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Le M. C'eft la peur qui te retient. D. P. Pour te démentir, je m'affieds. Parle.

Le M. Me connois-tu ?

D. P. Tu es fi hideux que je ne puis te prendre que pour le démon qui me tourmente fans relâche (Il veut fe lever). Le M. Non; remets-toi. D. P. Eh bien, foit.

Le M. Tyran, reconnois le prêtre que tu as poignardé. D. P. Moi!

Le M. Toi-même.

D. P. Tu avois manqué à ce que tu devois à ma dignité & à mon carac

tere.

Le M. Il eft vrai; mais le ciel te menace de te faire périr par ce même poignard & par la main de ton propre frere (En même tems il arrache à D. Pedre fon poignard).

D. P. Moi! par la main de mon frere?... laiffe ce poignard....(Le Spectre le laiffe tomber & il refte fiche en terre). Si tu pouvois mourir une feconde fois, tu périrois encore de ma main.

Le M. Tu m'as affaffiné le jour de faint Dominique.

D. P. Eh bien, que veux-tu? Le M. T'ordonner de la part de Dieu de bâtir ici un monaftere de vierges; le promets-tu ?

D. P. Je le promets. Demandes-tu autre chofe?

:

Le M. Non demeure en paix. Tu y revivras dans des marbres durables.

D. P. Eft-ce-là ce que tu appelles être pierre dans Madrid ?

Le M. Oui. Donne-moi la main. D. P. La voilà. Ah, jufte ciel! laiffe-moi, tu me brûles.

Le M. Voilà le feu qui me dévore & dont je ne ferai délivré qu'après que tu auras accompli ton vou.

D. P. Laiffe-moi donc, cruel!... Je n'en puis plus...

Le M. Que ce feu, Roi D. Pedre, te faffe craindre celui de l'enfer.

Le spectre difparoît, & D. Pedre frappé de terreur, fe retire. D. Henri furvient, trouve le poignard du roi fiché en terre, le reconnoît pour celui du roi fon frere, s'en faifit & fort.

On fe retrouve dans le palais. Don Pedre à qui on vient dire que Tello s'eft fauvé de fa prifon, ordonne qu'on

le pourfuive. D. Henri arrive avec le poignard du roi à la main ; D. Pedre, encore frappé de la prédiction du mort, croit que fon frere vient pour l'affaffiner. Don Henri le raffure; D. Pedre s'appaife, lui pardonne & l'embraffe. On vient annoncer que Tello a été arrêté. Le roi ordonne qu'il périffe. Léonor & Maria viennent faire de nouvelles inftances pour obtenir le pardon de Rodrigue & de Tello, mais D. Pedre eft fourd à leurs prieres. Alors D. Henri demande leur grace au roi comme le premier gage de leur réconciliation. Le roi ne veut pas le lui refufer, & la piece finit par le double mariage.

Nous ne préviendrons pas par nos réflexions celles que le lecteur pourra. faire fur cette comédie, moins intéreffante fans doute par l'artifice du drame que par la peinture des mœurs. Le fanatifine de bravoure & d'honneur qui s'y trouve peint dans la perfonne de D. Pedre, fes remords fur le meurtre du prêtre & l'apparition du mort, font des traits qui tiennent au caractere national, & qui méritent d'être obfervés.

C'est dans cette vue qu'il faut confidérer les ouvrages dramatiques d'une nation étrangere; & c'eft fur-tout dans les ouvrages de fes meilleurs poëtes qu'on reconnoîtra plus aifément fon goût, fon caractere & fes mœurs. Je vais dans le même efprit vous donner encore l'extrait d'une des meilleures comédies du célebre Lopès de Vega; elle eft intitulée: Los Benavidès. Le fujet du drame eft noble & intéreffant. Le jeune Alfonfe, âgé de fix ans, vient de monter fur le trône de Léon, après la mort de fon pere Bermudo. On eft en guerre avec les Maures, qui font des courfes jufqu'aux portes de Léon, & les Grands font en difpute fur le lieu que doit habiter le roi pour être en fûreté. Payo de Bivar veut le mener dans fes terres qui font fur la frontiere des Maures, & Mendo de Benavides, vieillard refpectable, s'y oppofe. Leur querelle à ce fujet s'échauffe au point que Bivar donne un foufflet à Mendo, que la foibleffe de fon âge trahit, & qui eft encore retenu par Layn Tallés, Fernand Ximenès & Inigo d'Arifte, autres feigneurs témoins de l'affront. Le vieil

lard défolé, met beaucoup de nobleffe dans fes plaintes.

La main de mon ennemi, dit-il, a tracé fur mon visage en caracteres ineffaçables le témoignage de ma fidélité. C'est mon zele pour mon roi qui m'attire cet outrage. Bivar veut s'emparer de fa perfonne pour lui ôter la vie, & régner à fa place. Vous êtes tous complices de cette trahison, puifque vous ne vous y oppofez pas; mais fongez que toute la Caftille vous reprochera la mort de votre roi.

Fernand Tellés, lorfque Mendo eft forti, releve ses réflexions, & les trouve fondées, & détermine enfin Bivar à laiffer le roi à Léon. Celui-ci, pour détruire les foupçons qu'a pu donner Mendo, propofe de faire venir de Galice Melen Gonzalès , defcendant des Goths montagnards, & de lui confier l'éducation & la perfonne du roi. On applaudit à ce procédé franc, & on parle de reconcilier les deux ennemis, mais on y voyoit peu d'apparence; & Bivar offenfé de ce que Mendo lui a dit que c'étoit par confidération pour fes fœurs, que les autres Grands avoient

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