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OBSERVATIONS fur le caractere de Xénophon, & fur fes différens ou

vrages.

XENOPHON & Platon, ces deux célebres disciples de Socrate, ne purent fe garantir d'une foibleffe malheureufement trop commune parmi les gens de lettres, la jaloufie; mais Platon s'y livra avec moins de ménagement que Xénophon, peut-être parce qu'il s'étoit borné à un feul genre de gloire, celle de philofophe & d'écrivain; au lieu que fon rival y joignoit celle d'habile & heureux capitaine.

Cette rivalité mérite d'être remarquée; le témoignage des deux difciples de Socrate en a bien plus de force dans les principes fur lefquels ils font d'accord: or, à certains égards, leur autorité devient celle de la Grece entiere. En effet, les réflexions de ces deux grands hommes fur la politique', c'est-à-dire, fur l'art de former & de gouverner les hommes, ne peuvent être regardées que comme

pas

le résultat & d'une longue expérience, & des obfervations qu'avoient faites fur cette expérience les plus grands philofophes de l'antiquité. Quelles leçons ne devoit fournir le parallele des inftitutions que fuivoient Athenes, Sparte, la Crete & tant de républiques qui toutes, pour former des Citoyens, employerent des moyens différens & produifirent toutes des Grecs vraiment dignes de ce nom, quand ce nom fut le plus célebre & le plus digne de fa célébrité.

Les ouvrages de Xenophon & de Platon, confidérés fous ce point de vue, font certainement les monumens les plus précieux qui nous reftent de la fage antiquité, & c'eft dans cet efprit qu'il faut les lire pour en fentir tout le mérite.

Vainement on dira que Platon n'a voulu traiter que de la juftice, comme le porte le vrai titrede l'ouvrage auquel on a donné celui de République; il eft évident que fon but principal a été de donner un traité de politique. Il a pofé une hypothese pour mieux développer fes principes. Il eft ridicule d'attaquer cette hypothefe, & c'eft mal entendre

ce profond écrivain, que de la donner pour une comparaifon uniquement deftinée à rendre plus intelligible fon fyftême fur la juftice. Qu'on faffe voir l'abfurdité de la république de Platon, on n'ôtera rien du mérite de fon ouvrage; qu'on ne lui fuppofe d'autre intention que celle de compofer un traité fur la juftice, & on en fera un très-mauvais écrivain.

Il en faut dire à peu près autant de la Cyropedie ou de l'hiftoire de Cyrus par Xénophon. Quelque peine que fe foit donnée Thomas Hutchinfon pour affigner à cet ouvrage le plus haut degré d'authenticité historique qu'on puiffe lui fuppofer, on ne fçauroit fe diffimuler que c'eft moins une hiftoire qu'un traité politique, dans lequel l'auteur a eu en vue d'exposer les moyens les plus propres à former des citoyens juftes & courageux, d'enfeigner l'art de créer une armée & de mettre en action un général également fage & profond dans l'art de la guerre. Si c'étoit une hiftoire, on y verroit mille défauts que les autres ouvrages de Xenophon ne permettent pas d'imputer à ce philofophe : en effet, à

quoi pourroient fervir les converfations peu intéreffantes qu'on y trouve, les détails minutieux où entre l'hiftorien & dont on ne peut fuppofer qu'il ait été jamais inftruit, les affertions qu'il hafarde fur les vues & les intentions de Cyrus? finon à déparer une histoire où tout devoit être grand & digne du héros de l'Afie.

Mais qu'on envisage la vie de Cyrus comme le canevas d'un traité méthodique; rien alors ne paroîtra deplacé dans cet ouvrage, & l'on n'y verra rien qui ne foit digne de celui qui dirigea la retraite des dix mille, & qui en écrivit l'hiftoire.

Ici Xenophon égale Platon,fi même il ne le furpaffe dans le plan qu'il nous donne des parties les plus effentielles de l'administration. Quelle fageffe dans fes vues fur l'éducation nationale ! quelle profondeur dans les principes qu'il établit fur l'art de créer la valeur & de l'entretenir par l'émulation la plus naturelle & la plus durable entre deux ordres, dont l'un eft voué uniquement au métier des armes, parce qu'il eft exempt des befoins preffans qui rappellent l'homme à la

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néceffité de fubfifter, & conféquemment à l'amour de la vie, devient pour le refte de la nation un modele de valeur & de défintéreffement; tandis que l'autre, endurci par les travaux, devient brave par imitation, & refpecte dans l'ordre fupérieur & les vertus qu'il n'a pas au même degré, & l'aifance héréditaire qui en impofe au peuple, & le droit de commander qui naît de ces avantages réunis! Si Xenophon eût connu la nobleffe militaire & héréditaire & qu'il eût voulu enfeigner la meilleure maniere de la mettre en action, indiquer les écueils dont il falloit la préferver pour ne pas en altérer l'efprit, tracer le plan de l'éducation qu'on devoit lui donner, l'eût-il pu faire avec plus de précifion & d'énergie ? Ce trait feul caracterise l'homme de génie. Né & élevé à Athenes, Xenophon devina le grand principe de la meilleure conftitution militaire. Que l'on compare ce plan de Xenophon avec celui de Platon, lorfqu'il s'agit de la maniere de former des guerriers ; & l'on fentira aifément la fupériorité du général philofophe fur l'écriyain contempla

teur.

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