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beaucoup moins de revenu ; mais fi l'on veut que je refte dans le monde, quelque réglée que foit la vie que j'y mene, il eft difficile que je puisse me passer d'un moindre revenu que celuy que les cinq Benefices peuvent produire.

Ces difficultez ne firent point changer de fentiment à l'Evêque de Pamiez. Il dit à l'Abbé de Rancé d'un ton ferme, que quand il s'agiffoit d'édifier l'Eglife, & d'être tout à Dieu, il n'étoit pas neceffaire de demeurer à Paris, & qu'on n'avoit befoin ny de domeftiques ny d'équipages, qu'il fe croyoit même obligé d'ajouter, qu'il devoit fuir Paris, & éviter le grand monde. Que s'il avoit un genre de vie à luy propofer, à la verité il n'approuveroit pas cette grande folitude à laquelle il avoit eu la pensée de fe condamner; mais qu'il luy confeilleroit de fe retirer dans un de fes Benefices, & d'y paffer fes jours à faire des Miffions dans les Paroiffes de fon voisinage, à foulager les pauvres, & à fe nourrir de la parole de Dieu, & de la lecture des ouvrages des Saints. Que s'il pouvoit s'affocier une ou deux perfonnes qui cuffent le même deffein que luy, de travailler à leur falut, & à celuy du prochain, ce luy feroit une

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grande confolation, & que c'étoit le genre de vie que S. Auguftin, le grand modele des convertis, avoit refolu de mener après fa converfion. Qu'il ne falloit pas s'imaginer qu'on pût fatisfai re à tous fes devoirs fans qu'il en coûtât; que le chemin qui conduit à la vie éternelle étoit étroit, qu'on devoit fe faire violence pour y entrer qu'après tout dans ces occafions il ne falloit pas compter fur les forces naturelles, mais fur la de JESUS CHRIST, qu'elle rendoit aifées les chofes les plus difficiles, qu'elle applaniffoit les chemins les plus rudes, & qu'elle rempliffoit le cœur d'une confolation, dont les joyes du monde les plus fenfibles n'avoient jamais approché.

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La refolution où étoit l'Abbé de Rancé de fuir le monde, & d'éviter tout ce qui pourroit l'y engager, ou même luy attirer de la confideration; la conformité des fentimens de ces deux Prélats fur le genre de vie qu'il avoit à choifir, fit qu'il fe foumit à cet avis. Comme il avoit promis à l'Evêque d'Alet de fe défaire de fon patrimoine en faveur des pauvres, il promit à l'Evêque de Pamiez de quitter tous fes Benefices, de n'en garder qu'un feul, & d'en

faire l'ufage qu'il luy avoit confeillé. L'Evêque de Pamiez de fon côté ne pouvoit fe laffer d'admirer la docilité de l'Abbé de Rancé, la fermeté de fa foy, & cette grandeur d'ame qui le portoit à renoncer avec fi peu de répugnance à tout ce que le monde a de plus féduifant, pour embraffer une vie dure & laborieufe, dont la raison & les fens ont tant de peine à s'accommoder. Quand une converfion eft fondée fur de pareils facrifices, on ne voit pas ce qu'on y peut trouver à redire, & comme il eft poffible qu'on la puiffe foupçonner de vanité, d'hypocrifie, ou d'illufion,

CHAPITRE XIX. L'Abbé de Rancé retourne chez l'Evêque de Comminges. Entretiens qu'il a avec ce Prélat fur le fujet des Abbez Commendataires.

A

PRE'S quelque fejour à Pamiez, l'Abbé de Rancé en partit pour retourner chez l'Evêque de Comminges. Il luy dit en l'abordant d'un air ouvert, que les deux voifins venoient

de

de luy jouer un mauvais tour, que l'un l'avoit dépouillé de tout fon bien, & l'autre de tous fes Benefices; que cependant, comme il étoit perfuadé que Dieu luy avoit parlé par leur bouche, il étoit refolu de fuivre leurs fentimens, quoy qu'il luy en pût coûter; car enfin, ajouta-t-il, quand il s'agit de fe donner à Dieu, il ne faut point faire les choses à demi.

L'Evêque luy demanda, fi les deux Prelats n'avoient point trouvé à redire à l'état d'Abbé Commendataire ? L'Abbé luy répondit qu'ils ne luy en avoient point parlé. Sur cela l'Evêque le fit fouvenir de ce qu'il luy avoit dit un jour à Veret; il ajouta que plus il y pensoit, plus il trouvoit cet état moins parfait que celuy d'Abbé Regulier. L'Abbé de Rancé repliqua que les deux Evêques étoient fi éloignez de défaprouver cet état, qu'ils luy avoient donné des regles pour s'y bien conduire. L'Evêque ré-, pondit, que puifque les deux Prelats ne défaprouvoient pas un état qui étoit depuis long-temps en ufage dans l'Eglife, il n'avoit rien à dire, qu'il luy avoieroit cependant, que fe trouvant pourvû d'une Abbaye outre fon Evêché, il en avoit toujours eu du fcrupule. L'Abbé I. Partie. F

repartit qu'il étoit bien fondé, parce qu'il fe trouvoit dans le cas de la pluralité. Vous avez raifon (repliqua l'Evêque) mais j'ay pour le moins autant de fcrupule de me voir Abbé Commendataire, que de la pluralité des Benefices, Il ajouta qu'il n'avoit jamais pû mettre fa confcience en repos, qu'en remettant les revenus qui luy appartenoient en qualité d'Abbé entre les mains du Prieur Clauftral, pour les employer en reparations, à l'entretien des Religieux, & en aumônes aux pauvres du lieu. Que nonobftant ces précautions, son fcrupule ne laiffoit pas de durer, & qu'il voyoit bien qu'enfin il faudroie qu'il fe défit de fon Abbaye pour n'avoir rien à fe reprocher.

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L'Abbé répondit que cela luy étoit aifé, parce qu'il avoit d'ailleurs dequoy fubfifter; mais pour moy (continua-t-il) puis qu'on m'oblige de donner tout mon patrimoine aux pauvres ; fi je ne fuis pas Abbé Commendataire il ne me reste plus qu'à aller demander l'aumône. L'Evêque repliqua qu'il y avoit un autre parti à prendre, qu'il pouvoit fe faire Abbé Regulier, que cet état étoit plus dans les regles, & que l'attrait qu'il fe fentoit pour la folitude fembloit l'y invi

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