avec une tendresse infinie. Jamais mere n'a été plus touchée des belles qualitez de fon fils; on peut dire qu'elle ne vivoit que pour luy. Le jeune Abbé de fon côté avoit une attention continuelle à luy témoigner sa reconnoissance. Pendant sa derniere maladie on ne pouvoit l'arracher d'auprés d'elle, & cette bonme mere prenoit volontiers de sa main ce qu'elle eût refusé de toute autre. Le mal plus fort que les remedes l'emporta; elle mourut entre les bras de fon fils; il la pleura, il en fut long-tems inconfolable, & l'on peut dire que la mort d'une personne si chere fut la premiere leçon que Dieu luy donna sur la fragilité des chofes humaines. Ce fut pour luy une perte irreparable. Les affaires dont Monfieur de Rancé étoit accablé ne luy permettoient plus de veiller sur son éducation auffi affiduëment qu'il leût souhaité; il le perdoit souvent de vûë. Les soins & les bons exemples d'une mere si vertueuse y avoient suppléé jusques alors; il joüit trop tôt de cette liberté si douce, mais fi funeste aux jeunes gens. CHAPITRE III. L'Abbé de Rancé étudie en Philofophie en Theologie avec un fuccez extraordinaire. Il dedie fes Theses à la Reine Mere. Il donne dans l'Aftrologie judiciaire. Ses grands talens pour l'éloquence. Mort de Son pere: avis important qu'il luy donne avant sa mort. C Омми E l'Abbé de Rance sçavoit que fes des belles Lettres tout ce Maîtres étoient capables de luy en apprendre, il fut envoyé au College d'Harcourt pour y étudier en Philofophie; il y eut tout le fuccez qu'on avoit lieu d'attendre de la vivacité & de la penetration de son esprit; il soûtine des Theses qu'il dédia à la Reine Anne d'Autriche, & il s'y fit admirer de la Cour & de la Ville; mais il donna dans un piege tres-dangereux, l'étude de l'Astronomie le conduifit à celle de Aftrologie judiciaire. Cet esprit avide de tout sçavoir, capable de tout apprendre, ne se contenta pas de la con noiffance des choses que la nature nous met devant les yeux. Il voulut penetrer dans l'avenir; cette connoiffance que Dieu s'est refervée, & que les hommes ne peuvent affecter sans crime, luy parut digne d'un efsprit aussi sublime que le sien; il crut que la destinée des hommes étoit écrite dans les Aftres, & qu'il luy étoit permis de l'y chercher. Les inconveniens de cette fausse supposition, la liberté détruite, les actions humaines foumises à une fatalité inévitable, toute l'economie de la Religion renverfée, l'incertitude & la fausseré même des prédictions des Aftrologues, tout cela ne fut pas capable de le guerir de cette dangereuse curiofité. Il ne connut: plus cette fage fobrieté si recommandée par l'Apôtre, & s'abandonna tout entier à l'avidité qu'il avoit de tout sçavoir. L'érude de la Theologie fufpendit pour un tems des recherches si dange-reuses; il s'y donna tout entier, parce qu'il vouloit l'emporter sur tous fes concurrens, & que l'ambition étoit alors sa paffion dominante. Il fut un des premiers qui joignit à l'étude de la Scolastique celle de l'Ecriture Sainte des Peres, & des Conciles. Il eut bienot compris quelle étoit la veritable fource de la Theologie; & qu'une science toute fondée sur l'autorité pouvoir bien se servir de la raison, mais qu'elle ne devoit pas s'y borner. Le travail prodigieux que demande une science d'une fi grande étenduë, ne suffit pas pour occuper l'activité de son esprit; il obtint la permiffion de prêcher, & il le fit avec le même succez qu'il avoit eu dans tout ce qu'il avoit entrepris jufques alors. Il possedoit cette haute éloquence qui perfuade, qui touche, & entraîne; la prononciation étoit pathetique & vehemente; en un mot il avoit tous les talens & toutes les qualitez qui peuvent former le parfait Orateur. Il ne laissa pas de soutenir ses Theses avec un applaudissement general; il dédia fa 1652. Tentative à la Reine Mere, & se fit. admirer par la vivacité de son esprit, par la grace naturelle qu'il avoit à parler, & par la facilité qu'il avoit aquife de s'expliquer en Grec & en Latin avec une élegance dont peu de gens avoient jusques alors approché. Enfin aprés qu'il eut paffé par toutes les épreuves qui font en usage dans la Faculté de Paris, il finit sa Licence, dont il eut le premier lieu, & acheva le cours reglé de ses études. La mort de fon pere, qui arriva quelque tems aprés, acheva de le mettre dans cette funeste liberté, dont il expia depuis le mauvais usage par une penitence si auftere. Monfieur de Rancé étoit allé à sa Terre de Veret, où il s'occupoit à faire de nouveaux embellissemens, lors qu'il se sentit attaqué d'une fausse pleurefie. Il écrivit aussitôt à l'Abbé de Rancé l'état où il se trouvoit, & luy manda de le venir trouver avec son frere le Chevalier. L'Abbé de Rancé prit aussi-tôt la poste avec son frere, & fe rendit à Veret. Mais quelque diligence qu'il pût faire, il trouva Monfieur de Rancé fi mal qu'on defefperoit de sa vie. Son premier foin fut de luy faire recevoir les Sacremens de l'Eglife, & de le preparer à la mort. Il avoit un fond de Religion aisé à émouvoir, & qui prenoit le dessus de tems en tems Comme Monsieur de Rancé avoit fait fon Testament, & qu'il l'avoit confié à une de ses filles, qui est presentement Religieufe aux Annonciades de Paris, l'Abbé se contenta de prendre de luy quelques lumieres pour la conduite de ses affaires. Tout ce qu'on a sçû de ce dernier entretien, sur lequel l'Abbé ne |