lors de se proposer, fortifia cette in clination. Il avoit la memoire heureuse, il apprenoit aisément & n'oublioit jamais ce qu'il avoit une fois appris: la vivacité de son esprit répondoit à fa memoire, & l'application dont il étoit capable égaloit l'un & l'autre; de forte qu'il se fit admirer dans un tems où L'on connoît à peine les personnes de fon âge. Les belles Lettres faifoient alors toute fon application; il y fit de si grands progrès, qu'à l'âge de douze ans il sçavoit toutes les delicateffes de la langue Grecque, & de la Latine. Cela pourroit paffer pour une éxageration, fe on ne luy avoit vû expliquer les Poëtes Grecs & Latins avec une égale facilité, & fi nous n'en avions encore des preuves subsistantes ausquelles il n'est pas poffible de rien oppofer. On sçait que le Roy voulant donner une Abbaye à l'Abbé de Rancé, qui n'avoit alors qu'onze à douze ans, le Pere Cauffin Confesseur du Roy s'y opposa, il se fondoit fur la grande jeunesse de l'Abbé, sur l'incapacité ordinaire aux enfans, & fur le peu de fond qu'on peut faire fur un âge sr tendre, & si sujet au changement. On luy parla en vain de la beauté du genie de l'Abbé de Rancé, de ses talens, de fes progrès surprenans dans les Sciences, & de la juste esperance qu'on pouvoit concevoir qu'il feroit un jour tres-utile à l'Eglife; le Pere Caufin ne voulut s'en rapporter qu'à soy-même; on luy mene le jeune Abbé, il l'interroge, il l'examine, & tout surpris de ses réponses, il luy presente enfin un Homere à expliquer. Comme il vit qu'il le faifoit fans hesiter, il crut qu'il s'aidoit de la version Latine qui étoit à côté du Grec; pour luy ôter ce secours il prend les gants de l'Abbé & en couvre la ver fion Latine. Le jeune Abbé continua à expliquer Homere avec la même facilité. Le Pere Caussin convaincu, l'embrassant tendrement luy dit en riant, qu'il avoit les yeux d'un lynx, qu'il voyoit au travers de ses gants, & de puis ce tems-là il ne s'opposa plus aux graces que le Roy voulut luy faire. L'Abbé de Rancé n'avoit pas plus de douze ans lors qu'il donna au public une nouvelle édition des Poësies d'Anacreon; il l'accompagna d'un Commen taire Grec qui fut admiré des Sçavans. Cet ouvrage fut imprimé à Paris en 1639. & il le dedia au Cardinal de Richelieu. Le tems n'a rien diminué de l'étonnement que ce Commentaire caufe encore tous les jours à ceux qui le comparent à la tendresse de l'âge où étoit alors fon auteur. Il fit dans ce même tems une Traduction Françoise de ce même Poëte. Ceux qui travailloient dés lors à la perfection de nôtre Langue y trouverent tant de beautez, qu'il fur aisé de juger que fi peu de gens l'égaloient dans la connoiffance des Langues Grecque & Latine, personne ne le furpasseroit dans l'intelligence parfaite de la Françoise. En effet aucun n'en a mieux connu toutes les beautez, & tout ce que nous avons de luy est écrit avec rant de goût, d'élevation & de politeffe, qu'on est forcé d'avoüer qu'on ne peutni mieux penser ni mieux écrire. La bonté de fon cœur égaloit, ou même surpassoit la beauté de fon esprit; il l'avoit tendre, genereux, , fincere, naturellement bienfaisant, toûjours prêt à entreprendre les choses les plus difficiles pour le service de ses amis. Jamais on n'a porté plus loin l'amour tendre & refpectueux que nous devons à ceux de qui nous avons reçu la vie ; & perfonne n'a été plus exact à tous les devoirs que les liaisons du fang exigent de nous. On remarque à cette occasion qu'il n'a desobéï qu'une feule fois à M.de Rancé; Voicy quel en fut le sujet. La Reine Marie de Medicis ayant rompu avec le Cardinal de Richelieu d'une maniere fi éclatante, qu'il n'y avoit plus lieu d'efperef de sa part aucun retour, Monfieur de Rancé qui occupoit une des premieres Charges de fa Maison, se crut obligé de ne plus voir le Cardinal. Il supposa que la chose parlant d'elle-même, fon exemple fuffiroit pour empêcher l'Abbé de Rancé de continuer à faire fa cour à cette Eminence. Mais ayant remarqué qu'il n'en étoit pas moins affi-du auprés d'Elle, il luy défendit expreffément de voir le Cardinal. Cette défense embarrassa l'Abbé au dernier point. D'un côté il ne pouvoir se re-foudre à desobeïr à fon pere, & de l'au-tre, outre que le Cardinal étoit fon parrain, comme cette Eminence fe connoiffoit parfaitement en hommes, le Cardinal avoit penetre tout ce que le jeune Abbé pourroit être un jour, & pour se l'attacher il avoit pour luy des bontez qui fattoient agreablement, fon ambition. Rien n'est plus séduisant que les careffes d'un grand Ministre. L'Abbé representa fur cela à Mon ! seur de Rancé qu'une personne de fort age étoit fans consequence, & que d'ailleurs les obligations qu'il avoit au Cardinal, & celles qu'il pourroit luy avoir à l'avenir ne luy permettoient pas de rompre avec luy; qu'il le prioit d'agréer qu'il continuât de luy rendre ce que la reconnoiffance & le devoir exigeoient également de luy. Monfieur de Rancé, qui se croyoit responsable à la Reyne de la conduite de son aîné, & qui d'ailleurs n'aimoit pas à être contredit, reïtera ses défenses, & le fit d'une maniere à faire comprendre à l'Abbé qu'il vouloit être obéï. L'Abbé trouva cet ordre si dur & fi à contre-tems, qu'il ne put se resoudre à y deferer. Il continua à voir le Cardinal, mais ce fut avec tant de précautions, que Monsieur de Rancé n'en sçut rien, ou ju gea à propos de le diffimuler. La mort du Cardinal le tira enfin de cet embarras. Il sentit vivement combien cette mort dérangeoit ses projets. L'Abbé avoit ses vûës, la Providence en avoit d'autres; heureux qui les sçait connoître, plus heureux qui sçait s'y foumettre, & les aimer. Il avoit perdu quelques années auparavant Madame de Rancé, qui l'aimoit |