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REFLEXIONS (1) fur l'imitation des Artiftes Grecs dans la Peinture & la Sculpture, par M. l'Abbé Winc kelman.

LETTRE PREMIERE.

ON

N peut dire que le bon goût a pris naiffance dans la Grece & qu'il s'y eft élevé au plus haut degré de perfection. Les inventions antérieures qui furent communiquées aux Grecs n'étoient encore que des effais groffiers, qui fous l'heureufe influence du génie de ce peuple, prirent une nouvelle forme & de nouveaux degrés de beauté, de grace ou d'utilité.

Minerve, nous dit-on, choifit pour la réfidence de fon peuple favori le climat agréable de la Grece, comme

(1) Ces réflexions font divifées en plu fieurs lettres écrites en italien : nous en donnerons fucceffivement la traduction. Le nom de l'auteur nous difpenfe d'en faire l'éloge.

le plus propre à favorifer les progrès de l'efprit & du génie, par la douce & heureuse température qui y regne pendant les différentes faifons.

Le goût exquis qui fe fait fentir dans les productions des artistes Grecs leur a été particulier. Rarement a-t-il été transmis aux autres nations fans perdre quelque chofe de fa premiere pu reté; & fa douce lumiere n'a pénétré que fort tard dans les régions, fepten trionales. Il n'y a pas encore bien longtems qu'on a vu à Stockolm plufieurs beaux tableaux du Correge employés à fermer les croifées des écuries du Roi.

Ce n'est qu'en imitant les anciens qu'on peut parvenir à exceller dans les arts élégans & fublimes de la peinture & de la fculpture. On peut dire des artiftes de l'antiquité ce qu'on a dit d'Homere: plus nous étudierons leurs ouvrages, plus nous les admirerons parce que la véritable beauté brille d'autant plus qu'on l'examine avec plus da'ttention.Afin d'admirer le Laocoon comme on admire Homere, il faut, pour ainfi dire, connoître cette fameule ftatue, comme on connoît un

intime ami avec qui l'on converfe tous les jours. Nicomaque paffoit chaque jour une heure ou deux à confidérer l'Helene de Xeuxis; quelqu'un trou vant des défauts dans la compofition de ce fameux tableau: prenez mes yeux, dit-il au cenfeur, & vous verrez que c'eft une divinité.

C'eft avec de femblables yeux que Michel-Ange,Raphaël & le Pouffinre, gardoient les productions des anciens artifles. Ils cherchoient à leur fource le goût, le vrai & le beau. Raphaël envoya en Grece plufieurs excellens deffinateurs chargés de deffiner pour lui tous les monumens précieux de l'antiquité qui avoient échappé aux ravages du tems.

Il ne faut pas s'imaginer cependant que les meilleures productions des plus fameux peintres & fculpteurs de la Grece foient exemptes de dé fauts. Il y en a même en plus grand nombre qu'on ne le croit communé→ ment; mais ce font des taches légeres effacées par l'éclat des beautés qui les environnent. L'admiration qu'exci tent les perfections de ces ouvrages ne permet prefque pas d'en apperce,

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voir les défauts. Quelques uns des plus grands artistes de l'antiquité bornoient leurs foins à finir la principale figure de chaque ouvrage & négligeoient le refte. Qui peut imaginer que le dauphin & l'amour qu'on voit aux pieds de la Vénus de Médicis foient l'ouvrage du même cifeau qui a donné à cette figure immortelle tant de grace & de beauté? Jettez les yeux fur la plus grande partie des médailles des rois d'Egypte & de Syrie, fur celles même dont le travail eft le plus précieux, vous verrez que les têtes y font finies avec le plus grand foin, & que les autres parties de la médaille y font fort inférieures. Il faut confidérer les productions de quelques artiftes anciens, comme Lucien confidéroit le Jupiter de Phidias: il admiroit le dieu fans faire attention au piédestal.

On exige pour la perfection de la peinture, que l'imitation ne fe borne pas à rendre fcrupuleufement la nature telle qu'elle eft, mais qu'elle en faififfe les apparences les plus frappantes, les formes les plus agréables & les plus grandes, qu'elle exprime

enfin

enfin une nature choifie. Mais ceux qui font en état de juger des productions des artiftes Grecs & qui cherchent à les imiter, trouveront dans leurs chef-d'oeuvres, non-feulement cette nature choifie, mais quelque chofe encore de plus beau & de plus fublime; ils y découvriront ce beau idéal dont le modele n'eft pas visible dans la la nature extérieure & qui, fuivant un ancien commentateur de Platon, ne peut fe trouver que dans l'ame humaine, où il a été gravé par la fource primitive de toute beauté.

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La forme humaine, la plus belle & la mieux proportionnée que l'on puiffe trouver chez les peuples modernes, ne reffembleroit peut-être pas plus aux plus beaux corps de l'ancienne Grece, qu'Iphicles ne reffembloit à fon frere Hercule. La température d'une atmosphere douce, pure & fereine avoit fans doute une grande influence fur la conftitution phyfique des Grecs; & les exercices mâles, auxquels ils étoient accoutumés dans leur jeuneffe, perfectionnoient ce que la nature avoit commencé. Prenons un jeune Spartiate, defcendu d'une Tome IV.

N

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