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L'Abbé de la Trappe,qui étoit un des plus éclairez Directeurs que Dieu ait donné à fon Eglife, avoit encore remarqué un défaut qui n'eft que trop erdinaire dans la conduite des ames. C'eft de regler tout le monde felon les mêmes maximes, au lieu que la diverfité des efprits & des caracteres demandent fouvent des conduites differentes. La difcipline exterieure de la Trappe étoit la même pour tous les Religieux, tous y faifoient & s'abftenoient des mêmes chofes. La conduite interieure & particuliere étoit differente felon le genie & le caractere de ceux qu'il avoit à gouverner. Il avoit même une maxime à laquelle on ne peut faire trop d'artention, c'eft qu'il falloit fuivre l'attrait de Dieu, & fe regler fur les impreffions que le Saint Efprit fait fur les cœurs. Il eft vrai qu'il faut beaucoup de lumieres pour ne s'y pas tromper; mais quand on n'a aucun lieu d'en douter, on ne peut être trop attentif à les feconder. Delà venoit qu'il permettoit quelquefois à de certains Religieux des aufteritez particulieres qu'il défendoit aux autres, & qu'il ne portoit pas tous les Freres à une égale perfection; il étoit attentif aux mouvemens de la grace, il

'étoit appliqué qu'à les fuivre. 11 eft rai que cette application eft penible,

que pour y réüffir il faut une vigiance infatigable; mais il fe regardoit comme dévoué au falut de fes Religieux, c'étoit fa grande & fon unique ffaire.

Cependant comme il avoit beaucoup plus de zele que de forces, il fe fentit à la fin fi accablé qu'il en tomba malade. Quoi qu'il n'eût aucun lieu de douter que les aufteritez & fa continuelle application aux befoins de fes Freres étoient l'unique cause de sa maladie, il ne fut pas plutôt gueri qu'il reprit tous les exercices avec cette même ferveur qui luy avoit pensé coûter la vie. Il eft vrai que fes forces étant fort diminuées il ne put plus travailler avec la même ardeur & auffi long-tempsqu'auparavant; mais il recompenfa ce qu'il croyoit être un vuide dans fa penitence, en s'occupant aux ouvrages les plus bas & les plus vils de la maifon; & quoi qu'il fentît fa poitrine s'affoiblir de plus en plus, il ne laiffa pas de continuer les exhortations dans le Chapitre avec une force qui ne pouvoit être foûtenuë que par un zele auffi ardent que le

CHAPITRE X V.

Continuation du même sujet.

C'EST par

les moyens & par l'ufag des maximes qu'on vient de rappor ter, que l'Abbé de la Trappe établit dans fon Monaftere cette penitence fi édifiante qui a fanctifié tant de personnes de tous états, & qui les fanctifie encore tous les jours. Mais on ne peut fe difpenfer d'ajouter, que quelque autorité qu'il eût dans fon Monaftere, quelque confiance qu'on eût en luy, quelque amour & quelque veneration qu'on eût pour fa perfonne, il n'a rien établi à la Trappe que du confentement & même à l'inftante follicitation de tous fes Freres. H fçavoit qu'on porte un joug, quelque pefant qu'il puiffe être, d'autant plus volontiers qu'on fe l'eft impofé foy-même, & qu'on n'a pas fujet de fe plaindre quand on n'exige que l'obfervation des loix qu'on s'eft prefcrites, & dont on a demandé l'établiffement. Ainfi quand il vouloit rétablir quelque pratique de l'ancienne penitence, ou quelques-uns des premiers ufages de Cîteaux,

faifoit enforte que les Freres le vouuffent, & le luy demandaffent avec cette ardeur qu'ils avoient pour tout ce qui étoit capable de contribuer à leur Lanctification.

Le moyen le plus ordinaire dont il fe fervoit pour cela étoit de leur donner de l'eftime & de l'amour pour toutes ces pratiques faintes dont leurs peres leur avoient laiffé l'exemple; il s'attachoit à leur en faire voir l'utilité, & les benedictions que Dieu y avoit attachées. On ne parloit d'autre chofe dans les conferences que des vies des Peres des deferts, des actions des anciens Solitaires rapportées dans Caffien, des fentimens de faint Jean Climaque & de S. Bafile. Cela faifoit tant d'impreffion fur l'efprit de ces faints Religieux, qu'ils difoient inceffamment à leur Abbé, chacun en particulier,ou tous enfemble: Eft-ce que nous parlerons toute nôtre vie de ce qu'ont fait nos Peres, & que nous ne ferons jamais comme eux ? Quand ces empreffemens avoient bien perfuadé l'Abbé de la fincerité de leurs defirs & de la refolution ferme & inébranlable où ils é toient de fuivre conftamment les exemples des anciens, il rétabliffoit infenfiblement ce qu'ils avoient pratiqué.

Il faifoit même quelque chofe de plus; car pour mieux s'afflurer contre Pinconftance & le dégoût qui fuit affez fouvent les refolutions qui paroiffent les plus fortes, il vouloit qu'on s'exerça long-temps, & qu'on éprouvât ses for ces avant qu'une Regle qu'il proposoit pût paffer pour établie; car quand elle l'étoit une fois, il la faifoit obferver avec beaucoup de fermeté. Il arrivoit même quelquefois qu'il abandonnoit l'obfervation d'une loy pratiquée conftamment par les anciens, quand il reconnoiffoit aprés plufieurs épreuves qu'elle furpaffoit les forces de fes Freres.

C'est ce qui arriva lors qu'il fut queftion de rétablir l'ancienne obfervation du grand jeûne du Carême. La pratique étoit autrefois, non feulement parmi les Moines, mais même parmi tous les Chrétiens, de ne faire qu'un repas par jour, encore on ne le faifoit que fur le foir & après Vêpres. Les Religieux de la Trappe, penetrez comme ils étoient de l'efprit de penitence, s'étoient fouvent reprochez, non feulement de ce qu'ils n'imitoient pas leurs Peres, mais même de ce qu'ils ne jeûnoient pas avec toute l'exactitude qui avoit été en ufage parmi tous les Fideles de l'un & de l'autre fexe. Sur cela

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