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1660.

derniers Sacremens; le Prince les re çut avec les fentimens de la pieté la plus édifiante.

L'Abbé de Rancé étoit occupé de ces fonctions si saintes, lorsque l'Evêque d'Orleans & le Pere de Mouchy arriverent. L'Evêque après avoir rendu fes devoirs au Prince s'en retourna dans fon Diocese. Le Pere de Mouchy demeura avec l'Abbé de Rancé, & luy aida à preparer le Prince à une mort chretienne. Il mourut quelque tems après, avec de grands fentimens de pepitence. Rare exemple de la mifericorde de Dieu, dont il ne faut jamais defefperer, parce qu'elle eft infinie; mais dont on ne doit jamais préfumer, parce qu'elle ne nous eft pas duë. Le Duc d'Orleans n'eut pas plutôt rendu le dernier foupir, que fes Officiers l'abandonnerent; chacun fe faifit de ce qu'il crut luy convenir; l'Abbé de Rancé & le Pere de Mouchy demeurerent presque feuls auprès du corps.

Un fpectacle fi touchant, la mort toûjours terrible, plus terrible encore à l'égard des Grands, tant de diftinctions déruites, tant de gran deurs anneanties, cet abandon, cette folitude, ce filence, le compte que ce Prince avoit à rendre

à Dieu, étoient des circonftances trop instructives, pour ne pas engager le Pere de Mouchy à infpirer à l'Abbé de Rancé cette converfion parfaite à laquelle il avoit toûjours eu deffein de le porter. D'ailleurs outre les circonftances dont on vient de parler, il y en avoit d'autres qui étoient capables de toucher l'Abbé d'autant plus vivement, qu'elles le regardoient de plus prés, & qu'elles l'attaquoient par l'endroit le plus fenfible. Il perdoit une Charge confiderable, qui luy ouvroit le chemin aux grandes Dignitez. Le Prince qui ve noit de mourir connoiffoit tout fon merite, il l'aimoit, il étoit même de fa grandeur d'appuyer fes efperances. Dieu fe fert de tout, quand il veut gagner un cœur, tout fert à applanir fes voyes, tout entre dans l'execution de fes def feins.

Le Pere de Mouchy étant donc perfuadé que le tems de l'affliction eft le tems où Dieu parle le plus efficacement, il prit celuy pendant lequel on embaumoit le corps du Prince, & s'adreffant à l'Abbé de Rancé, Hé bien (luy ditil) qu'eft devenu ce Prince fi grand, fi refpecté, & qui touchoit de fi près à la Couronne: Dans ce moment où le tems

£nit, & où l'éternité commence, il n'y a plus pour luy de rang, de diftinction, de gloire, de plaifirs; tout a disparu, tout s'eft évanoui. Le voilà comme le refte des hommes, il eft devenu un objet d'horreur, ou plutôt il eft devant Dieu, devant ce Juge terrible qui ne fait diftinction de perfonne; il y eft nud, feul, abandonné à luy-même: aut moment que je parle Dieu a décidé de fon éternité, c'en eft fait, il eft heureux ou malheureux pour jamais.

Ces paroles qui partoient d'un cœur veritablement touché, penetrerent celuy de l'Abbé de Rancé. Il y a long-tems, (répondit-il ) que je me dis les mêmes chofes que vous venez de dire, ou plu

tôt

que Dieu me les dit au fond de mon cœur. J'ay l'efprit convaincu du néant des chofes du monde, & j'y tiens encore par mille endroits, comme fi elles avoient quelque chose de solide, & qui fût capable de me rendre heureux ; mais enfin je crains que Dieu ne fe laffe de me parler, & quel malheur pour moy fi cela arrivoit!

Le Pere de Mouchy appuya fur cette reflexion. Il luy fit voir que Dieu n'ai¬ me point ces cœurs partagez, qui ne font à luy qu'à demy; que dans le che

min de la vertu ne pas avancer, c'eft reculer; que comme il n'y a rien par où nous puiffions davantage engager Dieu à ne nous pas priver des graces dont il a commencé de nous favorifer, que par le foin que nous avons d'en faire un bon ufage; il n'y a rien auffi qui foit plus capable de nous les faire perdre que cette pareffe mortelle, qui fait qu'on les neglige, ou qu'on differe d'en fuivre les mouvemens. Craignez ( ajoûta-t-il ) que Dieu ne fe retire enfin & ne vous abandonne à vous-même, à vos incertitudes, à vos foibleffes.

Pendant que le Pere de Mouchy parloit de la forte, la grace agiffoit fur le cœur de l'Abbé de Rancé, il entroit infenfiblement dans cette liberté fainte que la verité feule eft capable de nous donner. Dieu s'emparoit de tout fon cœur, & achevoit de rompre ce qui le tenoit encore attaché au monde. C'en eft fait dit-il au Pere de Mouchy ) ľ le monde ne me fera plus rien, j'y renonce & l'abandonne pour toûjours, Mais comment faire ( ajoûta-t-il ) comment m'y prendre? je fuis accablé d'affaires, j'ay mille engagemens differens,

fuis chargé de Benefices, je tiens au monde par tant d'endroits, je voudrois

le quitter dès aujourd'huy, à cette heure même, dans ce moment; mais comment fortir des embarras où je me trouve? En effet, il avoit befoin de toute la prudence du Pere de Mouchy pour marcher fûrement dans un chemin où les plus habiles font fujets à fe tromper, & où il eft également dangereux d'aller trop vîte, ou de n'avancer pas affez. Le Pere de Mouchy modera fon zele, fans le rallentir, & il luy fit comprendre que dans ces commencemens Dieu ne demandoit de luy, finon qu'il s'affer mît dans fes bons deffeins. Priez beaucoup, luy difoit-il,fuyez le monde,foyez fidelle à Dieu, confervez cherement ces premieres femences de falut, évitez le trouble & un certain empreffement mal entendu; après cela les chofes s'arrangeront, & les difficultez s'applaniront d'elles-mêmes. L'Abbé fuivit cet avis. Le Pere de Mouchy ne penfoit alors qu'à en faire un Abbé reglé & utile à l'Eglife, & l'Abbé ne portoit pas luymême fes vûës plus loin.

Depuis ce tems-là jusques à la pompe funebre du Prince, il eut de longs & de fréquens entretiens avec le Pere de Mouchy; il pri fes avis fur toutes chofes. Ce fut luy qui regla fon tems, fa

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