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DISCOURS

LU DANS UNE ASSEMBLÉE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE,

le premier Mai 1748.

Sur le goût trop vif qui régne dans la Littérature pour les chofes de pur amusement.

Par M. GASTUMEAU, Directeur.

E n'eft pas une vaine curiofité qui attire des Spectateurs aux Séances publiques des Académies, de quoi pourroit-elle être fatisfaite? On n'y parle qu'à l'efprit & à la raifon, on en bannit le fel piquant de la Satyre, les Talens, l'Erudition, l'Eloquence même ne s'y montrent que, fous des dehors modeftes.

C'eft d'un principe plus noble que part l'empreffement du Public pour ces fortes d'Affemblées. Il aime les Arts, il protége les Artiftes, il s'intéreffe à leurs productions. Juge éclairé il croiroit fe manquer à foi-même s'il n'applaudiffoit à des efforts qui favorifent les progrès du goût, du moins s'il n'encourageoit de fes regards ceux que leur ardeur a entraîné dans la carriere.

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Quand les Académies veulent fe flatter fur l'utilité de leurs établissemens, elles n'oublient pas de mettre au rang de leurs fuccès ce défir même que le Public fait paroître pour l'accroiffement de l'Empire Littéraire. Elles fe félicitent de l'avoir infpiré, d'avoir étendu la fphére de la raifon, d'avoir fait connoître à la Nation toutes les reffources pour les Arts de génie, & fur-tout d'avoir affujetti aux régles du beau & du vrai, un Peuple né fpirituel, mais dont le feu & la vivacité l'emportoient fouvent fur la précision & la justesse.

Que les Académies nous ayent procuré ces avantages, ou qu'on n'en foit redevable qu'à l'heureufe étoile du fiècle, il eft certain qu'il n'y a jamais eu dans les efprits plus de délicateffe, plus de facilité, j'oferois dire plus d'attraits même pour les connoiffances folides fi le goût de l'amusement & du frivole n'étouffoit ces germes précieux.

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Mon deffein n'eft pas d'exagérer ici les défauts de notre Nation, ni de foufcrire au fentiment de ceux qui ofent avancer qu'elle ne peut faire dans les Sciences que des progrès médiocres.

pour

Quand elle n'auroit pas donné dans tous les genres d'érudition des preuves éclatantes du contraire, nous fçavons que du côté de l'efprit & du génic rien n'y manque pour y réuffir. Que faut - il épuifer les Sciences les plus vaftes & les plus profondes, pour y , pour y faire même des découvertes & enchérir fur ceux qui en ont frayé les routes? De l'activité, de la pénétration, de la facilité, de la jufteffe: ces qualités forment le caractere du génie François, & peut-être l'emportons-nous à cet égard fur les autres Peuples; du moins s'accordent-ils fur ce point, que le François porte dans les Sciences un goût délicat & méthodique, qui en les débarraffant des inutilités que la vanité des premiers Sçavans

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y avoit introduites, leur donne un ordre, une clarté qu'on ne voit guéres régner dans les écrits de nos voisins.

Mais il faut l'avouer, de fi heureufes difpofitions demeurent affez fouvent inutiles, par une façon de penfer qui parmi nous n'eft que trop commune. L'amusement & le plaifir qui depuis long-temps fem blent décider de tous nos goûts, tournent infenfi¬ blement les efprits aux objets de pur agrément; on ne fe plaît qu'aux ouvrages où tout eft efprit, fentiment & delicateffe; les recherches fçavantes fe négligent, ou n'occupent que le plus petit nombre.

Combien les fuites d'un pareil préjugé doiventelles être funeftes aux beaux Arts! L'Auteur & le Lecteur en deviennent également les victimes. L'efprit s'ammolit & perd le goût des choses solides, & par une conféquence néceffaire on tarit enfin la fource de ces agrémens pour lefquels on eft fi paf

fionné.

A parler en général, il n'eft point de Peuple où la mode & l'opinion ayent plus d'empire que parmi nous. On voit affez communément ailleurs des génies fermes qui heurtant de front les fentimens reçûs, fe font à eux-mêmes des régles de conduite qu'ils n'affu jettiffent jamais aux idées ou aux caprices des autres. Ils ofent être originaux au hazard de demeurer fans imitateurs. Mais en France où le penchant pour l'imitation eft fi actif, fi univerfel, & où la crainte du ridicule eft peut-être la plus vive de toutes les craintes, une opinion reçûe eft un tyran qui enchaîne le cœur & la raifon: il n'y a plus de liberté, plus d'examen il faut obéir & fe laiffer entraîner.

