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ni l'autre ne lui laiffe entrevoir aucune fuite dangereufe. Mais le trompeur vient-il fe montrer dans tout fon jour, le trompé paroît-il en danger, le rire fe change en horreur & en pitié... La même circonftance peut paroître rifible à l'un & douloureufe à l'autre, fuivant que l'on prend plus ou moins d'intérêt à celui qui s'y trouve. Les extravagances de nos amis nous font ordinairement de la peine, celles de nos ennemis nous font plaifir, & celles des performes indifférentes nous font rire. Le rire eft donc un mouvement particulier, accompagné d'une forte de fenfation mixte; mais en luimême il eft auffinéceffaire pour notre félicité que le fentiment d'horreur à l'aspect de l'immenfément grand. Du refte le philofophe qui pleuroit fur la folie des hommes, étoit peut-être plus heureux que celui qui paffa fa vie à en rire.

ELEGIE écrite fur un Cimétiere de Campagne, traduite de l'Anglois de M. Cray..

J'ENTENDS le fon de la cloche funebre qui annonce la fin du jour : les troupeaux mugiffans marchent à pas lents & tortueux vers l'étable; le laboureur fatigué regagne avec effort fa chaumiere: il abandonne l'univers à l'effroi des ténebres & à l'horreur de mes réflexions.

Les prairies ont perdu tout leur éclat un trifte & vafte filence regne autour de moi, & n'eft interrompu que par le bourdonnement de quelques infectes aîlés qui volent pefamment dans le vague des airs; leur murmure affoupiffant & lugubre fe fait entendre au loin dans la campagne.

Mais quels gémissemens viennent frapper mon oreille! c'eft le trifte hibou, qui du haut de cette tour couverte de lierre, éleve fa plainte jus qu'au ciel : j'ai troublé fon antique fo

litude, j'ai profané fes fombres bof

quets.

La mouffe que le tems a réduite en pouffiere s'élève en monceaux fous ces arbres touffus; c'eft-là, c'eft fous ces ormeaux fauvages & à l'ombre des cyprès que repofent les ruftiques ancêtres des habitans du humeau: ils font enfermés pour jamais dans leur étroite demeure.

La voix perçante du coq, le gazouillement des oifeaux, les accords des inftrumens champêtres ne pourront les faire fortir de ce lit effrayant : ils ne fe leveront jamais pour refpirer les parfums du matin que les zéphirs apporteront en vain fur leurs aîles.

On a vu fouvent la moiffon tomber fous leur faux tranchante, & la terre indocile céder à leurs travaux : ils menoient en triomphe un fuperbe attelage. Combien de fois les chênes audacieux des forêts n'ont-ils pas gémi fous les coups de leur hache pefante !

Ce n'est plus pour eux qu'un feu pétillant brille dans les foyers, ou qu'une époufe chérie prépare un repas champêtre ce n'eft plus pour eux que de tendres enfans élevent leurs

J

mains innocentes en follicitant un baifer qu'ils envient à leur mere.

Altiere ambition! pourquoi méprifez-vous leurs travaux, la fimplicité de leurs plaifirs, l'obscurité de leur destinée ? Pourquoi la grandeur écouteroit-elle avec un fouris dédaigneux l'hiftoire fuccinte & naïve du pauvre ?

L'orgueil de la naiffance, la pompe du pouvoir, tous les avantages que donnent la richeffe & la beauté attendent également l'heure inévitable: tous les fentiers de lagloire aboutiffent tombeau.

Les voûtes de nos temples ne retentiront jamais de leurs éloges; la pofterité n'a point érigé de trophées fur leurs tombeaux. Grands de la terre! pourquoi les plaignez-vous?

Un fuperbe maufolée pourroit-il rappeller dans ce cadavre le dernier fouffle qui s'échappe ? La fumée de l'encens réchaufferoit-elle cette froide pouffiere, ou les accens de la flatterie charmeroient-ils l'oreille infenfible de la mort ?

Peut-être a t-on enfeveli fous cette terre mépritée un coeur autrefois

animé d'un feu célefte, & des mains dignes de porter le fceptre ou de toucher la lire d'Apollon.

Mais la fcience enrichie des dépouilles du tems ne leur a jamais ou vert fon livre immenfe: la froide indigence a étouffé dans leur ame leurs nobles transports; elle a glacé dans fa fource le génie créateur qui donne la vie aux grandes pensées.

Ainfi mille pierres précieufes font renfermées dans les fombres cavités

des montagnes, mille fleurs naiffantes. répandent dans les déferts une odeur embaumée.

Ici repofe peut-être un Hampden, qui auroit oppofé fon intrépide vertu aux injuftes efforts de la tyrannie, un Milton qui vécut fans écrire, & qui mourut fans gloire; un Cromwel dont les mains ne furent jamais fouillées du fang de fa patrie.

Ils ne régnerent pas fur les ames par l'éloquence & le génie ; l'obfcurité de leur fort les priva des triomphes de la vertu, des éloges de la renommée, du doux pouvoir de répandre des bienfaits & de faire naître un fou rire fur les levres du pauvre.

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