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promifes contre un danger que mon amitié & votre jeuneffe me faifoient craindre: vous entrez dans le monde, & vous y entrez avec de l'efprit, des graces & des talens, redoutables écueils pour votre religion dans ce malheureux fiécle. Si ces Reflexions peuvent contribuer à la garantir du naufrage, je me confolerai de l'accueil dédaigneux qu'elles effuyeront de la part des beaux efprits à la mode : je les ai mifes à votre portée. La Théologie & la controverfe euffent parlé une langue que votre jeuneffe n'eût pas entendue: l'appareil de l'érudition & les épines de la Métaphifique euffent effrayé votre âge. Vous avez heu reusement encore affez de docilité & affez d'innocence de mœurs, pour écouter la faine raison, & pour convenir avec moi, que l'impiété deshonnore P'homme de Lettres, fait douter au moins de la probité de fes partifans, & ne fçauroit s'allier avec la bonne Philofophie.

LES COMPLIMENS.

A MONSIEUR VALIN,

DE L'ACADÉMIE ROYALE

DE LA ROCHELLE.

Verba fine penu & pecuniâ. Plaut.

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OUS ne vous attendez pas, fans doute, à une folide & grave differtation: le fujet eft frivole & le ton ne doit pas être férieux. Je ne devrois employer que les couleurs de la fiction pour la peinture du faux, & de l'art de nous dupper : ce feroit peindre dans le goût du plus excellent peintre des mours. Non placidis coëant immitia. Vous allez Hor. apprécier le Compliment à fa jufte valeur, par la connoiffance du lieu qui lui donna le jour. Le climat décide fouvent du caractére qu'on portera dans tous les âges de la vie.

Sous les lambris d'un Palais enchanté,

Bâti jadis par les mains d'une Fée,
Séjour connu des enfans de Morphée,
Le compliment vit des Cieux la clarté ;
Fils du menfonge & de la politeffe,
Il fut l'objet de toute leur tendreffe ;
C'étoit par lui que la fociété
Novice, encore, naïve & fans fineffe
Les recevoit pour la premiere fois.
Le faux alors refpectoit la rudeffe
Que les humains apporterent des bois
Dans les Cités foumifes à leurs Loix ;

de Art Poet

1

Ovid.

Et nul fateur n'avoit loué Therfite;

Ni fait rougir le modefte mérite.

Vous pensez bien que le Compliment eut l'édu
cation convenable à la naiffance & à fa destinée:
fon berceau fut honoré de la préfence & des règards
des Fées, qui ne manquerent pas, fuivant l'ufage,
de lui faire un préfent relatif aux attributs diffé-
rens qui les diftinguent les unes des autres.
* Fa-
cies non una fororum : toutes à l'envi contribuerent
à le doter; & de ce concours de leur libéralité, le
Compliment reçut pour fon appanage:

L'art d'imiter la voix de la pitié,
L'art féducteur de parer l'impofture
D'un coloris rival de la nature;
L'art de jouer la fidéle amitié ;
L'art de cacher la maligne triftefle
Sous les couleurs de la douce allégreffe,
Le noir chagrin fous l'image du ris,
Les froids dédains fiers, enfans du mépris,
Sous le femblant du tribut légitime
Que le refpect & la profonde eftime
Doivent payer à l'éclat des talens ;
L'indifférence immobile & paisible
Sous les dehors des vifs empreffemens,
La dureté d'une ame inacceffible
Sous le vernis des tendres fentimens
L'art d'enfeigner une langue polic
A la vengeance, à la férocité;
L'art de prêter à la haine, à l'envie,
Le ton du cœur, le ton de l'équité;
L'art de fçavoir mentir avec décence,
Et d'échanger du clinquant & des mots
Contre les dons de la reconnoissance,
L'art dangereux de verfer des pavôts

Sur l'œil ouvert de l'active prudence,
Et de dupper fans craindre le réveil

De l'amour propre au fein d'un doux fommeil.

Comme le Compliment devoit bien-tôt jouer des rôles différens, & s'accommoder au caractére bigarré des hommes, il étoit néceffaire qu'il fçût fe plier à toutes fortes de formes, & paffer rapidement de l'un à l'autre. On l'élevoit dans un lieu où les plus étonnantes métamorphofes ne font qu'un jeu facile & ordinaire.

Nouveau Prothée, il fit paroître
L'adreffe à prendre en peu de tems
L'air velouté des Courtifans,
L'air empreffé d'un petit Maître,
Ici léger, volage Papillon,
Il foupira de tendres fariboles,
Et par le bruit flateur de futiles paroles,
Il éveilla l'amour, affoupit la raison.
Là, bel efprit, dédeignant la nature,
Il emprunta des modernes Auteurs
De jolis mots rangés en découpure, -
Des riens brillans en mignature

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Les nouveaux tours des amateurs
De l'anthithéfe,& de l'enluminure,
Colifichets des jeunes Orateurs.
Là, vil client de l'altiére opulente,
Il encenfa le ftupide, Plutus ;
Parafite de la finance,

Il dépouilla Thémis de fes vertus
Pour en parer un coupable Créfus ;
Efclave du défir de plaire,

De tous enfin il prit le caractere.

Vertumne change moins d'habits & de couleurs
Dans l'heureufe faifon des feuilles & des fleurs,

Vous êtes furpris que le Compliment ne s'exerce pas à faire un perfonnage qu'il fera très-fouvent: c'eft le perfonnage d'Ennuyeux : mais les Fées étoient peu propres à lui donner de pareilles leçons: on affure qu'elles prévirent avec douleur, que dès le premier pas qu'il feroit dans le monde, il perdroit de fa fineffe & de fa légéreté, par le commerce de ces Etres importuns dont l'efpèce abonde le plus ; elles ne purent penfer, dit-on, fans douleur, qu'il auroit un jour le malheur d'adopter:

D'un Harangueur les louanges ufées
D'un précieux les phrafes empefées,
La péfanteur d'une civilité
Formée au sein de la pédanterie,
La politesse au coup d'œil apprêté,
Néé en Province, & l'Efclave chérie
Des embarras de la cérémonie,
Le Rituel des façons & des riens,

Et la langueur des fades entretiens.

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Il falloit néanmoins que le Compliment fe rendit auprès des hommes: ils ne pouvoient malheureument pour eux fe paffer de lui:

Puifqu'on ne peut pour plaire
Etre toujours fincere,

Un commerce d'erreurs,
A la honte des cœurs,
Devenu néceffaire

Adoucira les mœurs.

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Eh quoi? dans le fiécle où nous fommes Bannir le compliment du féjour des Cités! Ce feroit expofer les hommes,

Trop durs s'ils ne font pas flattés,

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A fe dire à l'envi de triftes vérités.

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