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DISCOURS fur l'origine & les vicif fitudes du Vers.

LES

ES Grecs font les feuls, au moins que nous connoiffions, qui en perfectionnant leur langue ayent confervé les traces & le caractere du langage naiffant & primitif. Les hommes ne fe font d'abord expliqués que par des geftes & par des fons intimément & néceffairement liés aux objets de leurs befoins & de leurs paffions. Or, des cris inarticulés qui ne fe faifoient entendre qu'aux fens, ne pouvoient avoir un caractere d'expreffion qu'au moyen d'une intonation forte, & marquée par des intervalles confidé rables, tant dans la qualité que dans la durée des tons..

Les Grecs, ce peuple fenfible au point que l'humanité, la philofophie & les loix ne purent s'introduire. chez eux qu'à la faveur de la cadence & du chant, n'eurent garde, en perfectionnant leur langage,d'en abo

fir les premiers fignes, qu'ils regardoient avec raifon comme les plus énergiques & les plus pittorefques. Cependant, de la prononciation confufe & tumultueufe de mots, dont toutes les fyllabes portoient fenfiblement le caractere d'une intonation haute ou baffe, lente ou rapide, devoit néceffairement réfulter, tantôt une cadence agréable & un chant mélodieux, & tantôt un défordre & des diffonances infupportables.

Il n'étoit pas poffible que le peuple le plus heureufement organifé qui fut ja nais, abandonnât long-tems au hafard un procédé qui intéreffoit fi effentiellement fon oreille. Pour éloigner donc toute efpece de trouble & de confufion, foit dans les fons, foit dans les tems, les Grecs en obferverent les rapports & les proportions; ils les faifirent & les enchaîne rent par des regles déformais invariables. C'eft ainfi que la mélodie & même le rhythme, qui dans toutes les autres langues eft à peu dépendant de la nature des mots, qu'il peut, fans leur faire violence, en

prolonger ou en racourcir les fyllabes, devinrent en quelque forte parties fubftantielles & conftitutives de la langue Grecque, la plus belle fans doute que les hommes aient jamais parlée. On fent par-là combien il eft ridicule de demander fi chez les Grecs, le chant étoit infépa rable du vers. Nous ne parlerons point de la poéfie latine, elle fut abfolument calquée fur celle des Grecs; mais vraisemblablement les accens n'y conferverent pas le même degré d'énergie. Les Latins, en empruntant des Grecs la poéfie & les arts, n'emprunterent ni leurs mœurs, ni leurs organes. Ce peuple grave, ferme dans fes principes & dans fes deffeins, ne fe vit jamais dans le cas de craindre que fa morale reçût la moindre atteinte des altérations que pourroit fubir fa mufique.

Defcendons à la verfification moderne. S'il faut s'en rapporter au célebre Gravina, un des plus profonds & des plus fublimes obfervateurs qu'ayent eu la jurifprudence & les arts, la rime a dû fon origine à l'é

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cole des déclamateurs & des rhéteurs Latins, qui altérerent les véritables couleurs de l'éloquence, & affecterent dans la chûte de leurs périodes la confonance des mots. L'Italien, ajoute-t-il, foumis à des vainqueurs barbares, perdit bientôt le fentiment de la différence fine & délicate que la cadence des pieds & des nombres mettoit entre le vers & la profe, & ne connut plus d'autre harmonie que celle qui naiffoit de la groffiere & faftidieufe conformité des définences. Mais Gravina cherchoit plus à flétrir. la rime contre laquelle il ne ceffoit de s'élever, & qu'il auroit voulu exterminer, qu'à en démêler la véritable origine. Cependant, que prétendoit ce favant homme ? Pouvoit-il ignorer que la langue italienne s'étoit tellement éloignée de fa fource, que l'harmonie qui caractérifoit la latine étoit devenue tout-à-fait étrangere à l'italienne & ne pouvoit plus lui convenir? Avoit-il oublié que Claude Tolomei avoit inutilement effayé de rappeller le rhythme ancien, & de Fintroduire dans fa langue; & que

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quelqu'heureux que nous paroiffent fes eflais, comme on peut s'en convaincre par ces deux vers:

Quefta per affetto teneriffima lettera mando A te che tratti barbaremante noi.

fon exemple ne fut fuivi de perfonne? Ne fentoit-il pas que ce mêlange de breves & de longues n'étoit propre qu'à révolter Poreille de la nation; & qu'en effet le dactyle qui répand dans le vers latin tant de nobleffe & de grandeur, ne donne au vers italien qu'un bondiffement défagréable, occafionné fans doute par la trop grande abondance des voyelles dont cette langue eft compofée ? Caftelvetro croyoit au contraire que le vers italien, tel qu'il exifte, foit entier, foit rompu, defcendoit immédiatement & prefque fans altération du vers latin. Lorfque notre vers (1), dit-il, eft compofé d'onze fyllabes, & que l'accent en frappe la fixieme, il eft pris du vers latin communé ment appellé endecafyllabe, dont la

(1) Ch. 46 de l'impreffion de Naples, 1714

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