Imágenes de páginas
PDF
EPUB

avec une tendreffe infinie. Jamais mere n'a été plus touchée des belles qualitez de fon fils; on peut dire qu'elle ne vivoit que pour luy. Le jeune Abbé de fon côté avoit une attention continuelle à luy témoigner fa reconnoiffance. Pendant fa derniere maladie on ne pouvoit l'arracher d'auprés d'elle, & cette bonne mere prenoit volontiers de fa main ce qu'elle eût refufé de toute autre. Le mal plus fort que les remedes l'emporta; elle mourut entre les bras de fon fils; il la pleura, il en fut long-tems inconfolable, & l'on peut dire que la mort d'une perfonne fi chere fut la premiere leçon que Dieu luy donna fur la fragilité des chofes humaines. Ce fut pour luy une perte irreparable. Les affaires dont Monfieur de Rancé étoit accablé ne luy permettoient plus de veiller fur fon éducation auffi affiduëment qu'il eût fouhaité; il le perdoit fouvent de vûë. Les foins & les bons exemples d'une mere fi vertueufe y avoient fuppléé jufques alors; il joüit trop tôt de cette liberté fi douce, mais fi funefte aux jeunes gens.

[blocks in formation]

L'Abbé de Rancé étudie en Philofophie & en Theologie avec un fuccez extraordinaire. Il dedie fes Thefes à la Reine Mere. Il donne dans

l'Aftrologie judiciaire. Ses grands talens pour l'éloquence. Mort de fon pere avis important qu'il luy donne avant fa mort.

C

OM ME l'Abbé de Rancé fçavoit des belles Lettres tout ce que fes Maîtres étoient capables de luy en apprendre, il fut envoyé au College d'Harcourt pour y étudier en Philofophie; il y eut tout le fuccez qu'on avoit lieu d'attendre de la vivacité & de la penetration de fon efprit ; il foûtire des Thefes qu'il dédia à la Reine Anne d'Autriche, & il s'y fit admirer de las Cour & de la Ville; mais il donna dans un piege tres-dangereux, l'étude de l'Aftronomie le conduifit à celle de Aftrologie judiciaire. Cet efprit avide de tout fçavoir, capable de tout apprendre, ne fe contenta pas de la con

noiffance des chofes que la nature nous met devant les yeux. Il voulut penetrer dans l'avenir; cette connoiffance que Dieu s'eft refervée, & que les hommes ne peuvent affecter fans crime, luy parut digne d'un efprit auffi fublime que le fien; il crut que la deftinée des hommes étoit écrite dans les Aftres, & qu'il luy étoit permis de l'y chercher. Les inconveniens de cette fauffe fuppofition, la liberté détruite, les actions humaines: foumifes à une fatalité inévitable, toute l'economie de la Religion renverfée, l'incertitude & la fauffeté même des prédictions des Aftrologues, tout cela ne fut pas capable de le guerir de cette dangereufe curiofité. Il ne connut: plus cette fage fobrieté fi recommandée par l'Apôtre, & s'abandonna tout entier à l'avidité qu'il avoit de tout fçavoir.

L'étude de la Theologie fufpendit pour un tems des recherches fi dangereufes ; il s'y donna tout entier, parce qu'il vouloit l'emporter fur tous fes: Concurrens, & que l'ambition étoit alors fa paffion dominante. Il fut un des premiers qui joignit à l'étude de la Scolaftique celle de l'Ecriture Sainte, des Peres, & des Conciles. Il eut bient compris quelle étoit la veritable

fource de la Theologie; & qu'une fcience toute fondée fur l'autorité pouvoir bien fe fervir de la raison, mais qu'elle ne devoit pas s'y borner. Le travail prodigieux que demande une fcience d'une fi grande étenduë, ne fuffit pas pour occuper l'activité de fon efprit; il obtint la permiffion de prêcher, & il le fit avec le même fuccez q 'il avoit eu dans tout ce qu'il avoit entrepris jufques alors. Il poffedoit cette haute éloquence qui perfuade, qui touche, & entraîne; fa prononciation étoit pathetique & vehemente; en un mot il avoit tous les talens & toutes les qualitez qui peuvent former le parfait Orateur. Il ne laiffa pas de foutenir fes Thefes avec un applaudiffement general; il dédia fa 16 52. Tentative à la Reine Mere, & fe fit. admirer par la vivacité de fon efprit, par la grace naturelle qu'il avoit à parler, & par la facilité qu'il avoit aquife de s'expliquer en Grec & en Latin avec une élégance dont peu de gens avoient jufques alors approché. Enfin aprés qu'il eut paffé par toutes les épreuves qui font en ufage dans la Faculté de Paris, il finit fa Licence, dont il eut le premier licu, & acheva le cours reglé de fes études.

La mort de fon pere, qui arriva quelque tems aprés, acheva de le mettre dans cette funefte liberté, dont il expia depuis le mauvais ufage par une penitence fi auftere. Monfieur de Rance étoit allé à fa Terre de Veret, où il s'occupoit à faire de nouveaux embelliffemens, lors qu'il fe fentit attaqué d'une fauffe pleurefie. Il écrivit auffitôt à l'Abbé de Rancé l'état où il fe trouvoit, & luy manda de le venir trouver avec fon frere le Chevalier. L'Abbé de Rancé prit auffi-tôt la pofte avec fon frere, & fe rendit à Veret.

Mais quelque diligence qu'il pût faire, il trouva Monfieur de Rancé fi mal qu'on defefperoit de fa vie. Son premier foin fut de luy faire recevoir les Sacremens de l'Eglife, & de le preparer à la mort. Il avoit un fond de Religion aifé à émouvoir, & qui prenoit le deffus de tems en tems. Comme Monfreur de Rancé avoit fait fon Teftament, & qu'il l'avoit confié à une de fes filles, qui eft prefentement Religieufe aux Annonciades de Paris, l'Abbé fe contenta de prendre de luy quelques lumieres pour la conduite de fes affaires. Tout ce qu'on a fçû de ce dernier entretien, fur lequel l'Abbé ne

« AnteriorContinuar »