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refoudre sans lui en donner avis. L'Abbé partit; mais il ne fut pas si-tôt arrivé à la Trappe, qu'il se sentit une nouvelle ardeur pour l'état Religieux. Cette pensée l'occupoit sans ceffe, & il croyoit connoître si clairement que Dieu deman doit de lui, qu'il lui fist encore ce sacrifice, qu'il ne pouvoit assez s'étonner que le Pere de Mouchy avec toutes ses lumieres s'opposât à sa resolution. Il paffa fix semaines dans ces agitations, aprés lesquelles ne pouvant plus resister à la sainte impatience qui l'entraînoit vers la folitude, il en écrivit au Pere de Mouchy, & partit auffi-tôt pour Paris, dans le dessein de prendre enfin avec lui une resolution conforme à ce qu'il croyoit que Dieu demandoit de lui.

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Le Pere de Mouchy persistoit toujours dans ses premiers sentimens ; mais enfin l'Abbé de Rancé lui ayant rendu un compte exact de ses dispositions, & de tout ce qui se passoit dans son cœur, le Pere de Mouchy aprés avoir confulté plusieurs personnes de pieté, se rendit & approuva sa resolution.

L'Abbé de Rancé se voyant en liberté de suivre les mouvemens de son cœur, crut qu'il ne devoit plus faire un secret de la resolution qu'il avoit prise. Voicy comme il en écrit à un de ses amis. Je ce fuis perfuadé que vous ferez surpris <<< quand vous sçaurez la resolution que « j'ay formée de donner le reste de ma ee vie à la penitence sous l'habit & dans ce la réforme de saint Bernard. Dieu m'a ce conduit par des voies qui m'étoient se fort inconnues pendant plusieurs an- e nées; mais enfin, depuis huit ou dix » mois que sa mifericorde m'a inspiré « le sentiment dans lequel je suis, j'ay « commencé à voir plus clair que je n'a- ic vois pas fait, & je suis presentement >>> convaincu, que l'état dans lequel il se veut que je m'engage, est celui de la ce vie religieuse. Cela paroîtra étrange à c ceux qui mesurent toutes choses par « les coutumes & les manieres ordinai- se res d'agir des hommes, & qui croyent se que ce qui est établi par la plus grande partie du monde, est ce qui doit être pratiqué de tous. Mais en verité, fi sc l'on pense serieusement & fans prévention à la necessité dans laquelle sont ce tous les Chrétiens de vivre dans la pe->>> nitence, & à l'obligation de ceux qui c ont été dans le commerce du monde, on aura bien plus de sujet de s'étonner qu'il y en ait qui s'imaginent se don- » ner à Dieu avec des ménagemens,

» & des referves qui offensent sa justice, >> qui n'appaisent point sa colere, & >> qui ne conviennent nullement à l'état >> d'un pecheur, qui doit revenir à Dieu >> par la voye d'une conversion sincere, » & d'un veritable renoncement à tou>> tes choses. Dieu veüille se contenter >> du peu que je fais, & du defir que >> j'ai d'en faire davantage, si je n'étois >> retenu par le poids de mes pechez. >> Je sçai que plusieurs fiecles de la vie » que je veux embrasser, ne peuvent >> pas fatisfaire pour un moment de celle >> que j'ai paffée dans le monde, & fi >> je ne trouvois dans l'excés des mife>>> ricordes de Dieu, ce que je ne puis >> trouver dans mes actions, quelque >> changement qui arrive dans ma per>> sonne, je vivrois sans confolation fur >> la terre. Mais je vous avouë, que com>> me la confiance que j'ai en ses bontez, >> m'empêche de tomber dans cette ten>> tation; elle m'engage auffi à un aban>> don entier à sa Providence, de forte » que je me remets de tout à sa con>>> duite, & je lui laisse pour jamais la >> disposition de ma personne, & de tout ce que je fuis.

L'approbation que le Pere de Mouchy avoit donné au nouveau genre de

vie, que l'Abbé de Rancé vouloit embraffer, ne le tira pas seulement de la contrainte où il étoit de cacher ses sentimens, elle le mit encore dans la liberté d'agir. Il sollicita tous les amis qu'il avoit dans le Conseil de conscience du Roy, pour obtenir que l'Abbaye de la Trappe fût remife en Regle, & qu'il pût la posseder comme Abbé Régulier. Le Pere Annat Confeffeur du Roy, La Mothe-Houdancourt Evêque de Rennes, depuis Archevêque d'Auch, premier Aumônier de la Reine-mere, lui promirent tous leurs offices, & lui tinrent parole; mais il trouva d'ailleurs tant d'obstacles, qu'il désesperoit d'obtenir la grace qu'il demandoit, lorsque l'Abbé de Prieres Vicaire General de la Réforme de faint Bernard, dont l'interêt particulier se trouva joint à celui de l'Abbé de Rancé, l'obtint par le credit de la Reine-Mere. Ce fut à condition qu'aprés la mort de l'Abbé, l'Abbaye de la Trappe retourneroit en Commende. L'Abbé de Rancé qui portoit ses vuës plus loin pour la Réformation de cette Abbaye, fut un peu mortifié de cette reftriction, mais il fallut s'en contenter. Le Brevet lui fut accordé avec certe clause le 10. May 1663. Aufli

tôt il l'envoya en Cour de Rome, pour le faire confirmer par le Pape.

C'est de l'Abbé de Rancé même qu'on apprend une partie de ces circonstances, Du 30. dans une lettre qu'il écrivit à l'Evêque May d'Alet, quelques jours aprés qu'il eut obtenu le Brevet dont on vient de parler.

1663.

Il lui rend compte dans cette lettre de la plupart des choses qu'on vient de rapporter; il entre dans tous les détails qu'on a marquez enfuite; l'humilité profonde dont il étoit penetré, l'oblige d'a>>> jouter: Je vois bien que la vie que >> j'entreprens est au dessus de mes for>> ces, & qu'il n'y a nul rapport entre >> la vie que j'ai menée jusques ici, & >> celle dans laquelle je m'engage; mais >> je sçai bien que rien n'est au dessus de >> la puiffance de Dieu, & qu'il peut >>> achever en moi l'œuvre que sa mife>> ricorde y a commencé. Vous ne trou>> verez pas mauvais que je vous rende >> ce compte de l'état où je me trouve, » & que je vous demande des prieres; >> vous connoissez les besoins que j'en » ai, & vous sçavez les miseres de ma >> vie, & les obligations de la condition » que j'embraffe.

On voit par les réponses de l'Evêque

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