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ESSAI fur l'expérience en médecine, d'après le traité que M. Zimmerman en a donné en langue allemande.

L'ART de guérir exige d'autant plus de pénétration, qu'il eft dirigé fort fouvent par de fimples vraisemblances, dont le plus haut degré ne fçauroit être apperçu fans une extrême fagacité; d'ailleurs tous les pas d'un médecin habile reffemblent à des découvertes, eu égard à l'incertitude des principes qu'il eft obligé de calculer.

Ce qu'il fait entendre par l'expé rience en médecine, c'est l'habileté qu'on acquiert dans cet art à force de recueillir des obfervations & des épreuves bien faites & fur-tout bien combinées.

C'eft une erreur populaire d'ima giner que l'expérience eft fimplement l'ouvrage des fens & de l'habitude. Mais s'il eft vrai que dans les arts méchaniques l'exercice eft abfolument néceffaire, & qu'il ne fçauroit être fuppléé par toutes les lumieres de la

fpéculation, il eft également certain qu'il y a des perfectionnemens qu'on attendroit vainement de la pratique, fur-tout dans un art tranfcendant, tel que la médecine, où l'expérience ne peut être regardée comme le partage exclufif d'un âge avancé que par le vulgaire ou par ces hommes qui nient l'existence de tous les objets auxquels Leur courte vue ne peut atteindre.

Le peuple s'obstine à soumettre la plupart des fciences & des arts utiles à une routine aveugle, à des ufages répétés,fans jamais remonter aux principes.Cette fauffe expérience, comme l'appelle notre auteur, eft celle des praticiens ou empiriques modernes, qui ne fçavent qu'appliquer une recette déterminée à une maladie dont le nom est donné, qui ne voyent que des malades & jamais de maladies. Ces hommes, à force de faire des fautes, parviennent à ne pas même foupçonner qu'ils en font; il leur fuffit de voir leur marche coníacrée par fuffrage du peuple qu'ils entraînent fans lui préfenter aucune idée. Indépendamment des fentimens fecrets qu'infpire la prévention ou l'envie,

le

ils

ils détestent toute efpece de nouveauté; l'ancienne pratique convient beaucoup mieux aux efprits pareffeux & bornés. Ainfi les médecins de ce peuple fauvage, qui, pour écarter la maladie, foufflent fur le lit du malade, & penfent que toute la médecine confifte dans cette opération, traiteroient fans doute fort mal celui qui s'avife roit de leur prefcrire une méthode moins facile.

Comme parmi les médecins la routine eft toujours adoptée par les fots, il n'eft pas étonnant qu'elle faffe fortune parmi le plus grand nombre des hommes. En général un médecin ignorant plaît beaucoup plus à la multitude; elle chérit en lui la conformité des préjugés & de la fottife. C'eft l'âne de la fable.

On fent combien la préférence qu'on donne à la routine doit avoir de fuites pernicieufes pour la fociété dont elle renverfe les idées; combien elle est propre à décourager les jeunes médecins, à favorifer les charlatans, & à arrêter les progrès de la médecine. Cette profeffion étant ainfi dégradée, les hommes de génie qui l'exercent fe Tome IV. Bb

-voient forcés de chercher dans des étu des étrangeres une confidération qu'ils attendroient vainement de l'exercice de leurs talens. Bacon & Freind ont très-bien remarqué que les grands médecins, piqués de voir que des connoiffances très-médiocres en méde cine donnent fouvent plus de célébrité qu'on n'en obtient de la plus grande habileté, s'en dédommagent en fe tournant vers des genres d'étude & de travail où le peuple ne difpenfe point la réputation.

La premiere qualité néceffaire pour acquérir l'expérience eft de ne chercher que la vérité; & cet amour du vrai, moins commun qu'on ne pense, eft le fruit de l'organisation la plus heureuse & de la meilleure culture de l'efprit. Mais ce defir ne fuffit pas; la vraie expérience exige encore trois conditions effentielles; beaucoup de connoiffances hiftoriques, un efprit obfervateur, & du génie.

Le vrai médecin fe conduit dans le traitement des maladies par les inftructions qu'il fonde fur leurs causes, quand elles font connues; fur les phénomenes & les fignes, quand il ignore

les causes. Il n'a garde de procéder comme les anciens dogmatiques, que l'anatomie, alors très-imparfaite, ne pouvoit affez éclairer fur les caufes cachées, qui avoient rétréci & embarraffé l'art par de vaines théories, & dont, felon notre auteur, Galien doit être regardé comme le véritable chef, parce qu'il enfeigna, de même que Defcartes, à raifonner très-conféquemment fur de faux principes.

Les anciens empiriques étoient alors beaucoup plus près de la vraie expérience, s'ils s'appuyoient uniquement fur le temoignage des fens, fur celui des obfervateurs qui les avoient précédés, fur la comparaifon des maladies connues avec celles qui ne l'étoient pas; au lieu que les empiriques de nos jours négligent de joindre l'étude des maladies à celle des remedes. M. Zimmerman les appelle les bâtards de la fecte des chymiftes, qui a régné quelque tems dans la médecine.

Après avoir confidéré d'une ma niere générale l'expérience en méde cine, examinons l'influence du fçavoir fur l'acquifition de cette expérience.

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