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le fecours defquelles on peut faire des fottifes fans craindre de s'y tromper. Parce que nous avons eu des poëtes lyriques fans force, & des muficiens fans expreffion, nous en avons conclu qu'il falloit à l'opéra du volup tueux, du gracieux, du doucereux, tout au plus du tendre; c'eft dans ce goût que font écrits les ballets qu'on a fubftitués aux tragédies.

Rameau eft venu qui a fait des découvertes vraies & qui en a tiré des conféquences fauffes: il a donné tout à l'harmonie : il a prefque compté la mélodie pour rien, & ce fyftême convenoit à merveille à notre opéra. La plupart de nos paroles prêtant trop peu à l'expreffion de la mufique & à la variété, on a dû être enchanté de trouver l'harmonie la plus belle, la plus riche, la plus variée, à la place de la mélodie qu'on ne connoiffoit point. Quoi que vous en difiez, mon cher B..., l'harmonie fait beaucoup de plaifir: nous y trouvons de la fymétrie, nous y faififfons des rapports, nous y découvrons des proportions, & de plus elle a fur nous un effet phyfique : une fuite d'accords, quoiqu'ils

ne foient pas liés par un chant, nous éveille & nous donne plus d'existence; ils agiffent fur le genre nerveux. Je fais qu'ils ne déterminent pas notre fenfibilité, mais ils nous difpofent à fentir; ils nous donnent plutôt du mouvement que des fentimens. Si l'harmonie ne plaît pas par elle-même, pourquoi les préludes fur le clavecin ou fur le piano forte, vous font-ils tant de plaifir? Ce plaifir, j'en conviens, eft bien peu de chofe en comparaison de celui qu'on doit à la mélodie: c'est elle qui détermine notre fenfibilité, parce qu'elle exprime des fentimens, ou parce qu'elle rappelle des images qui en excitent: la mufique italienne qui en eft remplie,parle au coeur qu'elle touche, & la nôtre agit fur le corps qu'elle remue.

Je doute qu'un muficien médiocre qui auroit à exprimer des paroles fort pathétiques ne donnât point de caractere à fa mufique & s'avisât de la charger d'harmonie : je crois auffi que dans un acte fort touchant les airs de fymphonie prendront le caractere du chant: ils feront une expreffion nouvelle de ce que l'on vient de dire, ou

une préparation à ce qui va fe dire. Je fais bien qu'il ne faut pas que dans un opéra tous les airs foient du même genre; mais les fêtes que je veux conferver, la magie, les dieux, donneront lieu à une mufique fort différente de celle qui exprime les fentimens de la tragédie.

Je trouve prefque tous les récits infupportables; ils font quelquefois néceffaires dans l'expofition. Quinault les a évités avec bien de l'art, & Metastaze avec plus d'art encore: leurs expofitions font prefque toujours en action, & c'eft ainfi qu'elles doivent être : s'il faut abfolument des récits, je veux qu'ils foient courts & fi animés qu'ils foient une forte d'ac

tion.

Je vous ai entendu dire qu'il ne fal loit pas pour la mufique de la poéfie forte, & que le poëte devoit laiffer beaucoup de chofes à dire au muficien. Cette opinion ne doit-elle pas fon origine à la foibleffe de nos paroles lyriques? Je penfe bien le contraire & je crois qu'il y a dans Polyeucte, dans Mérope, dans Zaïre, plus de fcènes propres à être mifes en chant

que dans la plupart de nos foibles opéras.

Je me fouviens que vous me citiez la cantate de Circé. « C'est peut-être » le plus beau morceau de poéfie qui >>foit dans aucune langue, »me difiezvous, « & on n'a jamais pu le mettre >>enmufique». Cecimérite explication.

La cantate de Circé eft un tableau en petit d'un fujet très-vafte : il peint toutes les parties de la nature & les objets les plus différens avec les couleurs les plus fortes: c'est une multitude d'images qui ne font point néceffairement liées l'une à l'autre & qui forment un feul tableau. Les images d'un vers y font fi différentes des images du vers qui fuit, qu'il faudroit pour chaque vers un air d'un caractere différent.

Le muficien ne peut pas non plus donner à quelques parties de la cantate de Circé un caractere général, parce qu'il n'y a dans aucune de ces parties un fentiment fort qui domine. Le poëte eft énergique fans être paffionné; & après avoir peint le défefpoir de Circé du pinceau le plus vigoureux, il la fait parler foiblement,

Lorfque la poéfie prendra des fujets plus bornés & qu'elle peindra les circonftances néceffaires, lorfqu'il régnera un fentiment très-marqué, quelque fortement que peigne la poéfie,la mufique pourra la feconder. Les paroles de Metaftaze fur lefquelles les plus grands muficiens d'Italie ont fait leurs plus beaux airs, font remplies de la poéfie la plus forte & qui laiffe encore à dire au muficien: en voici la raison ; c'eft que le poëte, quand il fe renferme dans un efpace borné, n'a qu'un petit nombre de mots pour peindre un mouvement de l'ame, & que la mufique peut rendre les différens cris de la nature & imiter toutes les fortes d'inflexions de voix que donne la paffion: il en eft de même des objets phyfiques. La multitude des fons imitatifs d'un certain bruit eft infinie, & il n'y a qu'un mot ou deux qui expriment ce bruit. Quant aux objets phyfiques fans mouvement & fans bruit, la mufique n'entreprend pas de les peindre, elle doit feulement effayer alors de rendre les fentimens qu'on éprouve à la vue de ces objets dans certaines circonftances. Par exemple,

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