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ou la Vanité du monde, eft le premier poëme philofophique qu'ait eu l'Angleterre. Ce poëme, rempli de connoiffances phyfiques, théologiques & morales, méritoit d'être traduit & il l'eût été peut-être, fi l'Essai fur l'Homme de Pope ne l'avoit en quelque forte fait oublier.

Pendant que les François & les Anglois, dit un Italien lui-même, s'occupent à unir la philofophie avec la poéfie, les Italiens aujourd'hui paffent leur vie à faire des centons de Pétrarque & s'imaginent mériter le nom de poëtes pour avoir cadencé des fyllabes.

Mais Uranie n'eft-elle donc pas une des muses ? D'ailleurs, pourquoi les poëtes ne pourront - ils pas fe montrer philofophes dans leurs vers, lorf que tant de philofophes fe montrent poëtes dans leurs fyftêmes? Ne chantons cependant d'un fyftême philofophique que quelques portions bien choifies & propres à recevoir les formes & les accens de la poésie; en embraffer toute l'étendue, ce feroit s'impofer la néceffité de parcourir des fentiers rocailleux & difficiles,

dont le feul afpect épouvanteroit les tendres mufes; non que le fujet de tout poëme philofophique doive toujours être facile; mais il doit toujours être beau.

Vous avez fait, par exemple, un choix heureux, fi votre sujet eft tel qu'au fimple coup-d'oeil fur le titre, le plus indifférent des hommes foit tenté de lire l'ouvrage, & qu'après avoir lu l'ouvrage, le plus trifte des lecteurs foit affecté d'un fentiment agréable, Ainfi ce n'eft point un beau fujet que celui de la Syphilis du célebre Fracaftor. Les tableaux en font raviffans, harmonieux, admirables; mais les objets qu'ils rappellent attriftent l'imagination. Un citoyen de Cefene a donné depuis peu d'années un poëme fur le foufre. Ce petit ouvrage refpire la reconnoiffance de l'auteur envers fa patrie. Mais le fpectacle des travaux de miférables humains qu'on condamne à s'agiter dans d'éternelles ténebres, fait peur aux ames tendres & délicates. On ne fe fent pas le cou rage de voyager avec le poëte pour ramaffer quelques fleurs fur les portes du tartare. Tous ces fujets paroiffent

peu fufceptibles des ornemens de la poéfie. Nous citerons en oppofition les fleurs du P. Rapin, l'art de cultiver d'Alamanni, les abeilles de Ruccellaï; poëmes dont le style a la fraîcheur, l'innocence & le parfum des objets qu'ils repréfentent, La mufique des couleurs; le fommeil des plantes, font des fujets encore tout neufs. Eh! de combien d'images brillantes ces fujets s'embelliroient dans une tête féconde & véritablement poétique !

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Paffons au choix du fujet, ou aux fables aux épisodes qui fiéent au poëme philofophique. Dans les endroits deftinés à la fimple expofition du fujet & du fyftême, le ftyle doit être pur, transparent, de forte qu'on puiffe voir au travers la fubftance & le fond des chofes, Il ne faut pas cependant qu'à l'exemple de Lucrece, non content de préfenter le corps même de la pensée, on en offre auffi les trop aufteres couleurs; le poëte, fût-il un métaphyficien profond, un géometre fublime, ne doit jamais perdre de vue qu'il ne dogmatife pas dans une école, mais qu'il chante au milieu des mufes. Hercule filant à côté d'Omphale doit

paroître

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paroître avoir oublié le fentiment de fa force; ce n'eft point en faifant des vers, c'est en réfolvant des problêmes qu'on montre fon profond fçavoir; commeHercule montroit fa vigueur en mettant des lions en pieces. Ainfi penfoit le fage Virgile lorfqu'il chanta les abeilles; s'il avoit écrit de nos jours il eût profité fans doute des obfervations qu'on a faites fur la conftruction de leurs cellules, fur la politique de leur gouvernement &c. Mais qui pourra jamais croire qu'il eût chanté les détails du géometre Maraldi? On trouve un bel exemple de la fobriété qu'exigent ces fortes d'ouvrages dans le poëme de l'art de la guerre, par le roi de Pruffe. Tâchons enfuite de bien connoître la place, l'arrangement,la difpofition des matieres. C'eft fur tout dans les compofitions didactiques qu'il importe de mettre de l'ordre. Il ne faut pas cependant que le zele de la méthode dégénere en fuperftition. Autre chofe eft une leçon de philofophie; autre chofe eft un chant de poéfie. Abandonner, efquiffer, renvoyer & tranfporter : voilà la méthode même; c'eft à ce Tome IV. Аа

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procédé, dit Horace , que l'ordre doit fa grace & fon effet. Auffi ne fçaurions-nous approuver le poëme de Fleming fur l'hypocondrie; la marche de cet ouvrage eft trop mefurée, trop lente, trop méthodique; jamais les flammes de l'enthoufiafme n'embrafent la froide imagination de l'auteur. C'eft un médecin qui profeffe en vers. Mais il ne fuffit pas que le ftyle ait de la clarté ; il faut encore qu'il foit orné, élégant. Il eft glorieux fans doute d'embellir par le feul art de l'élocution les fujets les plus fauvages, Vainement on objectera que ces fortes de poemes expofent la vérité, & que l'ingénue vérité ne veut d'autres ornemens que ceux qu'elle emprunte d'elle-même. Ce font les philofophes & non les poëtes que ce précepte regarde. S'il eft quelques vérités phyfi ques, ou fi fieres ou fi modeftes qu'el les abhorrent toute efpece d'ornemens, que la poéfie s'éloigne & les abhorre elle-même,

Il eft tems d'en venir aux fables & aux épifodes. Il y a des épifodes qui femblent naître d'eux-mêmes des entrailles de la chofe, enforte qu'on les

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