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DISSERTATION fur le cabinet de Cicéron, d'après M. l'abbé Venuti.

CICERON étoit âgé d'environ quarante-trois ans lorfqu'il fe propofa de former une bibliotheque & une collection d'antiquités. Il avoit rempli d'une maniere diftinguée les plus belles places de la république; il tou choit au moment d'obtenir le confulat; mais prévoyant les malheurs qui menaçoient la liberté de fa patrie, & faifant attention qu'il eft un tems dans la vie où les feuls biens qui conviennent à l'homme font la retraite & le repos, il s'occupa dèslors des moyens propres à répandre de la douceur fur les momens de fa vieilleffe. « Gardez-vous bien » écrivoit-il à fon intime ami Titus Pomponius Atticus qui demeuroit alors à Athenes, « gardez-vous bien de pro» mettre ou de vendre votre bibliotheque à perfonne; fermez l'oreille » à toutes les propofitions qu'on pourra vous faire à ce fujet quel

» qu'avantageufes qu'elles vous pa>> roiffent: c'eft une reffource que je >>veux me procurer dans ma vieil»leffe, & je prends déja pour cela » les mefures & les arrangemens né» ceffaires. »

L'intention de Cicéron étoit de

placer fa bibliotheque dans fa maison de campagne auprès de Tufculum; maison où, pour nous fervir de fes termes, non-feulement il aimoit à demeurer, mais dont la feule idée l'affectoit d'une maniere infiniment agréable. Ce grand homme croyoit, avec raifon, que la campagne eft le feul afyle qui convienne aux philofophes. La pureté de l'air qu'on y respire, le repos, la liberté, le filence, tout y appelle la réflexion & invite à l'étude. La paffion de Cicéron pour les livres s'augmentoit de jour en jour; elle égale, écrivoit-il à Atticus, ce dégoût que j'ai pour le refte des chofes humaines; mais ou Cicéron étoit de mauvaise foi lorfqu'il écrivoit de la forte, ou il étoit plus âgé qu'on ne le croit communément : en effet, à l'âge

de

quarante - trois ans il touchoit au terme de fes efpérances; près d'ob

tenir enfin la dignité qui faifoit l'unique objet de fes travaux & de fon ambition, dignité qui devoit le placer à la tête de la république, & lui donner une autorité dont l'étendue étoit égale à celle de l'empire Romain, il n'avoit alors dans la tête que des idées de grandeur & de gouvernement. Mais il en étoit de Cicéron comme de beaucoup de perfonnes de nos jours; il philofophoit & n'étoit guère philofophe.

L'orateur Romain ne mit pas moins d'empreffement & de foins à fe procurer de beaux morceaux d'antiquité que de bons livres. « Vous connoiffez » mon cabinet, (écrivoit-ll à Atticus), » tâchez de me procurer des mor» ceaux dignes d'y occuper une place » & propres à l'embellir; au nom de » notre amitié, ne laiffez rien échapper » de ce que vous trouverez de cu» rieux & de rare. J'ai coutume d'a» cheter (mandoit-il à Fabius Gallus) » toutes les ftatues qui peuvent orner »le lieu de mes études. » Atticus l'ayant informé qu'il ne tarderoit pas à lui envoyer une très-belle ftatue qui réuniffoit les têtes de Mercure &

de Minerve, Cicéron lui répond avec tranfport: << Votre découverte eft ad» mirable; la ftatue dont vous me » parlez eft faite toute exprès pour >> mon cabinet; vous fçavez qu'on » place les Mercures dans tous les » lieux d'exercice, & la Minerve » convient d'autant mieux à celui-ci, » qu'il eft uniquement deftiné à l'é»tude. Continuez à me raffembler. >> ainfi que vous me l'avez promis, »en auffi grande quantité qu'il fera » poffible, des morceaux de cette na»ture. » Il ne ceffoit d'écrire à tous ceux de fes amis qu'il croyoit être à portée de fatisfaire fa curiofité, & il attendoit leur réponse avec cet empreffement & cette impatience qu'on remarque aujourd'hui dans quelquesuns de nos amateurs. Le pauvre Atticus fur-tout étoit accablé de lettres. »Ne me faites pas attendre long-tems » les acquifitions que vous avez faites » pour mon académie; la feule idée » de ces termes de marbre à têtes de » bronze, dont vous me parlez dans » votre derniere lettre, me transporte » d'aife & de plaifir; encore un coup » faites enforte qu'ils me parviennent

» inceffamment avec d'autres ftatues, » & tout ce que vous avez trouvé » de propre à orner mon cabinet. Je » m'en rapporte à l'amitié que vous » avez pour moi & à votre bon goût... »Vous ne fauriez imaginer jufqu'où va »ma paffion pour ces fortes de chofes; »elle eft telle, qu'elle pourra paroître » ridicule aux yeux de bien des gens; » mais vous qui êtes mon ami, vous » ne devez penfer qu'à la fatisfaire.... » Achetez-moi fans balancer, lui dit-il » ailleurs, tout ce que vous décou»vrirez de rare; mon ami, n'épargnez » pas ma bourfe.» Le plus enthoufiafte des amateurs tiendroit-il un autre langage? Nous nous rappellons à ce fujet qu'un prélat de la maifon Strozzi voulant acheter à Rome une pierre gravée, antique & d'une beauté extraordinaire, & n'étant pas en état d'en payer fur le champ la valeur, laiffa en gage fon carroffe & fes chevaux & avoua qu'il lui en eût moins coûté d'aller à pied toute fa vie que de fe voir privé de cette pierre.

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