à la Trappe de tous côtez pour se mettre sous sa conduite, on y voyoit arriver tous les jours des gens de toute forte de conditions, sur tout des Religieux de tous les Ordres, qui penetrez des devoirs de leur Profession, cherchoient dans le defert de la Trappe cette pratique exacte de leur Regle & des conseils de l'Evangile qu'ils ne trouvoient point ailleurs dans un si haut point de perfection. En fort peu de temps la Communauté de la Trappe se vit composée de plus de quarante Religieux, fans compter ceux qui s'y presentoient tous les jours, & que la foiblesse de leur temperament ou d'autres raisons ne permettoient pas qu'on y reçût. Mais il n'est point encore arrivé qu'une vertu éclatante, & foutenuë d'une grande reputation ne se soit point fait d'ennemis. JESUS-CHRIST même n'a pû les éviter, & il nous a laiffé pour une verité constante, que ses imitateurs feroient exposez comme luy à la haine, au mépris & à la violence de leurs perfecuteurs. Si j'ay été perfecuté, dit-il, ne doutez pas que vous ne le soy'z aussi; car enfin les Disciples ne sont pas plus privilegiez que le maître. Les Superieurs des Ordres dont il avoit reçu & retenu les Religieux contre leur gré, furent les premiers à se declarer contre l'Abbé de la Trappe; tous ceux qui vivoient dans leur dépendance, ou qui se regloient sur leurs sentimens, en firent autant. On parla on écrivit, on prêcha même contre luy, on luy adressa les lettres les plus fanglantes, on s'efforça de le décrier en cent manieres differentes. Tant de contradictions n'ébranloient point l'Abbé de la Trappe & lors qu'on luy parloit des médisances affreuses qu'on répandoit contre luy de tous côtez. Laissons, disoit-il, parler le monde, qu'il nous lovë ou qu'il nous blâme, ne l'écoutons point, & fans nous arrêter un moment pour tout ce qu'il peut dire& faire, allons toujours droit à Dien; c'est l'unique objet que nous devons regarder, c'est à sa voix feule que nous devons répondre. Cependant comme il continuoit toujours à recevoir les Religieux qu'un defir fincere de faire penitence conduifoit à fon Monastere, les Superieurs s'adresserent au saint Siege. Ils en obtinrent des Brefs, par lesquels il étoit défendu à leurs Religieux sous peine LA VIE DE L'ABBE d'excommunication de se retirer à la Trappe, & à l'Abbé de les y recevoir. Ces Brefs surprirent extrémement tous ceux qui avoient du zele pour le rétablissement de l'ancienne discipline des Monasteres. Ils ne pouvoient s'imaginer qu'un Pape aussi bien intentionné qu'Innocent XI. eût pû se resoudre à fermer la porte de la penitence à un si grand nombre de Religieux qui ne cherchoient à la Trappe que la pratique exacte de leur Regle & des conseils évangeliques qu'ils ne trouvoient plus dans les Monasteres que le zele de leur salut les obligeoit de quitter. Ils comprenoient encore moins que pour les obliger à y demeurer, on employât lạ plus terrible de toutes les peines eccle siastiques; qu'on y soûmît un homme comme l'Abbé de la Trappe, dont toute l'Eglise admiroit la vertu, & qui ne s'é, toit commis avec les Superieurs des autres Ordres Religieux, que par un excès de charité & de zele pour le salut du prochain. On concluoit delà, qu'il falloit que le Pape eût été surpris, qu'on l'eût mal informé de l'état des Monasteres que ces Religieux se croyoient obligez d'abandonner, & que l'Abbé de la Trappe ne pouvoit se dispenser de luy décou vrir bien des choses que sa moderation l'avoit obligé de taire, & que fa chas ■rité pour l'Etat monaftique ne lay per mettoit plus de cacher. Il s'en trouva même qui porterent les choses plus loin, & qui entreprirent de luy perfuader qu'il devoit faire caffer ces Brefs dont il s'a giffoit par le Parlement, & que cela feroit d'autant plus aisé à obtenir, qu'ils étoient visiblement contraires aux an ciens Canons, à la discipline monastique, aux privileges de l'Eglise de Fran ce, & qu'on n'avoit pû les accorder que sur de faux exposez touchant l'état present des Monafteres. L'Abbé de la Trappe avoit trop de - respect pour le faint Siege & pour Innocent XI. qui le remplissoit si dignement, pour se pouvoir resoudre à avoir recours à de pareils expediens; il prit un chemin tout opposé, il s'adressa directement au Pape, & voici quelle en fur l'occasion. Il sçavoit qu'entr'autres calomnies qu'on publioit contre luy on l'accusoit de fingularité, d'avoir trop outré les choses, d'avoir paffé les bornes établies par ses Peres, & d'avoir accablé ses Freres d'un joug trop pesant que la foiblesse humaine ne pouvoit pas 1 ( fupporter. 11 crut que pour fermer la bouche à ses ennemis, il ne pouvoit mieux faire que de leur opposer l'autorité du faint Siege, en obtenant de luy l'approbation de tout ce qu'il avoit établi à la Trappe; il s'en presentoit une occasion qui ne pouvoit être plus naturelle, il avoit besoin de recourir à cette même autorité, pour en obtenir qu'a l'avenir sa Communauté pût élire ses Prieurs Claustraux. Il s'y adressa donc, & en même-temps il rendit compte au Pape de tout ce qu'il s'étoit crû obligé de faire à la Trappe pour y rétablir la penitence primitive, & la pratique des anciens usages de Citeaux. Le Pape luy accorda ce qu'il luy demandoit touchant le Prieur Claustral, approuva toutes les pratiques qu'il avoit établies à la Trappe, & luy donna sa benediction, & à tous ses Freres, avec toutes les marques d'estime dont il pouvoit honorer une vertu auffi éminente que la sienne. Après qu'il eut obtenu cet avantage, il crut qu'il pouvoit demander la dif. pense des Brefs dont on vient de parler; il en écrivit à Sa Sainteté & à tous ses amis. On luy répondit qu'il y avoit trop peu de temps que les Brefs étoient donnez pour y déroger si promptement |