dit-il, que vous ne reconnoiffiez pas >> votre ancien défenfeur. S'il eft banni de votre » cœur, il ne devroit pas l'être encore de votre mé»moire. Comment avez vous pû oublier un homme "qui a effuyé tant de périls pour vous? Voyez le feul »bras qui lui refte, & fongez qu'il a perdu l'autre "en combattant à la tête de vos troupes. Il n'y a que deux ans que j'étois au milieu de vous: com

» ment un fi court intervalle de tems a-t'il pû défigurer les traits de mon vifage, jufqu'à le rendre » méconnoiffable? Que ces difcours offenfans & fri » vales cedent la place à de férieufes réflexions, »Scachez que c'est votre intérêt feul qui m'amene ici. Sans ce motif je n'aurois pas rifqué une dé» marche, dont j'ai prévû tout le défagrément,

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כן

"Ce la Noue, repliquerent les Députés, ce gé»néreux la Nouë, uni aux Rochellois par les liens les plus étroits, ne s'eft jamais chargé du rolle odieux que vous jouez en ce jour. Zélé partisan » de nos intérêts, il en fit les fiens propres ; il ne fe » vendit jamais à la fortune & à la faveur. On ne le » vit pas le déguifer fous la forme d'un Négotiateur, » pour nous trahir dans une conférence publique, २२ & nous rendre nous mêmes les complices de notre perte, par notre acquiefcement à de féduifantes raifons; nous retrouvons en vous fon air & fes » manieres, nous cherchons en vain ce tendre atta chement qu'il eut toujours pour nous, Mais pourquoi vous tenir en fufpens? Nous fçavons qui » vous êtes & nous voyons avec chagrin que les » récompenfes vous ont féduit. Elles ont éteint ces beaux fentimens qui vous animoient autrefois. » Vous entrez dans une route nouvelle; puiffiez vous » être affez clairvoyant, pour y voir à chaque pas » des abymes ouverts! Si l'on vous flatte par des » promeffes, c'eft pour vous faire fervir à notre perte; » la vôtre n'est pas moins certaine, les momens n'en font que reculés. Vous allez devenir le miniftre du reffentiment de la Cour; vous en ferez vousmême, après nous, l'objet & la victime; on ne vous ménagera plus dès qu'on ceffera de nous

>> craindre. »

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Après ces paroles, les Députés reprirent le chemin de la Rochelle. La Nouë les fupplia de s'arrê

Thuanus.

ter. Il dit qu'on ne devoit pas donner de fauffes couleurs à des intentions pleines de droiture; qu'après tout ce qu'il avoit fait pour la Rochelle il auroit crû fa réputation à jamais établie dans l'esprit de fes Citoyens.

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Enfin on lui permit d'entrer dans la Ville. Les Caurian, Miniftres irrités communiquerent leur fureur au peuple; ils difoient que le bonheur fingulier qu'avoit eû la Nouë, d'échapper au maffacre général éclairciffoit tout le myftere; que puifqu'il n'avoit pas été enveloppé dans le malheur de Teligni fon beau frere, de l'Amiral & de tant d'autres, il falloit qu'il eut racheté fa vie au prix d'une trahifon, & qu'il eut proftitué fes fervices à ceux qui vouloient conduire par fa main les Rochellois au précipice,

Les Magiftrats après bien des conteftations dirent qu'ils ne vouloient recevoir ni Gouverneur, ni Garnifon. Ils montrerent en même tems à la Noue leur priviléges accordés par Charles V. ratifiés par Louis XI. & confirmés par le Roi regnant. Ils ajoûMff.de Mer- terent qu'ils efperoient, moyennant la favorable affiftance de Dieu, n'être pris au lit comme à Paris.

vault.

Les Miniftres prirent la parole après les Magiftrats. Ils firent une trifte peinture des maux que fouffroient leurs Eglifes défolées & gémiffantes. Alors la Nouë prenant Dieu à témoin de la fincérité de fes fentimens, protefta qu'il ne feroit jamais un lâche déserteur des Eglifes réformées, qu'il auroit toujours pour la Religion qu'il profeffoit le même refpect & le même zéle, mais qu'il n'en auroit pas moins pour fon Roi, qu'il lui feroit toujours uni par les liens d'une fidélité inviolable ; qu'il avoit accepté le Miniftere public dont il étoit chargé, non pour les trahir & les perdre, mais pour les fauver & tout concilier, s'il étoit poffible,

Ces proteftations radoucirent les efprits & firent fuccéder aux premieres fougues de l'emportement, des fentimens plus doux en faveur de la Nouë. Les Magiftrats l'embrafférent & lui firent trois propofitions. » Si vous voulez vivre à la Rochelle en » homme privé, lui dirent-ils, nous vous offrons » un logement, des biens & des dignités. Ces avan» tages feroient plus grands fi nous pouvions rem→ plir à votre égard toute l'étendue de nos défirs. » Si vous aimez mieux le Commandement militaire, » nous vous choififfons tous pour notre Chef, nous » combatrons fous vos aufpices; enfin fi vous voulez paffer en Angleterre, nous vous donnerons » un Vaiffeau pour vous y tranfporter ».

"

La Noue remercia les Magiftrats, & fans leur donner de réponse pofitive, fortit de la Rochelle, & vint à Saint Jean d'Angeli. Ayant conféré avec Biron & Guadagne, fur les propofitions qu'on venoit de lui faire, il convint avec eux qu'il devoit prendre le parti de Commander dans la Ville de la Rochelle, afin de ramener à la raifon une populace mutinée, & de tourner du côté de la paix, les vûës de la Nobleffe & de la Bourgeoifie. Il revint à la Rochelle, où le Commandement militaire lui fut déféré, à condition qu'il ne pourroit agir indépendamment du Maire.

Farbot.

Le nouveau Commandant fentit tout le poids de fa nouvelle Charge. Dépofitaire des intérêts de fon Thuanas. Maître, & défenleur d'un peuple indocile, il s'étonnoit du perfonnage fingulier qu'il alloit repréfenter. Lié au Roi par fa qualité de fujet, & aux Rochellois par la religion du ferment, cette double obligation ne lui paroiffoit pas pouvoir tenir dans un cœur fidele. L'extrême difficulté de remplir des devoirs fi oppofés, lui caufoit mille inquiétudes & le plongeoit dans une trifteffe profonde. Il difoit

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