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faits. L'art de notre auteur & des meilleurs hiftoriens de l'antiquité confiftoit dans le choix des faits & dans la maniere de les préfenter. Mais peutêtre le peu de fruit qu'on a tiré de la lecture de leurs ouvrages pour l'avancement du grand art de gouverner, juftifie-t-il la liberté que fe donnent les modernes de prévenir les réflexions de leurs lecteurs & de ne pas trop fe repofer fur leur attention & fur leur fagacité.

REFLEXIONS fur la nature & l'origine des fentimens mixtes, compofés de plaifir & de peine, par M. Mosès, juif de Berlin.

Du mêlange fimple de plaifir & de déplaifir découlent plufieurs fortes de fenfations qui toutes different les unes des autres, & s'annoncent par des caracteres abfolument divers. Telle eft la nature de notre ame; quand elle ne peut pas diftinguer deux fenfations qu'elle éprouve en même tems, elle s'en compofe une particuliere qui differe de toutes deux & n'a prefque rien qui leur foit analogue. Qu'on change la moindre circonftance dans les fenfations fimples dont la mixte eft compofée, celle-ci changera & prendra une toute autre forme. La compaffion, par exemple, eft une fenfation mixte, compofée d'intérêt ou d'amour pour un objet, & de déplaifir fur le malheur que cet objet éprouve. Mais de combien de formes n'eft-elle pas fufceptible? Que dans le malheur

qui nous affecte on change feulement les tems, la pitié fe fera connoître par des caracteres tout différens. Electre verfant des larmes fur l'urne de fon frere, nous infpire une tristeffe compatiffante, car Electre croit que fon frere n'eft plus, & rien ne peut la confoler de la perte qu'elle a faite. Ce que nous reffentons à l'aspect des maux que fouffre Philoctete eft encore de la compaffion, mais d'une nature un peu différente; car les tourmens auxquels cet homme vertueux eft en proie, font préfens; c'eft fous nos yeux qu'il en eft accablé. Mais lorfqu'Edipe eft faifi de terreur au moment où le grand fecret fe dévoile, lorfque Monime eft effrayée en voyant pâlir le jaloux Mithridate; lorfque la vertueuse Desdemona (1) frémit aux menaces terribles d'Othello qu'elle avoit toujours éprouvé fi tendre, quel eft alors le fentiment qui nous affecte? C'eft encore de la compaffion. Mais ici c'eft une terreur compatisfante; là une crainte compatiffante; ailleurs

(1) Dans Othello, tragédie de Shakef pear.

une trifteffe compatiffante. Les mouvemens font différens, quoique dans tous les cas l'effence des fenfations demeure la même; car chaque efpece d'intérêt ou d'amour nous difpofant à nous mettre à la place de l'objet aimé, il faut que nous partagions toutes les efpeces de fouffrances qu'endure cet objet, & c'est ce qu'on appelle trèsénergiquement compaffion. Donc la crainte, la frayeur, la colere, la jaloufie, la vengeance,& en général tous les fentimens défagréables, fans excepter même l'envie,pourront réfulter de la compaffion. Donc c'eft mal-àpropos que la plupart des critiques ont divifé les paffions tragiques en' compaffion & en terreur. Eft-ce que la terreur théatrale n'eft pas de la compaffion? Eh, pour qui fommes-nous donc alarmés lorfque Mérope leve le poignard fur fon fils? Est-ce pour nous ? Non fans doute, mais pour Egifte, dont la vie nous eft chere, & pour une mere abufée qui prend fon propre fils pour l'affaffin de fon fils. Si nous ne voulons donner le nom de compaffion qu'au déplaifir que nous reffentons à l'afpect du mal préfent d'au

trui, il faut que nous diftinguions d'avec la compaffion proprement dite, non-feulement la terreur, mais encore toutes les paffions qui nous font communiquées & que notre ame partage.

Les fenfations mixtes font à la vérité moins agréables que le plaifir pur, mais elles pénetrent plus avant dans l'ame & y retentiffent plus longtems. Ce qui n'eft que fimplement agréable amene bientôt la fatiété & enfin le dégoût. Toujours nos defirs s'étendent au-delà de la jouiffance, & lorfqu'ils ne trouvent pas une fatisfaction complette, l'ame afpire au changement. Au contraire, le défagréable, en fe mêlant à l'agréable, captive l'attention, retarde & quelquefois même empêche la fatiété. L'expérience prouve qu'à l'égard des fens le plaifir entraîne bientôt le dégoût s'il ne s'y mêle quelque irritation. Il en eft de même des affections de l'ame; la colere & l'affliction font moins agréables fans doute que le badinage & la gaîté; l'affliction & la colere ont cependant un attrait inexprimable. Rien ne charme tant l'hom

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