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LETTRE du R. P. Jacquier, en réponse à celle d'un voyageur, fur la température de l'air de la ville & de la campagne de Rome pendant les cha leurs de l'été.

QUELQUE empreffement que j'aie,

Monfieur, de vous voir dans cette capitale, comme il s'agit de votre fanté, à laquelle je m'intéreffe autant qu'à la mienne propre, je n'oferois vous rien confeiller d'après ma seule expérience; j'aime mieux jetter fur le papier ce que je fçais à ce fujet, & vous mettre à portée de vous décider d'après les réflexions que vous infp reront les miennes.

Quoique votre lettre roule principalement fur la température actuelle de l'air de la ville & de la campagne de Rome, je ne laifferai pas de faire des recherches fur la nature de l'ancien climat romain; je viendrai enfuite au tems préfent, & je finirai par quelques remarques fur les changemens que l'ancien climat peut avoir fubis.

Le climat de l'ancienne Rome étoit très-fain; c'est une vérité qu'atteftent

les anciens écrivains. Lifez dans TiteLive la harangue de Furius Camillus, exhortant le peuple à attaquer l'ennemi; vous y verrez qu'en parlant de la ville de Rome il fe fert de cette expreffion, faluberrimos colles. Strabon, qui vivoit au tems de l'empereur Tibere, parle du climat de l'ancienne Rome & de la campagne romaine en ces termes: Omne Latium felix eft & omnium rerum ferax, exceptis locis quæ paluftria funt atque morbofa, qualis eft ardentinus ager inter antium & lanuvium ufque ad pometiam & fetini agri quædam, & circà Terracinam & circeïum. On voit par l'autorité de ces deux écrivains que l'air de Rome, & même d'une grande partie du Latium, étoit regardé comme très-fain: Strabon excepte feulement quelques endroits marécageux qu'ont également exceptés Tite-Live & plufieurs anciens auteurs. Je conclus de-là qu'il n'y avoit aucune difficulté à paffer alternativement de la ville à la campagne, & de la campagne à la ville, puifque dans P'un & l'autre endroit on refpiroit un air falubre. En effet, nous lifons dans la feptieme épître d'Horace, liv. 1,

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que ce poëte paffa cinq jours du mois d'août avec Mecene dans la magnifique maison de campagne que ce protecteur des gens de lettres avoit à Tivoli. On fçait que Cicéron compofa fes belles queftions Tufculanes pendant l'été dans l'efpace de cinq jours, & qu'elles ont pris leur nom du lieu qui les vit naître, c'est-à-dire de la maifon de Tufculum, qui dans toutes les faifons faifoit les délices de l'orateur Romain. Je ne fuivrai point ici le progrès & la continuité de cet ufage, il me fuffira d'obferver que c'eft vers le milieu du onzieme fiecle qu'on trouve les premiers veftiges du préjugé vulgaire fur le mauvais air de la ville de Rome. On lit dans la vie de Gregoire VI,écrite par un auteur contemporain: Eftate qua Roma humanis corporibus contraria eft. Un écrivain du même fiecle, cité par Baronius, rapporte que faint Anfelme ayant été conduit à Rome par Urbain II, voulut paffer l'été dans une campagne : Quia calor aftatis in partibus illis cuncta UREBAT,& habitatio urbis nimiùm in

falubris fed præcipuè peregrinis hominibus ERAT. On ne peut nier que l'action du

climat ne foit plus fenfible quand l'impreffion en eft foudaine: je m'explique. Les hommes nouvellement tranfplantés font plus expofés fans doute aux incommodités attachées au climat que les naturels du pays; & le font d'autant plus que leur climat differe davantage de la température du nouveau pays qu'ils habitent. C'est encore une obfervation conftante & généralement connue, qu'il y a moins d'inconvénient pour les habitans des pays chauds à paffer dans des régions froides, qu'il n'y en a pour les habitans des pays froids à s'habituer dans des climats chauds. Mais que peut-on conclure des paffages que j'ai rapportés, finon que dans les années dont il s'y agit, les chaleurs de l'été furent exceffives, & peut-être même fatales aux étrangers? Le témoignage de ces écrivains ne doit pas s'entendre généralement; car le premier nous dit, quá aftate; ce qui détermine un été particulier; & le fecond ne dit pas que la chaleur de l'été brûle tout, mais qu'en cet année elle brûloit tout: calor aftatis cuncta urebat. Du reste, fi l'on donne un fens général à ces pa

roles,

roles, c'est l'effet d'une terreur purement panique. En effet, nous fçavons qu'à peu près au tems de S. Anfelme, les nobles Romains avoient coutume de fe retirer dans les campagnes pendant les grandes chaleurs de l'été, mais fans craindre de retourner à Rome. Nous lifons que long-tems après, à la mort d'Innocent VIII, le 23 juillet 1492, plufieurs cardinaux qui s'étoient retirés dans les campagnes pour y paffer l'été, revinrent à Rome pour entrer au conclave.

J'appuierai ces exemples par quelques raifonnemens phyfiques. On ne peut nier que la qualité & la bonté de l'air ne foient à peu près égales dans la ville de Rome & dans les campagnes où les Romains ont coutume de paffer aujourd'hui le printems & l'automne. Les habitans de la ville & de ces cam pagnes font fujets à peu près aux mêmes maladies pendant les chaleurs de l'été, &, proportion gardée, on obferve affez régulierement que le nombre de malades & de morts n'y eft pas plus confidérable, en prenant un terme moyen, que dans les villes où l'air paffe pour falubre. Tel eft le caractere Tome IV.

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