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Je conviens que le préjugé contre lequel je m'éleve a des charmes bien féduifans. Quoi de plus flateur pour l'homme de lettres qu'une érudition légere dont la varieté l'amufe plus qu'elle ne l'oc

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cupe, qui n'offrant au cœur que fes fentimens ou fes foibles lumieres les lui peint encore avec les couleurs les plus riantes, & qui malgré le peu d'application qu'elle exige orne l'efprit de connoiffances aufquelles la vogue donne du prix !

L'attrait eft ici d'autant plus puiffant que l'efprit, dégagé des réfléxions pénibles & accoutumé à courir rapidement fur tous les fujets, en devient plus facile, plus enjoué & dès-là plus propre à l'amusement des autres. Une foule d'idées vives & mobiles qu'un fimple coup d'œil fur la furface des objets réunit, & que le goût met en œuvre, donne à l'efprit une légereté, un brillant qui étonnent. De-là les faillies, les bons mots, les rapports finement faifis, l'illufion, l'allégorie tous ces traits vifs qu'inspire le défir de plaire & qui font la bafe des converfations polies.

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Sûr des fuffrages du plus grand nombre avec un fçavoir qui coûte fi peu, l'homme de lettres ira-t'il au-delà ? Livrée à la liberté & à l'enjoüement, la France semble se repofer du progrès des Arts fur quelques folitaires & fur les compagnies qui les cultivent par devoir. D'ailleurs comment fe réduire à l'état auftere & médiocre de Sçavant dans une Nation qui adore le plaifir & l'opulence?

Mais où doit conduire un préjugé fi dangereux? Vous en voyez les effets dans ces Ouvrages frivoles qui depuis quelque temps inondent la République des Letrres. Les Auteurs n'y cherchent point à nous rendre meilleurs, ils ne veulent que nous plaire. Eh! par quelles routes y arrivent-ils ? Des Histoires fabuleufes, des Anecdotes incertaines ou inutiles, des Contes, des Romans, des Féeries: voila le fond de cès Ecrits. Le ftile, les mœurs les bienféances y répondent à la gravité des fujets. Les images les plus licentieufes y faififfent le cœur, tandis que l'efprit

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oifif y reçoit des mains de la volupté des maximes qui allarment toutes les vertus.

Cependant ces Ouvrages, tout inutiles qu'ils font la mode veut qu'on les life. Ils fourniffent au plaifir, c'en eft affez; le beau fexe les accrédite; il ofe les lire, du moins en fecret; il ofe même se perfuader qu'indifférent pour le fond des chofes, il n'eft touché que de l'art & de la maniere de l'Auteur.

Voila la partie la plus fertile de notre littérature, voila les fources où il faut puifer les objets dont on doit fe remplir: à la place de ces Ouvrages immortels où brille la plus pure raison ornée de tous les agrémens de l'efprit & de tout ce que l'imagination a de plus riche & de plus majestueux, on eft obligé de confacrer fon temps & fes études à des productions qui feront la honte de notre fiécle, fi jamais la poftérité jette les yeux fur ces méprifables Ecrits.

Encore s'ils n'avoient cours que chez un certain Public toujours fans conféquence dans le jugement qu'on doit porter d'une Nation: mais ils fe répandent parmi ce qu'on appelle le Monde poli, où il femble que le mérite d'être amusant doive tenir lieu de tous les mérites.

Etrange opinion! Que faifons-nous en préférant les objets de pur agrément aux connoiffances utiles? nous éteignons infenfiblement en nous la force & l'activité de l'efprit, & nous en venons enfin à le dégoûter de toutes les occupations férieuses. Car il en eft des qualités du génie comme de celles du tempéramment une nourriture trop délicate, des foins exceffifs, des commodités trop recherchées servent plutôt à l'affoiblir qu'à le former. Sans compter que l'habitude de ces rafinemens caufe à la longue des dégoûts invincibles pour tout ce qui ramene à la fage fimplicité de la nature.

Les progrès de l'efprit ne fe développent que par

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