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ne fervit qu'à augmenter l'estime qu'il en avoit conçuë, & détruifit abfolument toutes les préventions que le Prieur de Perfeigne avoit voulu luy donner. Il luy trouva un efprit fuperieur, & une capacité d'autant plus eftimable qu'elle étoit accompagnée d'une humilité profonde.

Il avoit déja acquis toutes les vertus religieufes, & il les poffedoit dans un degré fi éminent, qu'on ne pouvoit attribuer qu'à une grace du premier ordre le progrès qu'il y avoit fait en fi peu de temps. L'Abbé de Prieres pour s'af

furer de fa docilité dont on avoit voulu luy donner de la défiance, luy fit plufieurs propofitions plus dures les unes que les autres; mais comme elles alloient toutes à l'élever à une plus haute perfection, il luy trouva une foumiffion qui alloit toujours au delà de tout ce qu'il put luy propofer. Il eft vrai qu'il luy parut avoir. une grande fermeté pour toutes les Obfervances de fa Regle, & il luy fut aifé de juger qu'il en porteroit la pratique au delà même de ce qui étoit en ufage dans l'Etroitet Obfervance; mais l'Abbé de Prieres avoit trop de vertu pour être fenfible à cette belle jaloufie, qui ne peut fouffrir

qu'en matiere de Réforme on porte les chofes plus loin que nous ne les avons portées nous mêmes ; en un mot, ce zèle & cette fermeté ne pafferent point pour un défaut dans l'efprit de l'Abbé de Prieres. Quand il eut congedié l'Abbé de Rancé, il écrivit au Prieur de Perfeigne, qu'il ne fift point difficulté de l'admettre à la Profeffion,& qu'il se chargeoit devant Dieu & devant les hommes des fuites que pourroit avoir l'engagement de l'Abbé de Rancé.

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CHAPITRE VI. L'Abbé de Rancé va à la Trappe, F lit fon teftament en plein Chapitre. Retourne à Perfeigne, y fait "fa Profeffion. Converfion de Dom Jofeph Bernier ancien Religieux de la Trappe. L'Abbé fait prendre une nouvelle poffeffion de l'Abbaye de la Trappe, en qualité d'Abbé Régulier: Il reçoit la benediction Abbatiale à Séez.

OMME le temps de la Profeffion de l'Abbé de Rancé approchoit, à peine fut-il de retour à Perfeigne qu'il

fe vit obligé de fe rendre à la Trappe. Là le Chapitre étant affemblé, il y lût le teftament qu'il avoit fait en faveur des Peres de l'Etroite Obfervance de cette Maifon, dès le temps qu'il eut pris la refolution de s'y faire Religieux. Voicy après les préliminaires ordinaires comme il parle dans ce teftament.

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Si j'avois plus de bien que je n'en « ai, je me croirois obligé préferablement à tout d'en difpofer en faveur du « Monaftere de la Trappe, duquel il y a ce plus de vingt-cinq ans que je fuis Abbé « Commendataire, pour fatisfaire à un e tres-grand nombre de malverfations « que j'y ay faites, & de dommages qui y font arrivez par ma negligence dans « le maniement de fes affaires & de fon « bien, & pour ne m'être acquitté pen- « dant tout ce temps-là d'aucune de mes « obligations fpirituelles & temporelles. Je protefte que je parle fans exagera- te tion & fans excés, & que la confeffion u que je fais eft auffi veritable & fincere « que je la ferois fi j'étois devant le tri. « Bunal de JESUS-CHRIST.

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Après une declaration fi humble fur laquelle on pourroit faire bien des reflexions, il fe dépouille de tous les meubles qu'il avoit mis dans le Monaftere

de la Trappe, & particulierement de fa Bibliotheque; il les remet entre les mains des Religieux, à condition qu'ils ne pourront être tranfportez hors de l'Abbaye, ni mis ailleurs pour quelque raifon que ce puiffe être. Il déclare que fon intention eft qu'ils fervent à l'usage & à l'inftruction des Religieux Réformez de la Maison; & au cas que par des évenemens qu'on ne peut prévoir, l'Abbaye tombât entre les mains des anciens Religieux, & que la Réforme ceffât d'y être, il donne fa Bibliotheque à l'Hôtel-Dieu de Paris, pour être vendue, & le prix employé à la nourriture des pauvres & des malades. Il déclare encore qu'il fait cette difpofttion en faveur des Religieux Réformez de cette Maison, & de ceux qui leur fuccederont dans la même Obfervance, & qu'il ne veut point que fon fucceffeur (s'il eft Abbé Commendataire) y ait aucune part, & puiffe y rien prétendre, ni même qu'il ait aucun usage des Livres qu'avec la permiffion des Religieux de la Maifon. Il donne encore au Monaftere de la Trappe tout ce qui pourra luy être dû au jour de fa mort; à la referve de deux mille quatre cent livres qu'il donne au Monaftere de Per

feigne, pour luy marquer fa reconnoiffance de la grace qu'il y a reçuë d'y faire fon Noviciat, & de celle qu'on veur bien l'y faire en l'y recevant à Profelfion.

Après avoir fait ces difpofitions (il ajoute) qu'il efpere que Dieu re- « gardera des yeux de fa mifericorde, « cette legere reftitution qu'il fait au ce Monaftere de la Trappe, quoi qu'elle « foit beaucoup au deffous de fes obligations, & que luy ayant fait la grace de « luy donner des intentions plus éten- « dues, il ne le jugera pas dans la feve- « rité de fa juftice.

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Après que l'Abbé de Rancé fe fut ainfi dépouillé de tout ce qui luy reftoir de bien, il retourna à Perfeigne pour y achever fon Noviciat. Il y reçut quelque temps après fes Expeditions de Rome, pour tenir en Regle l'Abbaye de la Trappe qu'il avoit encore en Commende. Enfin il y fit Profeffion le vingt-fixiéme Juin de l'année mil fix cent foixante & quatre, entre les mains de Dom Michel Guiton, Commiffaire de l'Abbé - de Prieres Vicaire General, avec deux autres Novices; l'un d'eux avoit été fon valet de chambre. L'exemple de fon Maître le toucha, il ne put se refoudre

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