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droit fe fent digne,& fe croit feur.Cette droiture, cette pureté d'intention le rempliffent d'une noble audace, & le font parler à fes Maîtres bien moins avec la liberté d'un amia fonami, qu'avec l'autorité d'un pere à fes enfans. D'un autre côté, la regle qu'il se prefcrit, le refferre & le renferme dans une sphe re fort étroite, & l'oblige à tourner perpetuellement, dans un petit cercle d'ufages & d'évenemens. Car ce n'eft pas ici un Déclamateur, qui se joue librement fur des sujets de fantaisie;& qui felon le reproche calomnieux de fes Ennemis, s'inquiete bien plus de fch.Com. Ctefip. la cadence d'une periode, que de la chute d'une Republique. C'est un Orateur, dont le zele infatigable ne ceffe de reveiller des lethargiques, de rafsûrer des timides, d'intimider des témeraires, de ranimer des voluptueux, qui ne vouloient ni servir la Patrie, ni payer qui la fervît; enfin de refondre des hommes accoûtumez à n'user de la liberté & de la puiffance, que pour se mettre au desfus de la raison. Les abus, qui fubftituënt le plaifir à la peine, ont de puiffans protecteurs; principalement dans un Etat, où chaque particulier a une portion de l'autorité fuprême, & où fouvent le Peuple, pour faire mieux

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*

* Socrate.

de Soc.

Il falloit la pro

voir qu'il peut tout ce qu'il veut, ne veut rien de ce qu'il doit. Celui d'Athênes plus qu'un autre, pratiquoit mal ce beau precepte d'un defes Sages; que le plus court le plus in- Plat. dans l'Apoli faillible moyen de fe défaire des Cenfeurs, c'eft de fe corriger. On encouroit la peine capitale, pour avoir commis le crime de propofer, felon les formes prefcrites en pareil. cas, la révocation d'une Loi pernicieuse, pofer par écrit. mais agreable. Qu'un Citoyen n'eût pas la patience de regarder tranquillement dé cheoir & déperir la Republique, & qu'il osât lui tendre une main fecourable; on payoit du dernier fupplice le meilleur con feil & l'action la plus loüable. Auffi les plus funeftes déreglemens, parvenoient en paix la vieilleffe, qui n'imprime guere moins de respect pour les mauvais ufages, que pour les bons. Quelle eft la reforme, qu'on aime plus que fa vie?

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Qu'on reproche donc, tant qu'on voudra à Demofthene, d'avoir pris l'épouvante, & jetté fon bouclier dans une déroute ; il l'a voue lui-même, & dés là je l'abfous, & lui rends mon estime. Car s'il m'étoit permis d'avoir une opinion, & de la déclarer fur des matieres qui ne font pas de mon reffort; je

1.. à Cheronée, là

troifiéme année de lamp.

cx. 2. Afch, con, Crefipe

dirois, qu'aprés la bravoure je ne fçai rien de plus brave, que l'aveu de la poltronerie. Outre, qu'à raisonner jufte fur l'action dont il s'agit, elle prouve tout au plus, que la valeur eft journaliere comme les armes ; ou plûtoft qu'il y a divers genres de valeur, que l'on voit rarement réunis en la même personne. Tout homme qui ofe courir à la mort,n'ofe pas l'attendre. Tel qui s'anime, & fe fignale dans une bataille, pâlit dans un affaut. Tel qui charge le mieux à la tête d'une troupe, & fejette le plus avant dans la mêlée, recule fur la propofition d'un combat fingulier, La difproportion paroît encore plus grande, entre les hazards de la guerre,& ceux de la Tribune. Cependant auffi-tôt qu'ils exposent également la vie,ils demandent une égale mefure de courage. L'équité par confequent veut, que nous compenfions la fuite de Demofthene entraîné une fois par la foule des fuyards, avec la contenance de Demofthene tant de fois intrepide,au milieu d'une popula*Ariftophane, par ce prête à le déchirer. Car ce n'étoit plus le une couronne de temps, où l'on gagnoit leur affection à les reP'Olivier facré,qu' prendre, & qu'ils decernoient la plus belle Citadelle: le plus couronne au Cenfeur affez hardi*,pour leur un Citoyen pût re- dire, qu'ils raifonnoient comme des enfans;

cette liberté qui pa

roît dure, merita

on gardoit dans la

grand honneur qu'

cevoir.

qu'un heureux fuccés n'accompagnoit quelquefois leurs refolutions, qu'à cause que les Dieux prenoient plaifir à faire des miracles; mais qu'enfin ces mêmes Dieux fe lafferoient de garder des foux. La folie augmenta toùjours, tandis que le goût pour la reprehension & pour la cenfure diminuá. On n'en avoit que pour les déclamateurs, prostituez aux bassesfes de la plus lâche complaifance. On n'avoit d'oreilles, que pour les difcoureurs timides, qui à la vûë d'une multitude toûjours bizarre, fouvent furieuse, ne fçavoient que trembler, & qui, felon le langage de Socrate,reveroient en gros ce qu'ils méprifoient en détail. En un mot, fur les points les plus importans au falut d'Athênes, il falloit opter entre le filence & la

mort.

Le courage qu'avoit Demofthene de braver la fureur populaire, ne m'étonne & ne m'édifie guere plus, que fa conftance à rejetter les graces du difcours, en faveur de ceux qui avoient le bonheur de l'entendre. Bien moins Orateur encore que Citoyen, il ne fe laffe point de retourner à la charge contre l'abus favori. Il poursuit fans relâche les traîtres, releve leurs fautes, dévoile leurs perfidies, s'acharne fur les flateurs : ces pestes

publiques en tout temps, comme en tout lieu, & veut que fans mifericorde on les extermine. Plein de cette unique vûë, & resolu de vaincre des opiniâtres endurcis, il les attaque. avec des armes éprouvées & feures de leur coup. Parlons sans figure, il dit les veritez les plus piquantes ; & de peur qu'elles ne glif fent, il employe frequemment, & repete quelquefois mot à mot les raifonnemens & les exemples, qu'il a reconnus les plus perfuafifs & les plus touchans. La repetition imprime & grave, ce que la premiere expofition n'a fait que tracer. Il rebat donc à deffein, il inculque, il appuie, & facrifie aux avantages de la perfuafion les agrémens de la varieté.Ön ne fent point la neceffité de pareilles redites, fi l'on ne fe met à la place de ceux, à qui origi nairement elles s'adreffoient. Je crains par la même raifon, que faute de fe tranfporter en imagination dans Athênes, on ne fente pas non plus les beautez originales, que j'ai crayonnées. Il faut pour cela agir, & penser comme les Atheniens d'alors, adopter leurs fentimens & leurs inclinations, époufer leurs interêts, leurs querelles, leurs jaloufies, leurs craintes, leurs efperances. Sans quoi DemoAthene certainement, ne fçauroit retrouver

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