>> ques personnes, & de l'insensibilité où je les vis dans ce moment terrible qui devoit decider de leur éternité. On voit dans ce recit des motifs tout pareils à ceux qu'on a vûs dans la Lettre qu'on vient de rapporter. Il trouve dans le monde même dequoy s'en détromper; les mêmes objets qui l'avoient bleffe, le guériffent. Il est vray qu'il regardoit alors les choses avec les yeux de la foy, c'est ce qui l'oblige d'ajoûter: >> A cela se joignit quelque lumiere >> de la foy, certains principes de pieté » que Dieu avoit conservez dans mon >> cœur. Ces lumieres s'augmenterent, >> ces sentimens devinrent plus vifs. A >> lå fin je résolus de quitter le monde, » & de me retirer dans ma maison, ré>> folu de ne plus penser qu'à Dieu, à >> foulager les pauvres par des aumô >>nes, & à ne m'occuper que de lectu->>> res saintes, & de la priere. Je fis en>> suite reflexion que ma Maifon étoit >> trop belle pour une personne qui avoit autant besoin que moy de faire >> penitence. Je réfolus de m'en défaire, » & de me retirer dans un lieu où je >>> pûffè être inconnu au reste des hom >>mes. On me disoit sans ceffe que je faifois une entreprise que je ne poure rois foutenir; cependant Dieu m'a « fait la grace de n'avoir jamais eu de- ce puis aucun retour pour le monde. Cet entretien où l'Abbé de Rancé parle luy - même de ce qu'il sçavoit mieux que personne, oblige de faire quelques reflexions.. H dit qu'il ne demeura dans le monde que jusques à l'âge de trente ans. Cependant sa conversion ne paroît bien marquée que quelque tems avant son dernier voyage de Blois, où il assista Gaston de France à la mort, & c'est la datte qu'on a fuivie dans cette Hiftoire. Heft conftant qu'alors il avoit plus de trente ans. Il faut donc fuppofer que l'Abbé de Rancé met sa converfion lors qu'il com mença à se dégoûter du monde, & à mener une vie plus reglée; ce qui arriva en effet lors qu'il n'avoit qu'environ trente ans, comme je l'ay remarqué au Chapitre septiéme. A proprement parler, il demeura dans le monde jusques au treiziéme Juin de l'année 1663. qu'il le quitta, en prenant l'habit de l'Etroite Obfervance de Citeaux, au Monaftere de Notre-Dame de Perseigne; & il avoit alors trente-fept ans cinq mois. Mais ce qui prouve évidemment que l'Abbé de Rancé ne parle que d'une converfion commencée, c'est qu'il dit en propres termes, qu'alors il ne fit que commencer à se dégoûter du monde, & à s'en détromper; il commença désfors, mais il ne fut pas parfaitement détrompé, & il ne changea veritable ment de vie qu'au tems qu'on a marqué. C'est alors proprement que tout. change de face dans sa personne, dans sa maison, dans sa table, dans fon train, dans ses occupations. Avant ce tems - là sa converfion faisoit peu de bruit; alors tout le monde commence à en parler.. Il a donc été près de huit ans à mê diter cette grande retraite, qu'il fit depuis dans l'Etroite Observance de l'Ordre de Cîreaux ; mais il ne fut fi longtems à se déterminer, que parce qu'il fut long-tems fans connoître ce que Dieu demandoit précisément de luy; toujours prêt à fuivre ses ordres, quels qu'ils püflent être, toujours incertain de l'état auquel il étoit appellé; mais quand il eut une fois connu la volonté de Dieu, quand il en fut affure, il ne délibera plus, & comme il le dit luymême dans l'entretien qu'on vient de rapporter, il n'eut plus de retour pour le monde, Une autre reflexion qu'on peut faire eft, que l'Abbé de Rancé dans les motifs de sa conversion ne parle point de plusieurs circonstances que j'ay rapportées. On ne doit pas s'en étonner; il ne rend compte que de ses dispositions interieures, & des sentimens de. fons cœur. Il en parle même en d'autres endroits qu'on pourra voir dans la suite de certe Hiftoire.. CHAPITRE XV. P Incertitudes de l Abbé de Rancé fur divers points de sa conduite. Il consulte l'Evêque de Comminges, qui le renvoye à l'Evêque d' Alet.. ENDANT qu'on avoit dans le monde des sentimens si differens fur la conduite de l'Abbé de Rancé,. il joüissoit dans sa retraite d'une paix qui n'étoit troublée que par l'apprehenhon où il étoit de n'être pas dans l'état que Dieu demandoit de luy. Il étoit prêt de luy tout facrifier, mais il ne connoissoit pas assez clairement quels. facrifices luy étoient les plus agreables.. Quatre choses luy faifoient de la peine, la pluralité de ses Benefices, l'usage que feu Monfieur de Rancé son pere avoit fait de leurs revenus, pendant qu'il n'étoit pas en âge de les administrer, un plus mauvais qu'il en avoit fait luymême ; sa Maison de Veret qui luy paroiffoit trop magnifique pour un homme résolu comme il étoit à faire peni tence toute sa vie; & enfin un certain penchant, un attrait confus qu'il sentoit pour la folitude, & auquel il luy fembloit qu'il ne répondoit pas avec affez de fidelité. Il confulta fur tous ces points plusieurs perfonnes habiles, mais la diver sité de leurs fentimens ne servit qu'à augmenter fon incertitude. Les unsétoient d'avis que la pluralité des Benefices étant condamnée par les Loix de l'Eglife, il étoit d'autant plus obligé de les quitter tous, que son patrimoine étoit plus que suffisant pour le faire fubsister selon sa condition. D'autres luy permettoient de retenir un Benefice, ou même plusieurs, si un seul ne suffisoit pas pour fon entretien. D'autres enfin luy conseilloient de les garder tous, Pour appuyer cet avis, qui étoit en effet le moins für, ils demeuroient d'accord que la pluralité des Benefices étoit com |