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m'étonne; un ouvrage de génie lui coûteroit moins qu'un ouvrage d'efprit; fes yeux ne font pas des miroirs taillés à facettes, il voit l'ensemble & craint de s'arrêter fur les détails; un coup-d'œil fuffit pour l'un, il faut du tems pour l'autre ; il efquiffe, mais il finit rarement; fait pour le grand, fes talens demandoient un grand théa tre; fon cœur dédaigne une petite gloire, & fon cœur conduit fon efprit. Il a creufé bien des fujets; s'il écrivoit fur la théologie, il feroit une révolution comme Luther; il a autant de chaleur dans l'imagination & autant de force dans l'ame.

L'influence de fon cœur & celle de fon efprit, fi différens entr'eux, fe feront fans doute confondues pour lui former un caractere fingulier. Quel plaifir de démêler ces nuances! mais il eft difficile de les bien faifir. Voici les traits principaux qui le diftinguent: enthousiasme pour l'humanité, profond mépris pour les hommes; paffion pour la gloire, négligence pour les moyens qui y conduifent; conftance dans fes goûts, inconftance

dans fes idées; coeur affez vafte pour contenir le genre humain, affez étroit pour ne recevoir que deux ou trois amis. Ah, que je voudrois être du nombre !

LETTRE fur le Théâtre Espagnol.

MONSIEUR

ONSIEUR du Perron de Caftera avoit entrepris de nous faire connoître le théâtre Espagnol, & il nous a laiffé des extraits de quelques pieces de Lopez de Vega. Son travail n'a pas été continué, il mériteroit cependant de l'être; un femblable ouvrage feroit à la vérité de. peu d'utilité pour la perfection de l'art dramatique ; mais s'il étoit fait par un homme d'ef prit, il offriroit des détails curieux & piquans fur l'hiftoire du goût & même des mœurs.

Ce qui nous frappe le plus dans les auteurs dramatiques de cette nation, c'eft la prodigieufe fécondité de quelques-uns. On ne peut entendre fans étonnement que Lopez de Vega ait écrit dix-huit cens comédies; mais quand on connoît la nature & la forme de ces pieces, ce phénomene apparent fe conçoit & s'explique aifément. Les Espagnols ont un grand nombre de rapfodies fous le titre de chroniques, annales, romances, lé

gendes, &c. On y trouve quelques anecdotes hiftoriques, & quelques aventures intéreffantes noyées dans un fatras de circonftances merveilleuses, extravagantes, puériles & fuperftitieufes qu'y a ajoutées la tradition populaire.Un auteur choifit une de ces aventures, en tranfcrit fans choix & fans exception tous les détails, met feulement en dialogue ce qui eft en récit, & donne à cet ouvrage le nom de comédie. C'eft quelquefois la vie entiere d'un homme depuis fa naiffance jufqu'à fa mort, ou bien une aventure hiftorique ou romanefque qui dure quarante ou cinquante ans ; nul plan; nulle préparation; nulle vraifemblance dans la représentation; la fcène fe tranfporte tout-à-coup & fans ménagement d'un bout du monde à l'autre, c'eft dans ce goût-là que font compofées la plupart des comédies Efpagnoles. On conçoit bien qu'un auteur qui a de l'habitude & de la facilité aura plutôt écrit quarante pieces de ce genre, qu'un poëte aujourd'hui n'aura fait une comédie d'un feul acte où il eft obligé de deffiner des caracteres, de préparer, graduer & dé

velopper une intrigue, & de s'affujettir à toutes les regles de la décence, de la vraisemblance, du goût & même de l'usage. On travaille bien rapidement quand on peut s'affranchir de toutes ces entraves: notre poëte Hardy faifoit une comédie en trois jours; mais quand on lit une de celles qui nous font reftées de lui, on n'est plus étonné qu'il en ait fait plus de fix

cens.

Lopez de Vega fçavoit bien pour quel peuple il travailloit; il connoiffoit les regles, mais il n'avoit garde d'y affervir fon génie. « Je tiens fous la » clé, difoit-il, & Ariftote & Horace, >>parce que leurs préceptes m'impor>>tunent; & j'ai chaffé de mon cabinet » Plaute & Terence; leurs ouvrages >> me montreroient par-tout la criti» que des miens >>.

On fçait que dans les comédies Efpagnoles les fcènes les plus férieufes font entremêlées de bouffonneries; & un prince dans une fituation touchante eft fouvent interrompu par les plus impertinentes plaifanteries de fon valet. Ce défaut eft commun à toutes les pieces dramatiques qui

ont

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